Les mesures de la BCE, réjouissantes ou inquiétantes ?

Mario Draghi © Reuters

Toujours plus. Il semble bien que la Banque centrale européenne soit prête à injecter toujours plus de liquidités dans le système, quitte à le mettre en surpression.

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Les dernières décisions de la Banque centrale européenne (BCE) sont-elles réjouissantes ou inquiétantes ? Et surtout seront-elles efficaces pour faire redémarrer la croissance et l’inflation en Europe ? On peut s’interroger…

Que veut la BCE ?

La BCE a un objectif statutaire (assurer la stabilité des prix, ce qui signifie dans les faits agir de telle sorte que les prix à la consommation, sur le moyen terme, affichent une hausse annuelle proche de 2%).

Mais même si cela n’est pas dans son contrat, la BCE est décidée aussi à aider à relancer l’économie. De diverse manière. Elle désire ainsi abaisser les taux, afin de soulager ceux qui ont des dettes (notamment les Etats) et d’inciter ceux qui ont des projets à emprunter. Elle veut aussi injecter des paquets d’argent frais dans l’économie. On connaît le système, appelé quantitative easing : la BCE achète aux investisseurs (banques, assureurs, fonds de pension) des paquets d’obligations en créant de l’argent. Et elle espère que ces investisseurs utiliseront cet argent frais pour investir dans de nouveaux projets, ce qui soutiendrait la croissance économique. Et la BCE veut aussi, c’est le côté “guerre des devises”, affaiblir l’euro pour donner de l’air aux entreprises exportatrices.

Est-ce efficace ?

Non, juge Eric Dor, Directeur des Etudes économiques de l’IESEG School of Management (Université de Lille). Pour plusieurs raisons. D’abord parce que la BCE a peu de prise sur la mécanique qui empêche l’inflation de remonter. “L’inflation très faible, ou même négative dans certains pays de la zone euro, est en réalité causée essentiellement par des facteurs qui sont en dehors du contrôle de l’action des banques centrales, dit-il”. Ce qui pousse aujourd’hui les prix vers le bas, c’est en effet la chute des prix des matières premières et du pétrole en particulier, mais aussi des facteurs plus fondamentaux : la robotisation croissante de l’économie et l’ouverture de l’économie européenne qui accroît la concurrence avec les pays à bas salaires.

Et puis, sur le front de l’inflation, les Européens sont schizophréniques. Ils voudraient plus d’inflation, mais font tout pour qu’il n’y en ait pas. ” Il y a une contradiction majeure dans le chef de la majorité des dirigeants politiques européens, qui se plaignent des tendances déflationnistes alors qu’elles sont en grande partie le résultat attendu de politiques qu’ils ont menées délibérément depuis longtemps, souligne Eric Dor”. L’Union européenne s’est en effet élargie à aux pays de l’Europe centrale et de l’Est qui pratiquent encore de bas salaires, signe des traités commerciaux avec des pays émergents, promeut des mesures de flexibilisation salariales (qui sont même rendues obligatoires pour les pays aidés par le fonds de secours européen)…

Ensuite parce que, on le voit, le crédit n’est pas tellement sensible à la baisse des taux : il ne redémarre pas vraiment à cause des opérations de la BCE. Anton Brender, Eric Dor, Georges Ugeux… nombreux sont ceux qui soulignent que ce qui pousse un chef d’entreprise à investir, ce n’est pas la baisse des taux, mais le contexte et les opportunités d’investissement. En outre, ajoute Eric Dor, les taux d’endettement du secteur privé en Europe restent très élevés (surtout dans les pays périphériques). Dès lors, une politique monétaire visant à octroyer davantage de crédit n’a pas beaucoup d’effets, puisque les entreprises et les ménages ne peuvent pas augmenter un endettement déjà au plafond. De plus, une politique de taux négatifs a des effets contradictoires : cela donne sans doute de l’air en effet aux acteurs (pouvoirs publics, ménages, entreprises) qui sont endettés et pourrait donc permettre quand même de relancer un peu de croissance. Mais cela réduit la consommation de la masse de plus en plus grande de retraités qui vivent des revenues de leur épargne.

Quant à l’effet de la baisse de l’euro sur les exportations, il n’est pas évident. Selon Eric Dor, “l’amélioration de la croissance en zone euro est surtout due à la baisse des prix de l’énergie qui a donné du pouvoir d’achat pour relancer la consommation, et au relâchement des politiques d’austérité par les gouvernements. Il faut noter l’absence d’accélération des exportations, alors que l’euro s’est déprécié ! Le ralentissement des pays émergents pèse sur le commerce international.”

Un impact nul

L’impact nul, voire néfaste parce qu’il crée d’énormes déséquilibres, de ces politiques monétaires très aventureuses, en Europe mais aussi au Japon ou aux Etats-Unis a d’ailleurs été dénoncé par Joseph Stiglitz, dans un récent article dans lequel le prix Nobel d’économie se demandait pourquoi la croissance mondiale ne redémarrait pas malgré ces injections massives d’argent très bon marché. “Dans 17 des 20 plus grandes économies, la croissance des investissements était plus faible après la crise de 2008 que dans les années qui l’ont précédée. Et pour 5 d’entre elles, les investissements ont diminué durant la période 2010-2015.Beaucoup d’entreprises ont emprunté pour profiter de taux d’intérêt très faibles. Mais, plutôt que d’investir, elles ont utilisé les sommes empruntées pour racheter leurs propres titres ou se procurer d’autres actifs financiers. Ainsi le relâchement monétaire a-t-il favorisé une augmentation marquée de l’endettement, de la capitalisation boursière et des gains du secteur financier”, souligne Joseph Stiglitz.

On le voit encore aujourd’hui. La décision de la BCE a fait monter les Bourses ce jeudi et réjouit les gestionnaires de fonds. Mais est-ce qu’elle va pousser les ménages à consommer ou les entreprises à investir ?…

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