Les professionnels de la finance ont-ils vraiment changé depuis la crise de 2008 ?
Pour comprendre ce qui cloche dans le milieu de la finance, des chercheurs ont interrogé plus d’un millier de professionnels. Et les résultats ne sont pas rassurants. En effet, 20% d’entre eux seraient encore persuadés qu’il faut enfreindre la loi pour réussir…
La crise a eu depuis 2008 des conséquences désastreuses sur l’économie mondiale. Mais pas sûr que les professionnels de la finance en aient tiré les leçons. C’est en tout cas ce que prouve une étude, menée par Labaton Sucharow, un cabinet d’avocats, et des chercheurs de l’université de Notre-Dame, aux États-Unis. Parue le 19 mai, elle repose sur des interviews réalisées auprès de 1.200 personnes travaillant à la City de Londres, ou à Wall Street, à New York. Une étude similaire avait déjà été publiée en 2012, par la même équipe.
Des informations confidentielles contre dix millions de dollars
Jeunes professionnels ou seniors aguerris, banquiers d’investissement ou gestionnaires de placement, Américains, Anglais, Irlandais ou Écossais, l’enquête n’a oublié personne. Ou presque. Parmi ces professionnels, ils seraient encore nombreux à “continuer de croire que s’engager dans des activités illégales ou contraires à l’éthique serait l’une des clés du succès“. Persuadés, pour 47% d’entre eux du moins, que leurs concurrents ne reculeraient pas devant de telles pratiques pour obtenir des avantages compétitifs, ils soupçonneraient aussi leurs propres collègues d’y avoir recours. 23% le pensent en 2015, alors qu’ils n’étaient que 12% en 2012.
Si ce ne sont là que des soupçons, un quart des employés interrogés se diraient pourtant prêts à divulguer des informations confidentielles contre dix millions de dollars, à condition de ne pas risquer de poursuites judiciaires. Les professionnels qui n’exercent dans le secteur que depuis dix ans ou moins seraient deux fois plus nombreux que ceux avec plus de vingt ans d’expérience à être prêts à passer ce cap. Les femmes en revanche seraient plus raisonnables que les hommes sur ce point. Aux États-Unis, elles seraient 22% contre 27% d’hommes. Au Royaume-Uni, l’écart est encore plus criant, avec 23% contre 34%.
A qui la faute ?
Pour expliquer cette envie, certains mettent en cause des incitations à tricher, venant directement de leurs supérieurs ou de l’entreprise, qui toucheraient principalement les employés qui gagnent le plus. D’autres dénoncent aussi les structures de compensations et les plans bonus qui seraient aussi responsables de ces dérives, d’après un tiers des personnes interrogées.
Entre les lignes du rapport, on discerne un léger espoir, insufflé par la hausse du nombre de lanceurs d’alerte, et le raffermissement des procédures de conformité internes. Mais il reste par exemple dans ces dernières de nombreuses failles. Entre 25 et 28% des employés disent ainsi que des clauses ou accords de confidentialité instaurés par l’entreprise les empêcheraient de rapporter aux autorités externes des dysfonctionnements, y compris lorsqu’il s’agit de violations de la loi, locale ou fédérale. 89% des interrogés aimeraient pourtant être en mesure de pouvoir dénoncer les mauvaises conduites. Mais 37% ignorent encore qu’il existe une procédure dédiée, le programme SEC. Il permet à quiconque détient des informations sur un soupçon de fraude d’être accompagné dans sa démarche de révélation. Et de ne pas avoir à craindre, en théorie du moins, pour son emploi. Entre 19 et 24% des professionnels penseraient en effet que leur patron prendrait de sérieuses mesures de représailles après une telle action.
En avril dernier, la SEC (Securities and Exchange Commission) a entamé des poursuites contre la firme KBR Inc., basée au Texas, pour avoir tenté, à travers des accords de confidentialité, d’étouffer d’éventuels dénonciateurs.
Une chose est sûre, d’après le rapport, l’industrie des services financiers aurait encore “un long chemin à parcourir avant de regagner la confiance de son public“. Un public qui se sentirait lésé par ces banquiers, dont 27% estiment que l’intérêt du client n’est pas encore une priorité. Ceux qui gagneraient 500.000 dollars ou plus par an seraient 38% à le penser.
Perrine Signoret
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