La stratégie liégeoise pour attirer les biotechs internationales
Le CHU, l’Université de Liège et Meusinvest créent B2H (Bridge to Health) pour formaliser leur collaboration et se tourner de manière plus offensive encore vers les entreprises du secteur des sciences du vivant.
Vous voulez un journal des bonnes nouvelles ? Abonnez-vous peut-être à celui des entreprises liégeoises dans le domaine de la santé. Un jour, il annonce la venue des Autrichiens de Miracor (équipement médical en cardiologie), un autre celle des Néerlandais d’Oncoradiomics (imagerie médicale), ou des Français de PDC*line Pharma (traitement du cancer), et même l’arrivée des Australiens de Clarity (radiopharmacie) et des Américains de Mitral Technologies (cardiologie). Une telle accumulation de bonnes nouvelles économiques ne peut provenir du seul hasard ni même de quelques généreux subsides. Elle répond, en l’occurrence, à une stratégie concertée des financiers de Meusinvest avec le CHU de Liège et l’Université de Liège, stratégie que nous allons essayer de vous expliquer.
Les trois acteurs sont désormais réunis sous la structure B2H (pour Bridge to Health, ou pont vers la santé) qui formalise les contacts privilégiés qu’ils entretiennent depuis plusieurs années. Un tel triptyque est déjà, en soi, original. L’élément sans doute décisif est la présence en son sein d’un hôpital universitaire résolument tourné vers l’entreprise.
Sur le site du CHU, on retrouve bien évidemment l’expertise scientifique, notamment dans l’oncologie et la thérapie cellulaire (la plateforme d’imagerie médicale du cyclotron pourrait y déménager bientôt). A cela s’ajoutent une infrastructure dédicacée aux essais cliniques, avec notamment une unité de production d’échantillons de médicament labellisée par l’Europe, et la fameuse tour Giga, dont les laboratoires hébergent quantité de start-up naissantes. ” Elles peuvent venir y faire leurs premières manipulations dans un environnement académique qu’elles ne pourraient jamais se payer sans cela, explique Julien Compère, administrateur délégué du CHU. Ces sociétés, qui ont besoin de beaucoup de cash pour financer leurs recherches, ne doivent pas dépenser leur argent dans de la brique. Sur un même site, elles peuvent donc trouver les liens avec le patient et avec la recherche. ”
Les infrastructures permettent, en outre, de continuer à héberger ces entreprises à différents stades de leur développement, y compris les salles blanches indispensables à la recherche pharmaceutique. Quelque 20 millions d’euros ont été investis à cet effet pour le réaménagement par la société Accessia des anciens bâtiments R&D de Colgate à Herstal.
Douze start-up étrangères sur les rangs
Très bien, mais l’université avait-elle besoin de s’allier avec une structure financière, en l’occurrence Meusinvest, pour mieux intégrer l’hôpital, la recherche et l’économie ? ” Généralement, les chercheurs ne sont en contact avec l’ invest que tardivement, après avoir conçu une technique ou un produit innovant, répond Eric Haubruge, vice-recteur de l’Université de Liège. Si ces acteurs financiers se rapprochent de la recherche et suivent de plus près les initiatives des médecins, nous pourrons encore mieux valoriser économiquement leur travail ensuite. ”
Nous avons donc des infrastructures, de l’expertise scientifique et un acteur financier. Et ce n’est pas tout. Au fil des ans, les acteurs ont en effet développé un support technique pour l’analyse des business plans, le montage des dossiers de subsidiation et autres aides administratives. B2H peut ainsi proposer un service vraiment complet aux entrepreneurs potentiels. ” Nous avons l’ambition d’être le meilleur nid pour accueillir une société qui naît ou qui croît dans les sciences du vivant, concède Marc Foidart, directeur général adjoint de Meusinvest. Tout le monde a pris conscience que les sciences du vivant étaient un beau moteur de redéploiement de la région. ”
Et manifestement, ça marche. On le voit à travers les chiffres d’emplois, de créations d’entreprises ou d’évolution du chiffre d’affaires (+ 50 % en huit ans pour les entreprises matures, c’est-à-dire ayant atteint le stade de la commercialisation d’un produit). Cet écosystème attire des sociétés internationales et le filon ne se tarit pas puisque B2H est en négociations avec une douzaine d’entreprises étrangères (Danemark, France, Israël, Italie, Pays-Bas, Suisse et Etats-Unis) prêtes à s’installer à Liège. De quoi, espérons-le, remplir quelques pages du journal des bonnes nouvelles en 2018. Sans compter que plusieurs sociétés sont en phase de pré-commercialisation et devraient donc bientôt réellement décoller. Et de citer Artialis (santé articulaire), DIM3 (médecine connectée), Synoline (santé articulaire) et Whisbone (reconstruction osseuse).
