Bruxelles à la conquête de l’Afrique
Très inhabituelle, la mission économique que la princesse Astrid préside cette semaine à Abidjan : pour une fois, les hommes d’affaires bruxellois sont les plus nombreux. Attirés par la success-story ivoirienne, pourtant fragile ?
Une mission économique princière a un petit côté arche de Noé. S’y mêlent de vieux habitués qui connaissent tout le monde et des néophytes en prospection. Des dirigeants d’entreprises qui sont là pour signer des contrats et d’autres à l’affût des projets des bailleurs de fonds et des opportunités d’affaires qui en découlent. Il y a ceux qui découvrent le pays et ceux qui y ont déjà des intérêts. Ceux qui cherchent des partenaires locaux potentiels lors de rencontres “B2B” (business to business) et ceux qui s’inscrivent aux déjeuners “B2G” (business to governement).
Présidée par la princesse Astrid, la délégation belge en visite cette semaine à Abidjan est une parfaite illustration de cette diversité. On y trouve des directeurs de grands groupes du secteur de la construction, du dragage, de l’assainissement, mais aussi des patrons de PME qui tentent d’exporter du pain d’épices ou des machines à fabriquer du chocolat. S’y joignent des entreprises qui voient dans la mission une occasion de rencontrer d’autres sociétés belges dont elles pourraient être complémentaires sur le marché africain subsaharien. Ou encore une belle brochette de juristes en quête de clients parmi les hommes d’affaires belges. “Notre expertise peut les aider à éviter les faux pas lors de la rédaction des contrats”, explique l’un d’eux.
Priorité à l’Afrique francophone
Au total, plus de 200 dirigeants de quelque 140 entreprises belges participent à la mission. Pour une fois, Bruxelles est la Région la mieux représentée : elle réunit plus de 40 % du total des inscrits (90 participants représentant 55 entreprises et organisations). Il est vrai que le gouvernement bruxellois a décidé de faire de l’Afrique une priorité. “La Flandre met l’accent sur les relations avec l’Asie, la Wallonie s’intéresse beaucoup à l’Amérique latine, alors Bruxelles choisit l’Afrique, en particulier l’Afrique de l’Ouest”, observe un attaché commercial.
Cécile Jodogne, secrétaire d’État bruxelloise au commerce extérieur (Défi), insiste plutôt sur la dimension francophone : “Par l’histoire et une langue communes, nous avons un espace de relations économiques privilégiées. Il est naturel que nous accordions de l’importance aux opportunités commerciales entre des entreprises bruxelloises et des partenaires africains francophones.” L’accessibilité géographique est aussi mise en avant, facilitée par l’offre de vols depuis Bruxelles et par l’absence de grands décalages horaires entre la Belgique et l’Afrique.
Dans la foulée de la mission princière en Côte d’Ivoire, la secrétaire d’État se rend au Burkina Faso, accompagnée par certains managers bruxellois. Puis, fin novembre-début décembre, elle ira en Algérie et en Tunisie. L’an prochain, ce sera la tour du Sénégal, du Nigéria, du Congo Brazzaville, du Cameroun et du Maroc. “L’ensemble des pays francophones et francophiles représente 16 % du PIB mondial, signale-t-elle. La francophonie économique peut offrir des opportunités pour ceux qui souhaitent développer des activités commerciales dans cet espace.”
L’émergence pour 2020 ?
Les liens commerciaux étroits tissés avec la Côte d’Ivoire se vérifient à la lecture des chiffres : la Belgique est le 2e exportateur européen de marchandises vers la Côte d’Ivoire (derrière la France) et le 2e importateur européen (après les Pays-Bas). Le commerce du cacao et celui du matériel de transport pèsent lourd dans ces échanges. Les ministres et diplomates belges présents à Abidjan vantent la “stabilité institutionnelle” de la Côte d’Ivoire, qui devrait rassurer les investisseurs belges, et la croissance économique ivoirienne (proche des 8% l’année dernière), qui accentue la demande locale de services et d’investissements en infrastructures. Des routes et des ponts sont rénovés, le port d’Abidjan s’agrandit, les projets se multiplient, avec à la clé de gros contrats, surtout raflés par les groupes français, chinois et marocains.
L’inflation, l’endettement et le déficit budgétaire maîtrisés, le président Alassane Dramane Ouattara (“ADO”) peut poursuivre sa politique économique très libérale business friendly. Pour autant, le rythme des réformes visant à améliorer le climat des affaires s’est ralenti. Les recettes fiscales et d’exportations de la Côte d’Ivoire ont été frappées par la chute des cours internationaux du cacao, première source de revenus du pays. De plus en plus de voix, à Abidjan, jugent que l’objectif de l'”émergence” annoncé pour 2020 et martelé par les dirigeants ivoiriens devant la délégation belge n’est qu’un voeu pieux, un slogan destiné à rassurer les investisseurs. Cette année, les troubles sociaux et les mutineries de soldats ont révélé le mécontentement qui couve et ont terni l’image du gouvernement. “Les réseaux de clientélisme développés pendant la guerre civile restent manifestes dans les cercles proches du pouvoir et pourraient exacerber les tensions politiques, notent les experts de Credendo, l’assureur-crédit belge. La réconciliation d’après-guerre progresse trop lentement et pose un risque majeur.” Credendo classe le risque politique du pays en catégorie 6 sur une échelle qui compte 7 niveaux.
Une “mission princière”, c’est quoi ça ?
Quand les plus hautes autorités ivoiriennes ont été contactées afin de préparer la mission économique belge à Abidjan, celles-ci n’ont pas su sur quel pied danser, nous glisse-t-on. A mi-chemin entre une visite d’Etat et un déplacement d’hommes d’affaires chapeauté par la Fédération des entreprises de Belgique, la “mission princière” est un concept typiquement belge qui n’a pas été bien compris en Côte d’Ivoire, pays où l’on se soucie beaucoup du respect du protocole. Le chef de l’État ivoirien devait-il recevoir la délégation ? Confronté au flottement des responsables du pays quant à l’importance de la mission belge, l’ambassadeur de Belgique à Abidjan a appelé à la rescousse Cécile Jodogne, secrétaire d’État bruxelloise au commerce extérieur. D’où sa mission préparatoire d’avril dernier dans la capitale économique ivoirienne. En fin de compte, la princesse Astrid et les ministres fédéraux et régionaux belges ont été reçus successivement, cette semaine, par le vice-président, le Premier ministre et le président ivoiriens, soit les trois pôles de l’exécutif.
Olivier Rogeau, à Abidjan
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