Hong Kong, nouvelle place mondiale du vin

© Image Globe/EPA

En quelques années, l’ancienne colonie britannique est devenue un carrefour mondial des ventes de grands crus. Et la plus importante place d’enchères des millésimes de la planète !

Lustres en cristal, miroirs géants aux encadrements dorés, moquette claire… Dans la kitschissime ballroom (“salle de bal”) du Shangri-La de Hong Kong, John Kapon connaît son rôle par coeur. “Que quelqu’un remplisse mon verre !” hurle avec un lourd accent new-yorkais le président d’Acker Merrall & Condit, leader mondial des ventes aux enchères de grands crus.

Le vendredi 4 novembre, John Kapon est monté lui-même à la tribune orchestrer la dispersion de la légendaire collection Don Stott (des bourgognes rares). Il trinque à chaque fois qu’il attribue, d’un coup de marteau, de fabuleux lots – Romanée-Conti, Georges Roumier, Henri Jayer, Louis Jadot, Leroy, Dujac, etc. – à une grosse centaine de riches amateurs, dont une majorité de Chinois. Les étiquettes magiques défilent. Les caisses de bois de 12 bouteilles s’envolent à des prix ahurissants : 4.000, 6.000, 10.000, 25.000 euros pièce. Une caisse de DRC La Tâche 1990 est même adjugée à plus de 50.000 euros ! Ce jour-là, Acker Merrall vendra pour plus de 10,5 millions d’euros de grands vins français.

De telles ventes ont lieu toutes les deux ou trois semaines, dans les palaces de l’ancienne colonie britannique. Lafite, Petrus, Yquem s’y arrachent comme des oeuvres d’art. Christie’s et Sotheby’s, les deux géants mondiaux, ont ouvert des bureaux à Central, le quartier d’affaires aux 1.000 buildings. Pour concurrencer Acker, Christie’s s’est offert les services de Simon Tam, icône de l’expertise viticole en Asie. De son côté, Sotheby’s a conclu avec LVMH la vente de quelques magnums rarissimes, dont des Krug Clos du Mesnil. Chaque mois, les records tombent. Cette année, la palme revient, pour l’instant, à 12 bouteilles Henri Jayer Richebourg 1978, cédées 160.000 euros.

Que se passe-t-il donc dans la ville-Etat ? Une révolution. Voilà moins de cinq ans, les autorités ont décidé de donner une nouvelle identité à la mégalopole. Et en ont fait une plate-forme incontournable du commerce de grands vins. Malgré la crise mondiale, les plus belles étiquettes continuent à faire tourner les têtes. Leur indice boursier, le Liv-ex (sorte de CAC 40 des grands crus cotés à Londres), a ainsi grimpé de 40 % depuis le début de 2008.

Cette année-là marque le début d’un programme économique bien particulier, baptisé Wine Hub (“plaque tournante des grands vins”). Hong Kong abolit alors l’ensemble de ses taxes sur les importations, codifie strictement les règles de conservation de ces précieuses bouteilles et assouplit les délais de réexpédition des lots de vins vers la Chine intérieure. Objectif non avoué : se substituer à Londres, ville où dorment les plus grandes réserves de la planète et où les milliardaires orientaux collectionnent les trésors de 2005, 2009 et 2010.

La capitale britannique peut désormais trembler. En trois ans, la valeur des importations de crus prestigieux via Hong Kong a triplé (elle sera proche de 900 millions d’euros cette année). “En 2007, les importateurs installés ici n’étaient encore qu’une poignée. A présent, ils sont plus de 300”, explique Johnny Wan, de la chambre de commerce de Hong Kong. Dix-huit centres de stockage de grands millésimes ont été agréés. Ils recèlent des millions de bouteilles, à l’image des étonnants Crown Wine Cellars, installés dans le labyrinthe intérieur d’un ancien fort de l’armée de Sa Majesté. A ce jour, Hong Kong a déjà détrôné New York et Londres en tant que principale place d’enchères au monde.

