Quand les logos racontent une histoire

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Le logo est la pierre angulaire de toute la communication d’une entreprise. Outre le fait qu’il en est le premier et le principal représentant, celui grâce auquel une marque acquiert sa notoriété et gagne en reconnaissance, il en dit aussi beaucoup sur la vie des entreprises, au fil de leurs (r)évolutions.

Retour sur quelques logos emblématiques et leurs histoires.

Apple : le goût de la pomme Le 1er avril 1976, Steve Wozniak, Steve Jobs et Ronald Wayne créent la société Apple Inc. qui se dote aussitôt d’un logo dessiné par Ronald Wayne. Ce dernier est une véritable illustration sur laquelle apparaît Isaac Newton, connu pour sa théorie de la gravitation universelle qu’il aurait élaboré après avoir reçu une pomme sur la tête. Mais Steve Jobs n’est pas convaincu par ce logo qu’il juge trop intellectuel et détaillé pour être réellement lisible et percutant. Il demande alors au designer Rob Janoff de reprendre l’ensemble afin de créer quelque chose de plus en adéquation avec ses attentes.

La pomme s’impose comme le symbole idéal pour une entreprise baptisée Apple, tandis que la morsure a plusieurs significations. En premier lieu il s’agit d’éviter la confusion entre une pomme et une tomate auprès du public. Ensuite il y a un jeu de mot avec le verbe mordre (Bite en anglais) et le terme informatique “byte” qui désigne la plus petite unité adressable d’un ordinateur. Enfin dans la conscience collective, le fait de croquer dans la pomme ramène au mythe du jardin d’Eden. Les couleurs jouent aussi un rôle prépondérant puisqu’elles suggèrent l’énergie et le dynamisme. Si beaucoup voient dans le choix des couleurs une sorte de message caché, Rob Janoff est beaucoup plus pragmatique : “Il n’y avait aucune véritable réflexion derrière le choix et la disposition des couleurs ! Par exemple j’ai décidé de mettre du vert au sommet car c’est là que se trouvent les feuilles.” Ce nouveau logo ne laisse personne indifférent. S’inscrivant dans la mouvance hippie, explosive et pleine de vie, la pomme colorée permet à Apple de s’imposer sur le terrain de l’image face à tous ses concurrents. Durant plus de 20 ans, la pomme d’Apple fut un monument de la culture et du design.

En 1997, alors qu’Apple traverse une crise sans précédent, Steve Jobs est de retour après des années d’absence. Conscient qu’il doit repenser son entreprise depuis ses fondations, il est convaincu que le logo historique est devenu un handicap. Trop marqué seventies, l’arc-en-ciel est abandonné pour un ton monochrome (noir, gris, blanc), lui-même remplacé en 2001 par une énième version de la pomme agrémentée d’un léger effet de relief au rendu vitré. En 2003, une nouvelle variation apparaît, son design étant plus épuré, adoptant un aspect chromé avec un effet de transparence vitrée accru, et un reflet qui n’est plus en forme de vague, mais d’une courbe donnant un certain relief. Ultime étape, le système d’exploitation Mac OS X achève la chrysalide en remplaçant la pomme colorée située dans le coin de la barre de menu, par une pomme monochrome : Apple est mort, vive Apple !

Michelin : place au Bibendum
Nous sommes en 1894 lors de l’Exposition universelle et coloniale de Lyon. Edouard et André Michelin, précurseurs dans le domaine du pneu de vélo démontable, se rendent sur le stand de leur revendeur. Celui-ci, dans l’espoir d’attirer les badauds, a empilé des pneus avant de les recouvrir de papier blanc. Face au monticule, Edouard déclare qu'”en y ajoutant des bras et des jambes, ça ferait un bonhomme.” L’idée fait son chemin dans la tête d’André jusqu’en 1898, date à laquelle il fait la connaissance de Marius Rossillon, illustrateur humoriste et aquarelliste plus connu sous le nom d’O’Galop. Celui-ci présente aux frères Michelin une caricature refusée par une brasserie munichoise sur laquelle on peut voir un géant brandir une chope de bière en s’écriant “Nunc est bibendum” (C’est maintenant qu’il faut boire). Quelques coups de crayons plus tard, le gros homme cède sa place à un autre, tout aussi imposant et formé à partir d’une pile de pneus. La pinte de bière devient une coupe garnie de tessons de bouteilles et de clous, tandis que la locution latine se voit traduite par “A votre santé, le pneu Michelin boit l’obstacle”.

Durant des décennies, cet angle d’attaque, qui sous-entend que les pneus Michelin résistent à toutes les situations sans perdre de leur résistance, sera au coeur de la plupart des campagnes mettant en scène le bonhomme Michelin, dont l’appellation “Bibendum” est le fruit du hasard. Un mois après sa création, le coureur cycliste Léon Théry lance à André Michelin qu’il voit arriver : “Tiens, voilà Bibendum !”. Cette trouvaille séduit immédiatement les frères Michelin qui décident de conserver ce nom pour leur personnage : Bibendum était né.

