Les collaborateurs hypersensibles dépassent rapidement leurs limites

Mien Gheysens et Myriam Vandenbroeke - "Les hypersensibles sont souvent des collaborateurs très loyaux, motivés et méticuleux" 23/11/2016 pict. by Philip Reynaers © Photo News © Photo News

Dans le monde de l’entreprise, l’hypersensibilité est encore souvent considérée comme nébuleuse, mais selon certaines estimations, une personne sur cinq serait hypersensible.

Les hypersensibles ont un risque accru de sombrer dans un burn-out, mais s’ils se sentent bien dans leur peau, ils sont très créatifs et responsables.

S’il y a subitement des livres et des témoignages qui apparaissent sur un sujet à peine traité dix ans plus tôt, on sait qu’un nouveau problème de société est apparu. Dans son livre Wake-up call, Tommy Browaeys témoigne sur l’hypersensibilité et le burn-out. (voir encadré “Trois questions à un collaborateur hypersensible”). La psychologue clinicienne Elke Van Hoof est l’auteure de Hoogsensitief, également paru cette année.

Une personne hypersensible est beaucoup plus perméable aux stimulus. Si une personne normale reçoit cinq stimulus sensoriels, chez une personne hypersensible il y en a facilement vingt qui pénètrent. Cela provient du fait qu’il y a quelque chose qui fonctionne mal au niveau du filtre qui sélectionne les stimulus en provenance du monde extérieur. “Votre corps se retrouve de la sorte beaucoup plus rapidement sous tension”, explique Myriam Vandenbroeke, psychothérapeute chez attendo3, un cabinet de coaching qui accompagne Tommy Browaeys. “Si vous avez du stress au travail et que du stress vient encore s’ajouter du fait de problèmes dans votre relation, ou simplement du fait de la pression familiale, c’est alors la goutte proverbiale.”

Le fait que l’hypersensibilité soit actuellement l’objet de pas mal d’attention n’est pas un hasard. Par rapport à il y a dix ou vingt ans, l’émergence de la numérisation fait que nous recevons des masses de stimulus supplémentaires. Le flux continu d’emails, de SMS, de mises à jour de statuts sur les réseaux sociaux, de nouvelles apps, en combinaison avec les bureaux paysagers et les tas de petits films vidéo et d’articles partagés, mènent à ce que notre seuil de tolérance aux stimulus est beaucoup plus vite atteint qu’auparavant.

Faire progresser le groupe

Les hypersensibles perçoivent non seulement plus de stimulus, ils sont également fortement axés sur le monde extérieur. “Le temps et l’espace pour soi-même, cela leur est extrêmement difficile”, explique Myriam Vandenbroeke. “Ils ont des antennes supplémentaires pour ressentir ce dont l’autre a besoin.” Elke Van Hoof, professeur en psychologie à la VUB, estime qu’ils se préoccupent trop des autres et trop peu d’eux-mêmes. De ce fait, ils n’ont pas une très bonne perception de la plus-value qu’ils peuvent offrir à leur entreprise.”

A propos de cette plus-value, les experts sont pourtant unanimes. “Ils ont souvent une créativité supérieure et font preuve d’un comportement prosocial”, souligne le professeur Van Hoof. “C’est un comportement qui bénéficie à l’ensemble de l’entreprise, sans qu’ils en soient récompensés. Les hypersensibles désirent faire progresser l’ensemble du groupe.”

Dans sa pratique, Attendo3 constate que les personnes hypersensibles sont plus sujettes à avoir des problèmes. Mais cela ne résulte pas toujours en un burn-out. Elles entrent par exemple plus rapidement en conflit au travail et on remarque qu’elles démarrent au quart de tour. Ou alors elles ont peur des contacts sociaux.

Tout burn-out est un enchaînement unique de circonstances, ce qui entraîne une difficulté à délimiter la part de responsabilité de l’employé et l’employeur. Pour une personne en phase de divorce, un petit problème au travail peut être la goutte qui fait déborder le vase. “La société doit déterminer dans quelle mesure elle désire s’impliquer”, observe la psychothérapeute Mien Gheysens d’attendo3, fille de Myriam Vandenbroeke. “Une entreprise n’est pas un organisme de bienfaisance. Les sociétés ont toutefois intérêt à ce que cela fonctionne bien avec leurs collaborateurs.”

Elke Van Hoof n’est pas partisane du fait que les personnes hypersensibles informent leur employeur de leur hypersensibilité. “Une personne assertive ne le fait également pas”, dit Van Hoof. “Je trouve vraiment cela un ‘non problème’. Un employeur a de toute façon la mission d’investir le mieux possible dans son capital humain pour atteindre les objectifs de l’entreprise.” Autrement dit: si une société investit de la bonne manière dans les points forts d’un employé, il n’est plus important de savoir s’il est hypersensible ou pas. On évite de la sorte en même temps de trop réduire les employés aux étiquettes qui leur collent. Trop peu de sociétés investissent bien dans leur capital humain, selon Van Hoof. “Il y a trop peu d’attention portée à la diversité parmi les employés.”