Effet boule de neige pour les sous-traitants
L’effet d’entraînement se manifeste aussi au niveau local. Les cursus universitaires en sciences biomédicales et en chimie ” explosent “, selon Eric Haubruge, et la volonté de traduire cela en un ” parcours entrepreneurial ” est de plus en plus présente parmi les étudiants. Pionnière dans l’encadrement des étudiants-entrepreneurs avec le Venture Lab, l’Université de Liège a par ailleurs créé le fonds Boost qui permet de financer quelques initiatives imaginées par des étudiants ou du personnel de l’institution. C’est ainsi, par exemple, que l’application Communicare a été développée et a donné lieu à la création d’une spin-off en 2017. Communicare vise à fluidifier les communications entre patients et soignants, d’abord dans le cadre de maladies chroniques. Trois autres spin-off ont émergé l’an dernier à Liège dans le domaine des sciences du vivant, tandis que Meusinvest accueillaient la naissance de deux start-up issues de recherches privées. ” Cela montre bien la poursuite d’une dynamique forte dans notre secteur “, analyse Marc Foidart.
La belle histoire économie ne s’arrête pas là. Les entreprises des sciences du vivant sous-traitent énormément d’activités (équipement, etc.) et la présence de Meusinvest aide à les aiguiller principalement vers des sous-traitants régionaux. ” C’est une sorte de contrat moral que nous passons avec les investisseurs, explique Marc Foidart. A conditions économiques équivalentes, ils travaillent d’abord avec les entreprises régionales. Notre mission est alors de bien mailler ce tissu d’entreprises pour que quand un investisseur autrichien, français ou autre s’implante ici, il ne passe pas son temps à chercher à quelle porte frapper pour trouver de bons sous-traitants. ” Meusinvest recense des projets d’investissement dans les sciences de la santé à Liège à hauteur de 210 millions d’euros sur les trois prochaines années. Le défi est d’arriver à ce qu’au moins 70 % de ce montant profite à des sous-traitants wallons.
“Ceci n’est pas une déclaration de guerre”
Oui, ils ont bien dit ” wallons ” et non ” liégeois “. Car jusqu’ici, on s’interrogeait : la belle histoire liégeoise ne serait-elle pas in fine une très mauvaise nouvelle pour Charleroi et son Biopark, qui chassent plus ou moins sur les mêmes terres ? ” Le lancement de B2H n’est en aucun cas une déclaration de guerre, assure Eric Haubruge. Notre structuration vise à rassembler un cordon d’acteurs pour gagner en visibilité et en rapidité. ”
Les trois acteurs liégeois voient leur structure comme un acteur de deuxième ligne, derrière l’Awex pour la recherche d’investisseurs étrangers et derrière Biowin et Walbio qui fédèrent la recherche collective. Quand un projet est ainsi ” ferré “, il passe ensuite vers les écosystèmes locaux au sein desquels les acteurs se connaissent, se parlent quasi tous les jours et où les atouts concrets (la présence de tel spécialiste, de tel fournisseur potentiel, de telle start-up complémentaire) peuvent être mis en avant. ” Un tel niveau de coordination ne peut être mené à l’échelle de toute la Wallonie, estime Julien Compère. Cela permet d’avoir une grande réactivité. Dans un secteur gros consommateur de cash, comme les sciences du vivant, tout ce qui peut faire gagner du temps est décisif. Cela ne doit évidemment pas nous empêcher d’avancer d’abord sous la bannière wallonne. Nous ne sommes que 3,5 millions dans un monde économique qui est, au minimum, à l’échelle européenne. Sans vision commune, nous n’existons pas. ” Traduction chiffrée par Marc Foidart : ” Au lieu d’attirer 10 entreprises et d’avoir mal au ventre car il y a en six d’un côté et seulement quatre de l’autre, on essaie d’en attirer ensemble 20. Et même si elles se répartissent en 8-12, les deux pôles sont gagnants. ” Il assure qu’il renvoie de beaux projets de thérapie cellulaire vers Charleroi et que l’inverse se produit avec les sociétés de matériel médical.