En 1902, O’Galop en propose une version en pied à l’occasion de la promotion de l’exerciseur, un appareil de musculation Michelin. Après l’ajout d’une bouche et d’un menton (1914), Hautot en redessine la silhouette afin de correspondre aux produits maisons. Son torse passe de onze à quatre pneus, et ses bras réduisent de moitié. Au final sa physionomie est plus équilibrée puisque chaque membre est composé de quatre éléments. La disparition du cigare (qui reviendra de façon ponctuelle) date de 1929, et fait écho aux efforts entrepris par Michelin pour lutter contre la tuberculose qui décime ses employés. En 1969, Bibendum subit ses ultimes modifications physiques pour aboutir à son apparence actuelle composée de 26 pneus.

A l’aube du 21e siècle, Bibendum, en vieux routard centenaire, est plus un symbole qu’un produit marketing. On le retrouve héros d’une série de BD écologistes (2002), parodié au cinéma (SOS Fantômes), parcourant le globe pour s’associer à diverses causes, et surtout obnubilant des générations de collectionneurs qui s’arrachent les milliers d’objets à son effigie.

Pixar : l’enfance de l’art
L’histoire du studio Pixar et de son logo est intimement liée à la destinée de celui qui est aujourd’hui directeur de Walt Disney Feature Animation, et que beaucoup considèrent comme le père de l’animation numérique, John Lasseter. En 1982, il rejoint le Lucasfilm Computer Graphics Group, une division d’Industrial Light & Magic (ILM), spécialisée dans l’imagerie numérique créée en 1979. En 1986, Lucasfilm se débarrasse de ce département en le vendant à Steve Jobs, cofondateur d’Apple, pour 10 millions de dollars. Steve Jobs baptise ce nouveau studio Pixar, combinaison des mots “Pixels” et “Art” : “Lorsque nous sommes devenus Pixar, Steve Jobs voulait que pour notre première année nous ayons quelque chose de nouveau à proposer au SIGGRAPH (Ndlr, séminaire américain annuel sur l’infographie), se souvient John Lasseter. Nous devions créer un court-métrage en images de synthèse afin de promouvoir à la fois notre savoir-faire, notamment dans les effets d’ombre, et notre logiciel RenderMan utilisé dans la génération d’images photoréalistes.”

L’équipe en charge de la création de ce court-métrage travaille sur plusieurs idées en parallèle (chaises de plage, vagues dans l’océan). Lorsque John Lasseter dut choisir un modèle, il chercha un objet à portée de main et décida de dessiner sa lampe d’architecte de la marque Luxo : “Un jour, un ami est venu me rendre visite avec son bébé, poursuit John Lasseter. Quand je suis retourné sur ma table de travail, je me suis demandé à quoi pourrait bien ressembler une “bébé lampe”. J’ai redimensionné les différentes parties de la première lampe pour les diminuer, à l’exception de l’ampoule que j’ai laissée de la même taille car c’est quelque chose qu’il faut acheter en magasin, elle ne grandit pas avec la lampe ! L’histoire s’est affinée en cours de production. Nous l’avons terminée à temps pour le SIGGRAPH ’86 où les réactions du public furent phénoménales.” Titré Luxo Jr., le court-métrage, d’une durée de deux minutes trente, met en scène deux lampes sur un bureau, la plus petite jouant avec une balle. Luxo Jr. fut un immense succès public et critique, largement salué aux quatre coins du monde, jusqu’à être nominé l’année même pour l’Oscar du meilleur court-métrage d’animation, premier film en image de synthèse admis dans cette catégorie.

Face à l’engouement suscité par Luxo Jr., le studio Pixar -officiellement racheté par Disney en 2006- l’adopte rapidement comme sa mascotte et l’intègre à son logo. Désormais il vient remplacer la lettre “I” du logo original, certains héros des films Pixar venant parfois jouer avec lui (Wall-E, Cars). En outre le balle, comme Luxo, apparaissent dans diverses productions Pixar dont Toy Story, Monstres et Cie, Red’s Dream ou Jack-Jack Attack.

IBM : le logo prophétique
En 1914 Thomas J. Watson Sr. arrive à la tête de la Computing-Tabulating-Recording Company (CTR), une des premières firmes de haute technologie de l’ère industrielle. Il encourage l’apparition d’un département R&D, non sans installer un leitmotiv résumant l’état d’esprit de l’entreprise en un seul mot : “Think”. Le 14 février 1924, CTR devient l’International Business Machines Corporation (ou IBM). Ce nouveau nom entraîne un nouveau logo qui ressemble à un globe terrestre. Après 22 ans de bons et loyaux services, le globe disparaît en 1947 au profit d’un simple IBM usant d’une typographie solide traitée en contours, la Beton gras. Suite à la passation de pouvoir entre Thomas J. Watson Sr. et son fils en 1956, ce dernier se tourne vers l’un de ses amis, Eliot Noyes, architecte et designer industriel, afin qu’il repense le design des usines et des produits IBM. Quelques semaines plus tard, Noyes fait la connaissance de Paul Rand, un graphiste dont il apprécie particulièrement le travail sur les logos et les emblèmes.

