La 2CV, une septuagénaire toujours fringante…
Elle a mis une ribambelle de familles sur la route et décroche toujours des sourires sur son passage. Pour ses 70 ans, la fameuse 2CV s’expose durant tout ce mois d’avril au musée bruxellois Autoworld.
La 2CV, c’est une bouille sympathique mais aussi une voix typique : un chuintement acyclique, reconnaissable entre tous. Et, bien qu’elle ait toujours eu le souffle court, cette petite Citroën n’est pas près de rendre son dernier soupir. Pourtant, elle a traversé le temps sans ménagement, oeuvrant dans sa jeunesse aux travaux des champs ou accompagnant les familles sur la suffocante route des vacances. Cette Citroën, populaire au sens noble, souffle cette année ses 70 bougies.
Cela vaut bien un petit hommage pour cette voiture qui n’a jamais rechigné à la tâche : elle a motorisé des centaines de milliers de foyers et continue aujourd’hui à balader entre campagne et cité les nostalgiques et les bobos. Un engin qui rassemble et convertit même les irréductibles, puisqu’elle reste la voiture adorée de ceux qui détestent la bagnole.
“Toute Petite Voiture”
Tout commence peu après la disparition d’André Citroën. Ce fils de diamantaire néerlandais émigré en France, qui a fondé sa propre marque automobile, meurt en juillet 1935. Ce roi du tout-Paris, qui a fréquenté les princes et dépensé des sommes folles au baccara, succombe à un cancer. Il meurt ruiné ! En décembre 1934, alors que la conception de la Traction Avant a englouti ses dernières ressources, André Citroën a dû déposer le bilan et céder sa société à un certain Pierre Michelin, fabricant de pneumatiques, à qui il devait de l’argent.
C’est donc à Michelin que l’on doit la 2CV. Le projet naît en 1936. C’est l’année du Front populaire et des premiers congés payés en France. La culture de masse se développe et l’idée d’un véhicule destiné aux classes populaires, en particulier paysannes, se met à germer. Une voiture pour tous, qui permettrait aussi à Michelin d’écouler davantage de pneus… Le projet TPV (Toute Petite Voiture) est alors initié par Pierre-Jules Boulanger, le bras droit de Pierre Michelin. Pour diriger le bureau d’études, les deux hommes nomment André Lefèvre, ingénieur de talent à qui l’on doit déjà la Traction Avant et qui développera plus tard la fameuse DS.
Le cahier des charges de Boulanger pour la TPV est clair : ” La voiture doit pouvoir transporter 50 kilos de pommes de terre ou un tonnelet à une vitesse de 60 km/h pour une consommation de 3 l/100 km. En outre, ce véhicule doit pouvoir passer sur les plus mauvais chemins (…). Son confort doit être irréprochable car les paniers d’oeufs transportés à l’arrière doivent arriver intacts. Son prix devra être bien inférieur à celui de notre Traction Avant et, enfin, je vous précise que son esthétique m’importe peu “. Tant mieux car le projet TPV n’était pas très gracieux…
Quatre roues sous un parapluie
Esthétiquement, le prototype issu du projet TPV n’est pas franchement folichon. Et le véhicule est pour le moins spartiate. Le modèle, carrossé de plaques d’aluminium, pèse 370 kilos à vide, ne dispose que d’un phare (le code de la route le permet alors), ses sièges ne sont qu’un carré de tissu tendu sur une armature en aluminium, les portes ne s’ouvrent que de l’intérieur et le moteur, un bicylindre à plat de 375 cm3 et seulement 9 chevaux, démarre à la ficelle. Comme celui d’une tondeuse… En guise de couvre-chef, on ne trouve qu’une fine toile qui court du pare-brise jusqu’au parechoc arrière. Bref, il s’agit vraiment de quatre roues sous un parapluie.
En 1939, quelque 250 exemplaires de cette voiture basique sont produits, en prévision du Salon de l’Auto de Paris de 1939. Un événement qui n’aura jamais lieu, suite au déclenchement de la guerre. L’histoire de la 2CV aurait donc pu s’arrêter là, d’autant que les prototypes sont à l’époque détruits ou cachés par la direction de Citroën, pour éviter que les Allemands ne s’en emparent. Seuls quatre de ces premiers prototypes ont traversé le temps, dont trois ont été retrouvés en 1994 dans le grenier d’une ferme, près du Centre d’Essais Citroën de la Ferté-Vidame, à une centaine de kilomètres de Paris.
