Est-ce déjà la mort de l’agrivoltaïsme en Wallonie?

En matière d’élevage, l’agrivoltaïsme s’accommode mieux aux ovins qu’aux bovins. © Getty Images
Baptiste Lambert

Très développé en France, l’agrivoltaïsme, qui combine activité agricole et photovoltaïque, tente de se faire une place en Wallonie. Envisagé au départ comme un deal gagnant-gagnant, pour l’agriculteur et le renouvelable, cette technologie fait l’objet d’un blocage total de la Région wallonne. A raison ?

Mêler agriculture ou élevage à la production de renouvelable. Une belle idée sur papier. Même si, de l’avis unanime de nos interlocuteurs, l’agrivoltaïsme ne convient pas à tou­tes les cultures. Oubliez par exemple la juxtaposition de panneaux solaires et d’une culture intensive. L’agrivoltaïsme se complète mieux avec une culture de type exten­sive, comme l’agriculture biologique. Le même raisonnement vaut pour l’élevage : avec des panneaux à 1 mètre du sol, l’agrivoltaïsme s’accom­mode mieux aux ovins qu’aux bovins.

En France, où il trouve son origine, l’agrivoltaïsme se mêle même aux vignes. Ce qui permet de protéger les plans, en cas d’épisodes de grêle. Chez nos voisins, l’apport de cette solution technologique, aussi bien pour les agriculteurs que le mix énergétique, n’est plus vraiment contesté. Il faut dire que la législation qui entoure cette activité y est beaucoup plus développée que chez nous.

En Wallonie, justement, l’agrivoltaïsme a récemment rebondi dans l’actualité. En cause, le refus du permis pour un projet regroupant la production d’électricité, un pâturage d’ovins et la production de miel sur une vingtaine d’hectares, dans la commune d’Aiseau-Presles, dans la province du Hainaut. Un projet mené par l’entreprise française et leader européen de l’agrivoltaïsme, Ether Energy, qui s’est également installée en Belgique. A quelques enca­blures des élections, ce projet a donc été refusé par le minis­tre Willy Borsus (MR), minis­tre de l’Agriculture, en accord avec la ministre wallonne de l’Environnement, Céline Tellier (Ecolo). Nous allons tenter de comprendre pourquoi.

Le rejet wallon

Ether Energy n’en est pourtant pas à son coup d’essai en Wallonie. A Wierde, l’entreprise a inauguré le premier projet agrivoltaïque sur un terrain agricole de 14 hectares, en septembre dernier. A terme, 16.000 panneaux solaires d’une puissance de 10 MWc y produiront l’équivalent de la consommation électrique de 3.000 ménages wallons. Chaque rangée de panneaux solaires est surélevée, inclinée et espacée de 5 mètres. Le projet mélange des cultures mellifères et fourragères, couplées à une exploi­tation alternant la production de miel et une exploitation de moutons. Pas très différent du projet d’Aiseau-Presles, donc.

Mais entre septembre dernier et ce mois de mai, une crise agricole est passée par là. A laquelle les oreilles politi­ques ont visiblement été sensibles. “Je vois fleurir de partout des projets agrivoltaï­ques, par dizaines, mais ceci va entraîner une pression supplémentaire sur la terre agricole, ce qui est insupportable pour le monde agricole. J’ai donc voulu donner un signal très clair, explique Willy Borsus. Il faut être transparent. J’ai du respect pour les porteurs de projets agrivoltaïques, qui investissent et entreprennent, mais ça ne sert à rien de perdre son temps et son argent pour de tels projets, dont le volet ‘agri’ est en général juste un alibi.”

La façon dont le ministre rejette désormais en bloc l’agrivoltaïsme, après la publication de deux circulaires, est univoque : “L’agrivoltaïsme a beaucoup plus d’inconvénients que d’avantages. C’est très net. J’invite tous les porteurs de projets à ne pas hésiter à utiliser les nombreuses autres alternatives qui concernent l’installation de panneaux photovoltaïques”.