Culture d’ouverture

Ce que les sociétés peuvent encore faire, c’est la mise en place d’une culture d’ouverture. “De telle sorte que les personnes s’adressent beaucoup plus vite à leurs collègues et à leurs responsables”, explique Mien Gheysens. “Les sociétés sont trop à la recherche d’un moyen miracle. Ils recherchent un seul remède capable de subitement tout changer, de telle sorte que les personnes de leur entreprise n’aient pas de possibilité de burn-out. Cela ne fonctionne pas ainsi, c’est un processus auquel vous devez oeuvrer chaque jour.”

Les sociétés peuvent créer de l’ouverture, mais les employés doivent surtout veiller eux-mêmes à ne pas se mettre dans les difficultés. Tommy Browaeys décrit comment il a désormais une boîte à outils à sa disposition, remplie de toutes sortes de techniques pour déterminer lui-même le rythme de sa vie et de son travail. On y trouve notamment le yoga, la pleine conscience (mindfulness), la semaine de quatre jours, le sport et l’écriture. “Le plus difficile est encore de faire arrêter le TGV”, dit Myriam Vandenbroeke. “En raison du sentiment de culpabilité. Les hypersensibles sont souvent des collaborateurs très loyaux, motivés et méticuleux, qui ont du respect pour leur employeur. Jusqu’à ce qu’ils remarquent que leur corps proteste. Comme leur corps ne veut plus continuer, le ressort lâche. Ce n’est qu’alors qu’ils se demandent s’ils ne sont pas trop perfectionnistes ou trop sévères envers eux-mêmes, ou qu’ils s’enquièrent de leurs valeurs personnelles et de leurs besoins. Comme ils ont le regard tellement orienté vers l’extérieur, il leur est particulièrement difficile de s’arrêter. Ils souffrent physiquement et émotionnellement. Dans ce cas, la seule réponse est la pleine conscience, le yoga, ralentir, prendre du temps et de l’espace pour soi-même. Le burn-out est un problème d’énergie.”

Dans le monde de l’entreprise, des sujets comme la pleine conscience trouvent de plus en plus d’accès, mais ils ne sont de loin pas encore un sujet de conversation évident. Certainement au niveau du top management, la pleine conscience est rapidement cataloguée de nébuleux ou bizarre. “Au mieux d’amusant” dit Mien Gheyssens. “Si vous dites à des managers qu’on fera de la pleine conscience au cours de la session suivante, ils ne reviendront plus. Si vous dites simplement qu’on fera un bref exercice de respiration, par la suite, ils témoignent tous de combien cela leur a fait du bien.”

Tommy Browaeys, Wake-up call, Witsand Uitgevers, 176 pages., 19,95 euros Elke Van Hoof, Hoogsensitief, Lannoo Campus, 200 pages., 24,99 euros

Trois questions à un collaborateur hypersensible

Lorsque Tommy Browaeys a connu un burn-out, il a découvert qu’il était hypersensible. L’homme d’une quarantaine d’années, un employé de Roularta (l’éditeur de ce papier) a écrit son témoignage dans un livre et sur le blog waarjewerkelijkademt.wordpress.com.

Quel conseil donneriez-vous au Tommy Browaeys d’il y a quelques années afin de prévenir le burn-out ?

Tommy Browaeys: “Première règle de base: soyez attentif à votre propre sécurité. Si vous êtes très empathique, le risque existe que vous portiez trop les émotions d’autres personnes. Certainement si, comme moi, vous êtes également introverti et que vous n’évacuez pas facilement ces émotions. Il y a moyen d’essayer de les canaliser. Paulo Coelho a dit un jour que dire non à quelqu’un d’autre c’est dire oui à soi-même. En prenant plus de distance par rapport aux autres, j’ai même l’impression d’être plus que jamais présent pour les autres.

“Comment je m’y prends pour prendre plus de distance ? En travaillant à quatre cinquième, je peux mieux garder mon propre rythme. La pleine conscience (mindfulness), le fait de mieux veiller à mes propres limites et à l’expression de mes sentiments sur mon blog, m’y aident aussi. Ecouter votre corps vous aide à veiller à vos limites. En 2013, j’ai eu un premier avertissement en attrapant une infection pulmonaire alors que j’étais sportif et en bonne santé.”

‘Nivea’ est le nom que vous donnez à une leçon essentielle pour les personnes hypersensibles: ‘ne pas penser à la place d’un autre’. Comment faites-vous cela ?

Tommy Browaeys: “Si vous êtes empathique, vous pouvez bien évaluer les avantages et les inconvénients des situations. Je ressens bien les situations, mais lorsque j’ai sombré dans mon burn-out, j’ai commencé à interpréter trop rapidement ce que d’autres personnes pensaient sans vérifier si cela était bien exact. Vous prenez vos suppositions pour des réalités, de telle sorte que vous commencez à vivre dans votre propre réalité. Si vous ne parlez alors pas de ces émotions, vous devenez une bombe à retardement, qui explosera tôt ou tard.”

Qu’est ce que les entreprises peuvent améliorer ?

Tommy Browaeys: “Une culture d’entreprise transparente, dans laquelle chacun peut être lui-même et où on n’a pas besoin de porter un masque, c’est très important. Tout comme se sentir valorisé et relié aux autres dans la société.”

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