Ces robots qui veulent gérer votre argent
La technologie révolutionne les métiers et la banque en particulier. Dernière victime en date de cette digitalisation des services bancaires, la gestion de portefeuille. Après le trading “online” et les paiements mobiles, de jeunes start-up technologiques emploient des robots pour gérer de manière automatisée l’argent de leurs clients.
Les banquiers privés seront-ils bientôt remplacés par des robots ? De plus en plus nombreuses sont les start-up technologiques qui défient la gestion de fortune traditionnelle. A travers des plateformes digitales, elles offrent des prix réduits, une interaction conviviale et une gestion basée sur ce que l’on appelle des robo-advisors (littéralement robots-conseillers). Le business est en plein essor. Selon certaines estimations, ces robots-conseillers pourraient gérer 5,6 % du total des actifs en 2020, soit 10 fois plus qu’aujourd’hui.
En vogue aux Etats-Unis
Cela fait maintenant plusieurs années que ce concept de gestion robotisée est en vogue aux Etats-Unis. Plusieurs robo advisors y connaissent un certain succès. L’un des plus connus est Betterment. Fondée en 2010, la start-up compte aujourd’hui plus de 100.000 clients et gère plus de trois milliards de dollars d’actifs. Basée à New York, elle déploie ses services au travers d’une plateforme internet dont le slogan est “un meilleur investissement grâce à une technologie plus intelligente”. Concurrent le plus sérieux de Betterment, Wealthfront est un site similaire qui a vu le jour en 2011, à San Francisco. Ciblant les jeunes entrepreneurs de la Silicon Valley, la start-up californienne affiche deux milliards de dollars de fonds sous gestion. Dans le sillage de Betterment et Wealthfront, Personal Capital affiche lui un milliard d’euros de fonds en gestion. A trois, Betterment, Wealthfront et Personal Capital ont donc déjà glané plus de 5 milliards de dollars en quelques années d’existence. Par ailleurs, d’autres jeunes pousses tentent de s’insérer dans certaines niches, comme Bloom ou FutureAdvisor, spécialisées dans l’élaboration de plans d’épargne-pension. Quant aux acteurs traditionnels, désireux de ne pas se laisser distancer, ils organisent la riposte. Le célèbre asset manager Vanguard a ainsi mis en place son propre service de gestion robotisée, tandis que Charles Schwab offre un service de portefeuille intelligent.
L’Europe s’y met
Si ces gros acteurs américains voient l’encours de leurs clients se compter en milliards, ce n’est pas encore le cas en Europe où le marché est en phase de démarrage. “Les sommes investies sont moins importantes”, observe Grégoire Tondreau, consultant chez Roland Berger. Mais le nombre d’acteurs ne cesse de se multiplier.” Outre-Manche, la star du secteur Nutmeg doit désormais compter avec Zen Assets, ETFmatic, Money on toast et bientôt Swanest. En France, après Fundshop, Advize ou encore Marie Quantier, Yomoni est venu récemment grossir les rangs de ces alternatives à la gestion de fortune classique. On peut également citer plusieurs noms en Allemagne : Quirion, Vaamo et Easyfolio. En Suisse, pays de la banque privée par excellence, la start-up zurichoise TrueWealth s’est lancée dans l’aventure. Un ancien banquier de Morgan Stanley, Paolo Galvani, a lui lancé MoneyFarm en Italie. Et la Belgique n’est pas en reste : on commence aussi à voir arriver le phénomène chez nous. Petit à petit, l’offre patrimoniale en ligne s’étoffe (lire l’encadré “Cinq acteurs belges de la gestion de fortune en ligne”). Fin de l’année dernière, Keytrade a lancé un service de gestion de portefeuille online baptisé Keyprivate. Fondée par deux jeunes Belges, la start-up Easyvest propose également depuis peu ce type de services. Quant à Van Lanschot, elle peut se targuer d’être depuis quelques jours la première banque privée du pays à proposer une offre de placements pour le grand public au travers de sa marque de banque en ligne Evi (comptes d’épargne à haut rendement).
Recette low cost
Point commun de tous ces challengers de la gestion de portefeuille ? Leur efficacité. Ce sont ce qu’on appelle des fintech, du nom de ces start-up qui allient technologie et finance. A l’image d’Easyvest, elles font la part belle à l’informatique pour réduire les frais et séduire une plus large clientèle… quitte à se passer de conseillers humains !