Lorsque Paul Rand rejoint IBM, le logo aussi bien que la devise d’entreprise -Think- sont toujours composés en Beton gras étroitisé, police courante dans les années 1930, mais qui paraît archaïque au coeur des années 1950. Rand remplace dans un premier temps le Beton gras par le City Medium, police aux empattements plus nets, de facture constructiviste. Durant les 16 années suivantes, il apporte des modifications subtiles au logo, adoptant le Bodoni qu’il juge plus gracieux et fonctionnel : “L’idée des rayures m’est venue en pensant à ce type de documents sur lesquels votre signature est protégée de la contrefaçon par une série de fines bandes, se souvient Paul Rand. En appliquant cela au logo IBM, je résolvais non seulement le problème conceptuel, mais aussi la question visuelle en liant les trois lettres qui avaient tendance à se séparer. Depuis le principe a symbolisé le secteur informatique alors même que rien, dans ma conception, n’est intrinsèquement informatique.”

Officialisé en 1972, cet ultime logo se compose d’abord de 13 lignes, avant d’être ramené à huit lignes en raison de la difficulté pour les photocopieurs de l’époque d’obtenir un résultat convenable. A noter que pour la première fois de son histoire, le logo adopte une couleur, le bleu, qui lui vaudra le surnom de “Big Blue”. Toujours en vigueur à l’heure actuelle, et sans doute pour de nombreuses décennies encore, le logo IBM est une référence en termes de graphisme, d’audace, de conception et de recherche visuelle, tout en offrant à Paul Rand une reconnaissance éternelle.

La Vache qui rit, encore et toujours ! Producteur de comté installé à Lons-le-Saunier (Jura) depuis 1898, Léon Bel s’associe au Suisse Emile Graf -inventeur d’un fromage fondu économique grâce à un procédé datant de 1907- avant de déposer la marque “La Vache qui rit” le 16 avril 1921. Pour s’assurer du succès de son entreprise, il mise tout sur une campagne publicitaire marquante construite autour d’un emblème visuel fort. Durant la 1&è;re Guerre Mondiale, Benjamin Rabier imagine une vache riante pour décorer les camions de ravitaillement en viande fraîche de l’armée. A cette époque elle n’est pas rouge (tout juste rougeâtre), ne porte pas de boucles d’oreilles, et s’appelle La Wachkyrie, allusion aux Valkyries allemandes. Si Léon Bel entreprend d’en réaliser lui-même une adaptation en guise de logo, il finit par solliciter divers illustrateurs professionnels pour finalement choisir les esquisses de Benjamin Rabier en 1922.

La production officielle débute en 1924, soutenue par une campagne de publicité moderne qui fait de La Vache qui rit le complément idéal d’une alimentation équilibrée, “propice au développement et à la bonne santé”. En 1926, la réussite grandissante de La Vache qui rit attise les convoitises et pousse la société Grosjean à commercialiser un fromage fondu baptisé La vache sérieuse avec pour slogan “Le rire est le propre de l’homme et le sérieux celui de la vache”.

Après l’avènement des portions en 1929, c’est en 1954 que la vache subit d’infimes transformations physiques, principalement au niveau des cornes qui sont moins pointues et donc moins dangereuses la rendant plus sympathique et en adéquation avec l’image familiale véhiculée par l’entreprise. En 1971 l’entreprise Bel souhaite modifier en profondeur son image pour s’inscrire plus pleinement dans son temps. Ce relookage est confié à l’agence Norman, Craig & Kummel qui décide, pour la première fois, de présenter la vache en pied dans diverses situations (faisant du stop, de la bicyclette ou la cuisine). Abandonnant l’illustration désuète de Rabier, c’est Jacques Parnel qui est chargé du ravalement. Il réduit les cornes, ouvre les yeux, opte pour un rouge uni plus vif et blanchit le mufle. Un design moderne, épuré et clair renforçant la complicité en ajoutant de la malice. En 1976 une ultime retouche est apportée aux boucles d’oreilles, toutes deux affichant le dessus de la boite contre une sur les deux auparavant. Depuis, et au fil de ses campagnes, Bel joue la carte de la décontraction cherchant à associer son produit à ces petits moments qui rendent la vie plus belle. Une vitalité et une joie de vivre communicative, incarnée par cette vache rouge débonnaire et allègre qui, depuis 90 ans, garde son sourire en toutes circonstances.

Thomas Debelle / Benoit Dupont

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