Taux américains: pourquoi la Réserve fédérale reste très prudente

Le bâtiment de la Fed (Federal Reserve) à Washington. © Getty Images/Tetra images RF
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

… et n’annonce plus qu’une seule petite baisse des taux cette année, alors qu’il y a peu, on en attendait trois.

Mais pourquoi la Réserve fédérale américaine fait-elle  grise mine, malgré une inflation qui continue à s’assagir pour atteindre 3,3% en mai ? La Fed, que l’on voyait il y a quelques semaines encore s’engager résolument sur le chemin de la détente – on tablait sur trois baisses des taux cette année encore –, est beaucoup plus prudente aujourd’hui. Lors de sa dernière réunion, voici quelques jours, elle a non seulement maintenu son taux directeur (qui reste donc dans la fourchette 5,25%-5,50%), mais a également modifié ses anticipations, ne tablant plus que sur une baisse de 25 points (0,25%) cette année.

Pourquoi cette prudence ?

Une croissance trop forte

En premier lieu, elle s’explique par la tonicité de l’économie américaine, et plus spécialement de la demande intérieure.

« Le problème des États-Unis n’est pas la déflation comme en Chine, mais l’inflation. Pour que l’inflation soit maîtrisée, la Fed a monté les taux, observe l’économiste de Candriam  Anton Brender. Elle a essayé de freiner la croissance de la demande intérieure parce que c’est là que l’on a prise quand on touche aux taux d’intérêt. Or, depuis plus d’un an maintenant, la croissance de la demande intérieure a rebondi. On est sur un taux de croissance qui est quelque part autour de 3 %. Et pour l’économie américaine, c’est trop. »

Cette tonicité a surpris. « Elle s’explique en partie par le progrès  rapide des dépenses publiques, de consommation et d’investissement public, et par un rebond massif de l’investissement en structures, poursuit l’économiste. Ce sont des constructions de murs, d’usines, qui sont  largement liées à la politique qui a été mise en œuvre par l’IRA (inflation reduction act), qui a stimulé la construction de nouvelles usines. »

A cela s’ajoute , l’impact de la politique américaine menée lors de  la pandémie, qui a donné beaucoup de moyens aux collectivités locales. « La demande intérieure a été plus soutenue que ce que nous attendions, en partie parce que nous avions sous-estimé les effets de la politique budgétaire qui a été menée », avoue Anton Brender, qui ajoute cependant que ces effets devraient commencer à s’atténuer. Mais évidemment, la Réserve fédérale veut s’en assurer avant d’abaisser ses taux, d’autant plus que l’on observe toujours une forte hausse des prix dans les services. Elle est alimentée notamment par la hausse des primes d’assurances hospitalisation, assurances auto, des tarifs de réparation de voitures, etc.

L’impact du flux migratoire

Avant d’abaisser ses taux, la Fed veut aussi s’assurer qu’il n’y ait pas trop de tensions sur le marché du travail et donc sur les salaires. Car aujourd’hui, la situation est très particulière. Les États-Unis voient arriver chez eux grosso modo 300.000 migrants par mois. Oui,  3 millions environ par an ! Ils  alimentent la machine économique, car la croissance américaine a créé de nombreux emplois. Sans ce flux migratoire, le taux de chômage aurait dû se situer aux alentours de 2,5% et faire flamber les salaires, et donc, in fine, les prix. Ce n’est pas le cas en raison de cette dynamique migratoire qui alimente une croissance non inflationniste.

« Malgré l’accélération des créations d’emplois, le taux de chômage  a continué de monter et le taux de chômage vient de toucher les 4% », souligne Anton Brender. C’est une bonne nouvelle relative, car « c’est le niveau de chômage auquel les salaires devraient se normaliser », ajoute-t-il. Mais ici non plus, ce n’est pas gagné. Car malgré ces nouveaux entrants sur le marché du travail, la croissance des salaires dépasse encore les 3,5%, « soit le niveau qui serait compatible avec  une inflation limitée à 2 % », explique l’économiste de Candriam.

Trumponomics

Et puis, dernier élément qui incite la banque centrale à la prudence, c’est la campagne électorale américaine. Pour montrer qu’il est conscient de l’inquiétude des électeurs concernant l’immigration, Joe Biden a signé récemment un  décret qui limite le nombre d’entrées sur le territoire américain. Si la mesure est appliquée, elle pourrait, estime Candriam,  réduire la croissance de la population en âge de travailler de 85.000 personnes par mois, et donc retendre le marché du travail.

La prudence du côté des autorités monétaires est d’autant plus de mise que les sondages donnent une avance à Donald Trump dans la course à la présidence. Or, les propositions économiques du candidat républicain sont quelque peu stagflationnistes. La hausse des droits de douane et la limitation de l’immigration qu’il veut mettre en œuvre devraient avoir un impact négatif sur la croissance, mais soutenir la hausse des prix et des salaires. Une inflation qui devrait être en outre alimentée par la baisse d’impôt qui devrait soutenir la consommation et qui  fait partie également des « trumponomics » . Voilà donc de multiples raisons qui incitent la Fed à cacher sa joie et à réfléchir à deux fois avant d’abaisser ses taux directeurs.

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