Transaction pénale : aucune transparence

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Payer pour échapper à un procès : la mesure controversée devait être évaluée avant la fin de la législature. La ministre Turtelboom ne le fera pas. Interpellant.

On se souvient de la controverse qu’avait suscitée la nouvelle loi sur la transaction pénale, cette mesure qui permet d’éviter un procès public contre le payement d’une somme d’argent négociée très discrètement avec le parquet. En juin 2011, entrait en vigueur la transaction pénale élargie à davantage de crimes et délits, notamment aux matières fiscales. Cela arrangeait les délinquants financiers de pouvoir échapper non seulement aux caméras à l’entrée du tribunal, mais aussi à un casier judiciaire en cas de condamnation. La conclusion d’une transaction pénale a pour effet d’éteindre définitivement l’action publique. Selon la nouvelle législation, il est possible de négocier un accord financier à tout moment de la procédure, même lorsque le dossier est examiné par une juridiction de fond.

Les pragmatiques y voyaient une occasion de lutter contre l’arriéré judiciaire, surtout dans les matières financières, et de faire rentrer rapidement de l’argent dans les caisses de l’Etat. Mais nombre de magistrats et de députés ont évoqué une justice de classe, car ce sont surtout les riches qui peuvent s’offrir un tel blanchiment de leur linge sale. Les circonstances dans lesquelles la loi avait été votée avaient également défrayé la chronique, suite aux révélations de l’hebdomadaire français Le Canard enchaîné, selon lesquelles l’ex-président français Nicolas Sarkozy aurait fait accélérer le vote de la loi belge pour que Patokh Chodiev puisse en bénéficier à temps. Défendu entre autres par le sénateur Armand De Decker (MR), le milliardaire kazakh était poursuivi dans l’affaire Tractebel. Il est le tout premier à avoir négocié une transaction pénale “nouvelle version” avec le parquet, en juin 2011, pour 23 millions d’euros, quelques semaines après que le texte de loi a été voté à la hussarde.

“Ce dossier est un scandale”

Bref, la mesure était très critiquée. En juin 2012, la ministre de la Justice Annemie Turtelboom (Open VLD) avait dévoilé timidement quelques chiffres sous la pression du Parlement. En un an, 66 millions d’euros avaient été négociés avec le ministère public, dont 40,6 millions rien que dans le ressort judiciaire d’Anvers, celui des diamantaires, et le reste à Bruxelles principalement avec Chodiev. La ministre Turtelboom avait alors promis une évaluation fouillée de la mesure avant la fin de la législature, mi-2014. Mais voilà. Les parlementaires viennent de refermer leur attaché-case. Il n’y aura plus de session. Le 2 avril dernier, en commission des Finances, Carl Devlies (CD&V) avait pourtant demandé une séance spéciale pour que cette évaluation ait lieu. En vain. Le cabinet de la Justice nous a confirmé que rien ne serait publié.

“Je suis furieux, réagit le président de la commission des Finances Georges Gilkinet (Ecolo). Depuis le début, ce dossier est un scandale. Turtelboom s’était engagée à ce qu’il y ait une évaluation. Elle ne l’a pas fait. Cela arrange très bien la majorité. Demander une séance spéciale le 2 avril, juste avant les vacances de Pâques, était forcément voué à l’échec.” Même tonalité de la part de la présidente de la commission Justice, également concernée par la transaction pénale : “Je regrette que la promesse n’ait pas été tenue, renchérit Kristien Van Vaerenbergh (N-VA). Il était important d’évaluer cette loi, car, selon la N-VA, elle est appliquée trop largement à tous les niveaux de la procédure judiciaire, notamment après qu’un juge du fond ait estimé qu’il y a bien eu une faute. Cela pose problème. Je ne peux que déplorer ce manque de transparence.”

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