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“Ça ne sert à rien de perdre son temps et son argent pour de tels projets.” – Willy Borsus (MR), ministre de l’Agriculture

“Ces alternatives, ce sont les hecta­res de toitures agricoles, industriel­les, commerciales et des bâtiments publics. Il y a encore d’innombrables possibilités auxquelles j’ajoute les terrains minéralisés. C’est-à-dire les parkings, les bordures d’autoroutes, les friches industrielles gravement polluées, etc.” Le libéral ne laisse qu’une “petite porte ouverte” pour des projets spécifiques liés à l’inno­vation, en collaboration avec des universités, par exemple.

Du côté d’Edora, la fédération des énergies renouvelables, on tombe un peu des nues. “Quand on entend les propos de Willy Borsus, ça nous dérange. Parce que c’est une position de principe. Se limiter à quelques projets pilotes, pour nous, c’est non”, lance Fawaz Al Bitar, directeur général d’Edora. “Alors, bien sûr, on ne va pas mettre de l’agrivoltaïsme partout, bien au contraire, mais fermer la porte à tout un secteur n’a pas de sens”, quand des projets intelligents sont portés et font la part belle au volet agricole, soutient la fédération.

Elle rappelle par ailleurs que la Belgique est tenue par un objectif de 52% de production d’électricité issue du renouvelable d’ici 2030, “dans à peine six ans”. A un moment donné, “il faut pouvoir atteindre ces objectifs par une série de moyens de production. Le grand photovoltaïque doit jouer un rôle important dans cette transition. Et là je me tourne vers le nouveau gouvernement : ce serait vraiment triste de garder ses positions de principe”.

En France, l’agrivoltaïsme se mêle également aux vignes. Les panneaux protègent ces dernières en cas de grêle. © Getty Images

Pression agricole

Début avril, 28 associations et syndicats agricoles ont publié une carte blanche dans La Libre, invitant les autorités et les agri­culteurs à “ne pas tomber dans le panneau” de l’agrivoltaïsme. En fait, le monde agricole craint une pression sur les prix des terres, ce qui rendrait leur accessibilité encore plus compliquée pour les agriculteurs, souvent locataires des hectares qu’ils exploitent.

“Pour les propriétaires terriens, l’attractivité financière de l’agrivoltaïsme est évidente. Les rentes promises sont jusqu’à 20 fois supérieures à ce que permet une location en bail à ferme. Le calcul est vite fait et les éleveurs ou agriculteurs qui occupent les terres convoitées n’auront qu’à aller voir ailleurs. A défaut, ils devront accepter de limiter leur liberté de culture en se contentant d’activités compatibles avec la présence des installations photovoltaï­ques”, écrit le collectif.

Edora rappelle que la pression sur le foncier n’a pas attendu les projets photovoltaïques. Entre 2017 et 2022, le prix de l’hectare wallon a augmenté de 22,5%, selon la Fédération des notaires (Fednot), dans son dernier baromètre. En 2022, un hectare de terre agricole se négociait autour de 37.000 euros en Wallonie, avec de fortes disparités provinciales, puisqu’en Brabant wallon, le prix moyen d’un hectare tournait autour des 90.000 euros. La location d’un hectare suit la même logique et affichait en 2022 un prix de 242 euros, en Wallonie. C’est toutefois près de moitié moins qu’en Flandre. A titre indicatif : 65% du territoire agricole belge est loué.

Des solutions

Au-delà des aboiements politiques, un groupe de travail se rencontre actuellement pour mieux encadrer et définir l’activité agrivoltaïque en Wallonie. Tous les acteurs y sont présents : les syndicats agricoles, les porteurs de projets, Edora et plusieurs universités. Un volet des discussions porte justement sur la pression des prix sur le foncier. Et des pistes très concrètes semblent exister.

Alex Houtart, cofondateur d’Ether Energy, qui se dit parfaitement en phase avec le monde agricole sur cette problématique, explique en quoi elles consistent : “On a une dizaine de propositions sur la table pour que l’agrivoltaïsme ne vienne pas aggraver le prix du foncier. On pourrait par exemple limiter l’espace dédié à l’agrivoltaïsme. Au Luxembourg, ils l’ont limité à 0,2% de la surface agricole utile.” On comprend rapidement qu’une telle surface ne peut pas peser à elle seule sur les prix du foncier. “Une autre piste consiste à encadrer les loyers. Lorsque l’exploitant n’est pas propriétaire, il faut qu’il puisse bénéficier d’une partie des revenus générés. C’est ce qu’on fait d’ailleurs en France, ajoute le porteur de projets. Nous sommes les premiers demandeurs à ce que le prix du foncier reste sous contrôle.” Alex Houtart en appelle à une régulation du foncier, comme en France, où “l’Etat peut intervenir et disposer d’un droit de priorité pour interdire des transactions en cas de spéculation, et pour acheter la parcelle en question pour la revendre au juste prix à un agriculteur”.