Derrière cet étonnant projet, un homme : Henry Tang, 59 ans, chief secretary for administration sortant (sorte de Premier ministre). Ce riche homme d’affaires formé aux Etats-Unis, mais aux liens avérés avec Pékin, est également un des plus importants collectionneurs de grands crus. Il a poussé les pouvoirs publics et le lobby industriel à faire de l’archipel une “capitale” asiatique du vin. Et sous son impulsion, la chambre de commerce a aussi pu développer la manifestation du continent, devenue incontournable : la Wine Fair. L’édition 2011 vient de s’achever dans l’euphorie, avec un millier d’exposants venus de toute la planète.

“L’endroit où il faut être”

Ce “mondial” succède au Wine & Dine Festival, méga-fête populaire qui surfe sur cette nouvelle culture du vin, bel et bien perceptible en ville. “Ici, il y a un avant et un après Wine Hub. Notre chiffre d’affaires a tout simplement doublé depuis 2008”, constate Simon Staples, directeur du marketing de Berry Bros. Ce caviste, à l’enseigne adoubée par Buckingham Palace depuis trois siècles, est désormais installé à Hong Kong, dans de superbes locaux du quartier de Wan Chai.

“Hong Kong ? C’est tout simplement l’endroit où il faut être”, affirme Olivier Thiénot, un Français, créateur de l’Ecole du vin, dont la première session hongkongaise a eu lieu durant la Wine Fair 2011. Les 7 millions d’habitants de l’île sont devenus les plus gros consommateurs de vin en Asie (4,3 litres par an et par personne, deux fois plus qu’à Tokyo). Dans les centres commerciaux, les bars à dégustation fleurissent.

Au gigantesque Cityplaza, on peut ainsi trouver dans la partie restaurant du magasin Agnès b., une riche carte de vins bio. Le vin comme moteur de la croissance ? L’idée peut paraître surprenante. Pourtant, la chambre de commerce a calculé que le projet devrait rapporter près de 300 millions d’euros par an à l’économie de la cité, dès 2014. Dans cette optique, la ville compte aussi devenir une référence en gastronomies mondiales.

In fine, Hong Kong ne peut pas rester un simple Wine Hub, car Singapour a les moyens de nous concurrencer”, soutient Shaine De Venny, dirigeante locale de Moët Hennessy Diageo. Egalement patronne du lobby des spiritueux en Asie, elle vient de demander à son tour la suppression des taxes sur les alcools. Pas de doute, si Henry Tang, candidat à la magistrature suprême, est élu en 2012, on verra surgir un… “Spirit Hub”, pour capter l’énorme marché asiatique des spiritueux.

Benoist Simmat

Le bureau-cave du milliardaire

Pénétrer dans le bureau d’Andrew Liu, PDG d’Unitas Capital (un fleuron du capital-investissement), au 30e étage de l’International Financial Center, c’est risquer la pneumonie. “Je climatise à 12-13 degrés, comme une cave, car, voyez-vous, j’ai des caisses de vins qui arrivent du monde entier tous les jours… Mes collaborateurs viennent me voir en manteau !” s’amuse l’espiègle banquier.

Avec plusieurs dizaines de milliers de bouteilles stockées dans l’île, mais aussi à Londres et à Singapour, Liu est l’un des hommes les plus riches de la ville-Etat. Il fait partie du top 10 de ces fameux collectionneurs hongkongais dont la chambre de commerce affirme qu’ils possèdent, à eux seuls, un cinquième des réserves mondiales. “J’ai commencé à déguster du vin à l’âge de 14 ans, je suis devenu amateur, puis collectionneur. Henry Tang m’a notamment initié aux grands bourgognes”, se souvient celui qui voue un culte à Henri Jayer, signature mythique (et hors de prix) dont il affirme posséder “quelques milliers” de bouteilles.

Le banquier a apporté avec lui plusieurs crus, des vins français uniquement (“le reste n’est pas comparable”) : Romanée-Conti 1999, Lafleur 1989, Petrus 1971, etc. “Oui, Petrus, dit-il, c’est au bout d’une trentaine d’années qu’il faut commencer à le boire.”

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