La publicité, nouveau terrain de jeu des banques?

La banque américaine JP Morgan va vendre de la publicité grâce aux données qu’elle possède sur l’historique d’achats de ses clients. © belga
Sebastien Buron
Sebastien Buron Journaliste Trends-Tendances

La montée en puissance de l’analyse des données numériques ouvre de nouveaux horizons pour les banques qui élargissent leur champ d’action en matière de marketing personnalisé.

La publicité s’annonce-t-elle comme un métier d’avenir pour les banques ? Aux Etats-Unis, la réponse est claire pour la première banque du pays. JP Morgan a annoncé dernièrement vouloir permettre aux annonceurs de cibler des dizaines de millions de clients grâce aux données qu’elle possède sur leurs dépenses effectuées par carte bancaire. Sa nouvelle entité Chase Media Solutions aidera les marques à cibler ses 80 millions de clients en fonction de leur historique d’achats. A travers le programme Chase Offers, des réductions et des offres personnalisées seront proposées aux clients via son application mobile. Selon Rich Muhlstock, à la tête de Chase Media Solutions, JP Morgan dispose, comme les grands détaillants, d’une “grande audience” à qui la banque peut parler, mais ce qui la distingue, c’est sa compréhension des comportements qui permet de “garantir aux annonceurs des degrés importants de personnalisation”.

Plus concrètement, les clients dont l’historique de dépenses suggère qu’ils ont une grande famille seront exposés à des publicités pour des 4×4. Même principe pour les couches-­culottes pour lesquelles seuls les clients qui ont des bébés recevront des publicités. Même logique également pour des articles de luxe, dont des promotions ne seront proposées qu’aux consommateurs qui se rendent régulièrement dans des enseignes de mode, etc. JP Morgan aurait ainsi déjà séduit comme premiers annonceurs la compagnie aérienne Air Canada, la chaîne de café Blue Bottle et celle de restauration rapide Whataburger

Pour Anthony Wolf, associé au sein du cabinet Sia Partners, cette initiative de JP Morgan est indéniablement une réaction à la pression induite par les géants technologiques (Google, Amazon, Meta…), les néobanques et les fintechs. “N’oublions pas qu’au final, c’est la demande des consommateurs qui oriente le marché. C’est elle qui fixe les règles du jeu et le prix. Et aujourd’hui, la génération des ‘digital natives’ s’attend à pouvoir recevoir de leur banque une offre ludique et gratuite, voire rémunératrice. Et si pour cela ils doivent consentir à l’utilisation de leurs données, ils le feront. Ils le font d’ailleurs déjà sur des plateformes bien moins éthiques”, souligne-t-il.

Monétiser son audience

JP Morgan n’est du reste pas la seule à s’aventurer sur le terrain de la publicité en ligne, un marché estimé à plus de 250 milliards de dollars aux Etats-Unis. Si une approche aussi poussée que celle du groupe dirigé par Jamie Dimon n’existe pas en tant que telle chez nous, les offres mobiles de plusieurs de nos banques (KBC, ING, BNP Paribas Fortis, Keytrade…), devenues de véritables petits médias pour les plus évoluées d’entre-elles, intègrent déjà une forme de ciblage marketing. Un ciblage qui prend la forme de programmes de fidélité permettant d’écono­miser quelques euros en fonction des dépenses effectuées auprès de marques sélectionnées par la banque.

Chez BNP Paribas Fortis par exemple, le programme Easy Cashback, lancé début 2023 avec la collaboration de la fintech française PayLead, accorde automa­tiquement des récompenses sur la base des données de paiement liées aux achats réalisés auprès des magasins Trafic, Intermarché, Vero Moda, Tezenis… Et ce, sans l’aide de cookies tiers, ces petits mouchards qui disent aux annonceurs ce que vous faites sur le web. Résultat ? Depuis son lancement, plus de 55.000 clients ont au moins reçu une ristourne pour un montant moyen remboursé par client de 8 euros.

Comme l’explique Anthony Wolf, chaque entreprise cherche aujour­d’hui à monétiser son audience, et les données liées aux transactions bancaires, en particulier, ont une grande valeur : “Si les banques ne savent pas quel produit vous achetez dans un magasin, elles ont par contre connaissance de vos habitudes d’achat en termes de produit, de marque, de gamme, de localisation ou encore en termes de déplacement. Elles savent par exemple si vous effectuez essentiellement vos achats en supermarché bio, si vous habitez Namur mais que vous faites vos courses pas loin de votre bureau à Bruxelles, etc. Et donc, l’utilisation des données liées aux transactions bancaires pour envoyer de la publicité hyper-personnalisée est une question que nous abordons régulièrement dans le cadre de nos missions de stratégie digitale”.

Les offres mobiles de certaines banques en Belgique intègrent déjà une forme de ciblage marketing.

Trésor de données

S’il y a bien des entreprises qui possèdent une masse de données numériques sur leurs clients et savent énormément de choses sur eux, ce sont effectivement les ban­ques. En témoigne chez nous également le nouvel outil statistique lancé par la fintech belge MyTrusty, spécialisée dans l’évaluation de la santé financière des particuliers. Baptisé SpendTracker, ce dernier permet d’avoir, sans rien leur demander, une vue précise des dépenses des Belges dans près de 40 catégories différentes (par année, province, sexe, age…).

Faites le test ! SpendTracker vous dira par exemple que ce sont les femmes âgées de 18 à 25 ans habitant Bruxelles qui ont le budget vêtements mensuel le plus élevé de Belgique, ou encore que les Belges qui ont un emprunt hypothécaire dépensent en moyenne 767 euros par mois pour son remboursement.

L’astuce ? Pour autant que le particulier donne son consentement, la directive européenne PSD2 permet aux entreprises d’accéder aux trans­actions bancaires. Ce faisant, SpendTracker récupère les transactions bancaires des derniers mois, les classifie et les évalue, de manière entièrement automatisée. Avec comme résultat, des statis­ti­ques extrêmement riches dans la mesure où elles ne se basent pas sur des données déclaratives des consommateurs, c’est-à-dire des intentions d’achats, mais bien sur de réelles dépenses. Il est dès lors possible pour un annonceur d’avoir une vue sur les dépenses effectuées par les clients, aussi auprès de la concurrence, ce qui peut par exem­ple être très utile pour planifier un plan média.

Dans un autre registre, on peut même imaginer, selon les concepteurs de SpendTracker, donner demain son consentement pour être ciblé par de la publicité en échange d’une réduction sur la mensualité de son prêt hypothécaire.

Mais il faudra sans doute encore un peu de temps avant de voir apparaître en Belgique des banques qui vendront de la publicité grâce aux données de leurs clients à la manière de JP Morgan, estime Anthony Wolf : “D’abord pour une question de mentalités et d’acceptation de ce type d’offre par les clients, mais surtout parce que les régulateurs devront donner leur feu vert. Mais comme bien souvent, lorsque des fintechs ou des néo­banques commenceront à le faire, les banques devront clarifier leur positionnement. Soit avoir une offre réservée à un segment plus âgé et/ou fortuné, soit se positionner comme une entreprise plus jeune et low-cost. Même si au final, l’un n’empê­che pas l’autre, et qu’une offre à la carte sera toujours possible.”

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