Goldman Sachs: les incroyables enregistrements d’une employée de la Fed

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Carmen Segarra, une ancienne inspectrice de la Fed, avait enregistré les discussions qu’elle avait avec ses supérieurs et les banquiers de Goldman Sachs qu’elle était chargée de surveiller. Les compromissions entre le contrôleur et le contrôlé sont étalées noir sur blanc.

Elle s’appelle Carmen Segarra. C’est une ancienne juriste de banque qui a été engagée par la Réserve fédérale de New York en 2011. A été licenciée sept mois plus tard. Aujourd’hui, ses révélations mettent le monde bancaire américain en ébullition.

Cette jeune femme était en une des inspectrices en charge de Goldman Sachs. Elle avait été engagée lorsqu’en 2011, un rapport secret avait enjoint la Fed, le gendarme des banques américaines, d’engager des francs-tireurs. Pour effectuer un contrôle véritable sur les géants de Wall Street, il fallait des fortes personnalités, des gens qui gagnaient peut-être 150.000 dollars par an, mais qui n’avaient pas peur de dire leur quatre vérités à des managers gagnant dix, vingt ou trente fois plus. Le rapport rédigé par un ancien prof de la Columbia university avait en effet montré que trop souvent les gendarmes étaient moulés dans le même moule que les banquiers et qu’ils montraient trop de condescendance à l’ égard de certaines pratiques dangereuses ou contraires à la loi.

Carmen Segarra, donc, rejoint le Fed de New York fin 2011. Entre fin 2011 et début 2012, elle s’attaque à un gros morceau : Goldman Sachs. Elle est chargée de contrôler le département juridique de la principale banque d’affaires de Wall Street. Or, elle découvre que la banque n’a pas mis en place de règles sur la manière dont elle est censée gérer les conflits d’intérêt. Pas une ligne, pas un mot, alors que pourtant, la loi l’y oblige. C’est d’autant plus mal venu que Goldman Sachs manie le conflit d’intérêt avec un art consommé. Surtout avec ses clients les moins sophistiqués, qu’en interne, les Goldman boys appellent des “muppets” (des marionnettes). Comme le montre un exemple récent : une de ces marionnettes s’appelait El Paso. Cette compagnie pétrolière était la cible, l’été dernier, d’un plus énergéticien Kinder Morgan qui a fini par la racheter. El Paso était conseillé par Goldman Sachs. Or, la banque avait oublié de mentionner à son client qu’elle était un tout gros actionnaire de Kinder Morgan ( sa participation se montait à 4 milliards de dollars). Pire, un des banquiers supervisant le deal chez Goldman Sachs avait une participation personnelle de 340.000 dollars dans Kinder Morgan (certain diront que 340.000 dollars pour un banquier de Goldman Sachs est une si petite somme qu’elle ne valait pas la peine d’être déclarée).

Les indulgences de la Fed

La Fed de New York, sans pitié pour BNP Paribas ou Bank of America, est d’une indulgence étonnante pour Goldman Sachs. La banque a aidé le groupe Santander à relever ses ratios en lui achetant des actifs rémunérateurs, mais risqués. Goldman devait mentionner cette transaction, elle ne l’a pas fait. La Fed a fermé les yeux. Un exemple parmi d’autres.

Carmen Segarra avait donc remis, en 2012 un rapport au vitriol indiquant que Goldman Sachs désobéissait à la loi. Elle mentionnait que la banque ne respectait pas la loi qui obligeait la banque à publier une charte réglant les conflits d’intérêt. Mais ce rapport embête à la tête de la Fed. Le supérieur de Carmen Segarra demande de modifier le rapport en ôtant ces manquements. Segarra est forcée de le faire, mais indique que cela ne l’empêche pas de continuer à penser que le texte initial était le bon. Elle est licenciée sept semaines plus tard, en octobre 2013

L’ancienne employée ne se décourage pas. Elle intente une action contre son ancien employeur pour licenciement abusif. Elle la perd. Mais voilà qu’il y a quelques jours, l’affaire rebondit. Le site Propublica et une émission de radio (The American Life) révèlent la teneur d’enregistrements que Carmen Segarra, inquiète de la tournure prises par ses relations avec Goldman Sachs et ses supérieurs hiérarchiques, avait réalisés.

La publication est un choc. On entend le chef direct de Carmen Segarra lui dire : tu ne pourrais pas être un peu gentille ? Ou un autre enregistrement où un banquier dit : “quand les clients sont suffisamment riches, certaines lois ne s’appliquent pas à eux”. Carmen Segarra reprend cet étonnant aveu dans un compte rendu. On lui demandera de l’effacer. Elle ne le fera pas.

Bloomberg s’écrie : clairement, notre système régulatoire dysfonctionne clairement. Des sénateurs réclament une enquête parlementaire. Carmen Segarra, elle, attend un nouvel emploi et s’apprête à affronter des mois de procédures contre elle pour avoir dévoilé ce qui devait rester secret.

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