“Entre les acteurs concernés, pourtant, il y a un consensus : l’agrivoltaïsme peut être une opportunité pour l’agriculteur.” – Alex Houtart 
(Ether Energy)

La Wallonie a des années de retard sur ses voisins du sud. Ether Energy en est déjà à 40 projets dans l’Hexagone, dont le premier est sorti de terre à Montpellier, il y a une dizaine d’années. Le cadre législatif n’est pas assez mature, ici en Wallonie, ce qui freine le secteur. “Entre les acteurs concernés, pourtant, il y a un consensus : l’agrivoltaïsme peut être une opportunité pour l’agriculteur. Tout le monde en est convaincu, avance Alex Houtart. Soit dit en passant, Ether Energy n’a jamais acheté et n’achètera jamais un terrain agricole, ce n’est pas notre métier.”

Un problème politique

Est-il inquiet pour l’avenir de l’agrivoltaïsme en Wallonie ? Pas particulièrement : “Les politiciens n’oseront sortir du bois qu’à partir du moment où l’on trouvera un alignement avec les syndicats agricoles. Et c’est ce qu’on est en train de faire actuellement, donc je ne m’inquiète absolument pas. Tous les pays sont passés par les mêmes turbulences.”

Le porteur de projets ne peut s’empêcher de penser que le refus du permis d’Aiseau-­Presles est uniquement politique, à l’approche des élections. “Pour la première fois, le gouvernement a publié un communiqué de presse pour annoncer le refus d’un projet. C’est quand même particulier”, sourit Alex Houtart, qui se dit toutefois “convaincu de trouver des solutions”.

C’est certainement vrai pour le projet d’Aiseau-Presles qui est très comparable à celui de Wierde, où une étude de l’Université de Namur sera prochainement publiée. On en connaît déjà la conclusion : la présence de panneaux solai­res n’a pas d’impact négatif sur l’exploitation ovine (bien-être, taux de reproduction, taux de fertilité, comportement).

En France, une étude de l’Institut national de la recher­che pour l’agriculture va même plus loin et confirme “les effets positifs des panneaux photovoltaïques sur le pâturage ovin”. La quantité et la qualité du fourrage sont plus élevées à l’ombre des panneaux et l’impact du gel est plus tardif. Une conclusion qui demande toutefois confirmation en Wallonie, où les projets, on l’a vu, sont beaucoup plus récents.

Les toitures, la fausse bonne idée ?

Le ministre Borsus estime qu’il faut prioriser l’installation de panneaux solaires sur tous les toits possibles et imaginables. Bonne idée ? A long terme, sans doute, mais c’est une solu­tion limitée pour le moment. On le voit par exemple lors du décrochage des onduleurs pour les installations domestiques. Quand le soleil frappe fort, il y a, par endroit, une surproduction d’électricité qui sature le réseau.

Le succès des panneaux solaires domestiques, notamment l’année dernière, a largement été poussé par les pouvoirs publics. “Cela fait 20 ans que la Belgique ne fait que de la toiture, tranche Alex Houtart. Sur ce segment, il y a plus de panneaux en Belgique que dans toute la France et l’Espagne réunies. On a tellement insisté qu’on arrive à une congestion totale.”

Pourquoi ? “Parce qu’avec les panneaux solaires de toiture, on travaille au niveau de la basse ten­sion. Alors, bien sûr, on peut penser à revoir tout le réseau chez Ores et chez Resa. Mais ça va coûter un pont !”, prévient-il. A cet égard, et c’est vrai, l’agrivoltaïsme permet de développer des productions de moyenne et haute tension.

Pour les agriculteurs, une autre considération est à prendre en compte : le coût d’une production solaire sur de larges toitures. Pas tant au niveau des panneaux, mais au niveau de la cabine de transformation qui doit supporter notre installation. Cela coûte plusieurs dizaines de milliers d’euros.

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