Trop joli pour être vrai ? On a vérifié auprès des parcs potentiellement ” concurrents ” et manifestement, l’initiative liégeoise est plutôt perçue d’un bon oeil. ” Nous avons aussi organisé tout un écosystème avec Saint-Luc, des incubateurs, des fonds de financement, des liens avec Bruxelles, confie Nathalie Fally, responsable des relations Entreprises-Université au Louvain-la-Neuve Science Park. Avoir des offres structurées dans différents bassins, c’est plutôt une bonne chose. Cela montre un paysage plus cohérent sur l’ensemble du territoire wallon. Cela permet en outre la comparaison, avec un effet d’émulation. ”
Attention aux risques de délocalisation
Il reste malgré tout un dernier point susceptible de transformer les bonnes nouvelles en mauvaises : le risque inhérent aux investissements dans les biotechnologies. Tous les projets, loin de là, ne conduiront pas à des succès mais ceux qui y arrivent peuvent ambitionner des retours exceptionnels. ” Quelques succès vont ‘dé-risquer’ le portefeuille et permettent d’envisager une vraie politique économique, basée sur l’emploi et la valeur ajoutée “, assure Marc Foidart, qui souligne que Meusinvest a déjà réalisé quelques beaux exits, par exemple à travers le MBO de Trasis (leader de son segment en radiopharmacie, désignée entreprise prometteuse de l’année) et que certaines plus-values latentes sont très intéressantes.
” Dans les sciences du vivant, il existe des freins à la délocalisation, poursuit le directeur général adjoint de Meusinvest. Quand un médicament est reconnu par les autorités, il est qualifié dans une usine spécifique. Les études cliniques de phase III d’un médicament comme Estelle ( nouveau contraceptif de Mithra, Ndlr) coûtent 150 millions d’euros. Avant de délocaliser et de recommencer une partie du processus, on y réfléchit à deux fois. ” L’autre frein aux délocalisations, c’est l’écosystème en lui-même : plus une région offre d’atouts combinés (aides financières, expertise, partenaires cliniques, etc), moins une entreprise aura de possibilités de trouver un environnement équivalent.
” J’ai publié plus de 400 articles scientifiques et je peux en conclure que pour qu’une découverte médicale soit appliquée, il faut qu’une entreprise la prenne en main. ” Philippe Lambin, radio-oncologue et professeur à l’université de Maastricht, a franchi le pas et a fondé plusieurs start-up pour le plus grand bonheur de l’écosystème… liégeois. Il y a en effet déjà implanté deux entreprises et songe à une troisième pour l’an prochain. ” Nous avons évidemment regardé ailleurs mais nous avons été séduits par l’écosystème liégeois, nous confie Philippe Lambin. Ils ont une vision à long terme et cherchent plus à enraciner les start-up qu’à réaliser rapidement un bel exit. Meusinvest nous a par ailleurs mis en relation avec un intéressant réseau d’investisseurs privés. ”
Philippe Lambin a récemment amené Oncoradiomics dans la Tour Giga du CHU. Cette entreprise de 12 personnes a développé un logiciel innovant de lecture de l’imagerie médicale, permettant de détecter des infos invisibles pour l’oeil humain. Cela facilite et accélère le diagnostic et le traitement correct pour chaque patient pour le cancer et d’autres pathologies. Cette technologie a donc un joli potentiel de développement. Oncoradiomics a par ailleurs développé une solution permettant d’analyser des milliers d’images médicales sans que celles-ci ne quittent l’hôpital d’origine. Cela répond au défi crucial de la protection de la vie privée des patients.
Auparavant, le professeur Lambin avait conduit Convert Pharmaceuticals vers Liège. Cette firme développe une molécule, susceptible de renforcer ou de compléter les traitements actuels contre le cancer. Elle utilise des molécules activées en l’absence d’oxygène pour s’attaquer à des zones tumorales réfractaires aux traitements classiques.
Cinq à sept nouvelles biotechs chaque année
Le nombre d’entreprises liégeoises actives dans les sciences du vivant augmente de cinq à sept unités chaque année. On en recense actuellement une septantaine, dont 44 sont soutenues financièrement par Meusinvest. Septante pour cent d’entre elles ont moins de 15 ans, 25 % ont moins de 5 ans.
Plus de 2.000 emplois sur Liège
Les effectifs des biotechs liégeoises ont augmenté de 50 % en moins de 10 ans, pour dépasser désormais les 2.000 emplois directs (managers indépendants inclus). L’emploi dans le secteur augmente de quelque 120 unités par an et l’objectif est d’arriver rapidement à 200 emplois nets par an.
210 millions d’investissements dans les trois ans
Les plans présentés par les différentes entreprises laissent augurer quelque 210 millions d’investissements dans les biotechs liégeoises sur les trois prochaines années. Plus de 70 % de ce montant devrait revenir à des sous-traitants et fournisseurs wallons.
Meusinvest a investi 80 millions dans le secteur
Sur les cinq dernières années, l’ invest a injecté 80 millions d’euros (2/3 en equity, 1/3 en prêts) dans des entreprises des sciences du vivant. Les chiffres augmentent d’année en année, indiquant ” une accélération de la dynamique ” de ce secteur.
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