Pour faire simple, l’idée est d’offrir au grand public la même qualité de service que les banques privées qui gèrent des grandes fortunes et de pouvoir éventuellement effectuer cette gestion soi-même. Et pour cause : “En Belgique comme dans d’autres pays européens, on assiste à une remise en question du gestionnaire et de sa valeur ajoutée, note Grégoire Tondreau. Souvent, le service du conseiller en banque privée n’est pas à la hauteur de ses tarifs. Ces robots-conseillers s’adressent aux investisseurs qui demandent de la transparence, de la réactivité et des conseils indépendants.” Des conseils non seulement indépendants mais aussi accessibles pour de faibles montants. Exemple ? La formule Keyprivate de Keytrade est accessible à partir de 15.000 euros. Chez Evi, le seuil d’accès est fixé à 10.000 euros (1.000 euros à titre temporaire jusqu’au 1er mai). Chez Easyvest, le montant minimum à investir se monte à 5.000 euros. On est donc loin en effet des tickets d’entrée généralement demandés par les banques privées traditionnelles, soit environ 250.000 euros.
De manière générale, ces offres sont de ce fait destinées à une clientèle plus large qualifiée d'”affluente “, à mi-chemin entre la clientèle de détail et la clientèle en gestion de fortune. Certaines ciblent la génération des millenials ou des ” Henry” (pour high earnings, not rich yet : c’est-à-dire revenus élevés mais pas encore riches). Mais on y retrouve aussi des clients aisés déçus de leur banquier privé qui “testent” le concept à côté ou en remplacement d’un portefeuille géré en gestion de fortune traditionnelle.
Merci les ETF !
Autre particularité de ces robo-advisors : les frais. Ceux-ci sont comprimés au maximum. Le coût de la gestion est globalement deux à trois fois moins élevé que chez un gestionnaire de fortune classique, avance-t-on du côté de Keytrade. Chez Easyvest, ils vont de 1 % pour un portefeuille compris entre 5.000 et 25.000 euros à 0,5 % pour des avoirs supérieurs à 250.000 euros, cela alors que la moyenne des frais de gestion de patrimoine en Belgique tourne autour de 1,5 %).
L’astuce ? D’un point de vue technique, les portefeuilles proposés par les robo advisors sont généralement construits en utilisant des trackers (aussi appelés ETF, pour exchange traded funds). Rien de bien sorcier. Il s’agit simplement d’instruments qui répliquent des indices boursiers et qui restent très abordables en termes de coûts. Pas de sur-mesure, donc. Les portefeuilles sont standardisés en fonction du profil de risque du client. Le suivi du portefeuille se fait ensuite par des algorithmes (basés le plus souvent sur des modèles mathématiques de prix Nobel comme par exemple Markowitz) qui le rééquilibrent en fonction des événements de marché et de ce niveau de risque.
“On voit en effet apparaître deux types d’offres de gestion automatisée sur le marché, pointe Geoffroy de Schrevel, CEO de la société belge Gambit qui édite des logiciels d’aide au conseil en investissement. La première, c’est une gestion conseil qui propose au client un portefeuille, lequel ensuite se débrouille pour effectuer les achats et les ventes de titres. L’autre type de solution s’adresse à ceux qui ne s’intéressent pas à la finance et leur propose la totalité du service, y compris l’achat et la vente de titres pour le compte du client. Certains automates font uniquement l’un ou l’autre. Tous les robots ne font pas la même chose.”
Vont-ils “ubériser” les banquiers privés ?
Reste bien sûr “la” question : ces gestionnaires de patrimoine en ligne arriveront-ils à faire de l’ombre à leurs homologues “traditionnels” ? Le business est probablement promis à un bel avenir. Mais le private banking reste un univers complexe, certains ETF sont plus risqués que d’autres et la concurrence promet d’être rude : entre robots eux-mêmes mais aussi avec les acteurs établis. “Le marché doit encore s’ouvrir, estime Grégoire Tondreau. La banque privée en Belgique est déjà en partie industrialisée. Certaines maisons proposent des solutions un peu innovantes comparables à ce que font les grands asset managers anglo-saxons. Dans les grandes banques, la gestion est largement standardisée.” A cela il faut ajouter le fait que les maisons de gestion traditionnelles, emboîtent le pas du digital (applications mobiles, etc.). La riposte, on l’a dit, s’organise aussi du côté des grands gestionnaires d’actifs : le géant BlackRock a par exemple mis la main sur FutureAdvisor, se créant ainsi un nouveau canal de distribution.
Ceci dit, deux éléments d’importance jouent aujourd’hui en faveur de la gestion des services d’investissement assisté par robot-conseiller : les taux bas et la technologie. Comme nous l’explique Geoffroy de Schrevel de Gambit, dont les services s’ouvriront prochainement aux particuliers sous l’appellation Birdee, l’environnement n’a jamais été aussi porteur. “Avec Birdee, nous voulons combler un trou entre le compte d’épargne qui rapporte de moins en moins et les sicav auxquelles personne ne comprend rien, nous voulons proposer un produit qui jouit de la même liquidité que le carnet d’épargne et qui offre le rendement des meilleurs fonds.” Difficile en effet de faire mieux comme réservoir de clients potentiels.
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