Sous les spots
Pendant les hostilités, Pierre Boulanger prend le temps de peaufiner son projet dans le plus grand secret, à l’abri des regards ennemis. Et à la fin du conflit, la ” Toute Petite Voiture ” a un peu plus fière allure, remodelée par le designer Flaminio Bertoni (auteur de la Traction Avant et, plus tard, de la DS). La tôle, désormais emboutie, lui donne quelques rondeurs, tandis qu’elle reçoit un deuxième phare et un vrai démarreur. Pour limiter les coûts, la carrosserie en aluminium d’origine est remplacée par une robe en acier, tandis que le moteur est refroidi par air et non plus par eau (qui risquait de geler par temps froid).
L’engin est dévoilé en octobre 1948, sous les spots du salon de Paris et sous les yeux du président de la République, Vincent Auriol. Les regards sont médusés, mais le public est partagé. Beaucoup de visiteurs sont sceptiques et la presse très sarcastique. Peu promettent un avenir radieux à cette petite voiture à la plastique déconcertante. La production débute néanmoins en 1949. Le modèle est baptisé 2CV, en raison de sa puissance fiscale. Et, très vite, le public se l’arrache ! A tel point que dès la première année de commercialisation, les délais de livraison atteignent jusqu’à trois ans ! L’être l’emporte donc sur le paraître : cette petite voiture bonne à tout faire séduit par sa beauté intérieure. Abordable et facile à vivre, elle ne bronche jamais, pas même quand on délaisse ses organes mécaniques, puisqu’elle demande peu d’entretien.
Un vent de liberté
La 2CV, c’est un vent de liberté qui annonce son arrivée en chanson. Celle du souffle de l’air pulsé par la turbine du petit bicylindre à plat. Un moteur mélodieux mais qui a toujours manqué de muscles, malgré les différentes évolutions de cylindrée (375, 425, 435 et 602 cm3 ; de 9 à 29 ch). On repère aussi la ” Deuche ” à son allure chaloupée : elle se couche dans chaque virage. Un roulis qui donne vite le tournis aux passagers. En ligne droite, l’ambiance est plus zen : les occupants se font délicatement bercer par la suspension moelleuse. Mais en côte, tout s’agite à nouveau : le conducteur plante ses dents dans le volant à chaque dépassement, tout en faisant mouliner le levier de vitesses accroché au sommet du tableau de bord. Le moteur témoigne alors son mécontentement dans un hurlement lancinant.
C’est sûr, la 2CV n’est pas une grimpeuse… Mais le conducteur tient sa revanche en descente, où la voiture file comme une pierre qui roule et avale efficacement les virages, agrippée à la route via sa suspension à quatre roues indépendantes. Et ni la pluie ni la neige n’arrêtent cette Citroën à traction avant, alors que ses contemporaines de type propulsion font du surplace dans ces conditions. De tous les temps, la Deuche a mené loin et longtemps ses occupants. Elle a aussi toujours décroché des sourires aux enfants, attendris par ses feux ronds (il y eut aussi des phares rectangulaires) en forme d’oreilles de Mickey. Et elle sait également rallumer le feu parfois éteint dans les yeux des plus vieux, déclenchant en eux le mécanisme de la machine à souvenirs…
Monument historique
Tout en restant fidèle à elle-même, la Deuche s’est aussi (légèrement) adaptée au fil du temps. En 1957, elle reçoit un coffre en tôle. Trois ans plus tard, elle troque son capot fortement nervuré contre un nez plus lissé, qu’elle conservera jusqu’à la retraite. En 1964, elle abandonne ses portes ” suicide ” pour des battants avant et arrière s’ouvrant dans le même sens. La 2CV s’est aussi prêtée au jeu des arts : BD et cinéma. Elle est également partie à l’aventure, avec la version Sahara 4×4, produite à seulement 694 exemplaires entre 1961 et 1967. Destinée initialement aux chercheurs de pétrole et d’autres denrées rares enfouies dans des contrées hostiles, la Sahara portait une roue de secours sur son capot, mais ajoutait surtout à son moteur avant un autre propulseur, niché dans le coffre et animant les roues postérieures.
La 2CV s’est encore pliée aux modes, à travers d’innombrables séries spéciales. Ce fut ensuite l’heure de la retraite, qui sonna précisément le 27 juillet 1990 à 16h30, lorsque le dernier exemplaire du modèle sortit des chaînes de montage de l’usine de Mangualde, au Portugal. La production française avait cessé un an plus tôt. En tout, la 2CV fut officiellement construite à environ 5,1 millions d’unités (y compris les versions fourgonnettes) de 1948 à 1990. Et ce sympathique modèle fera encore partie de notre paysage pour longtemps…
Par Olivier Maloteaux.
Modèle populaire produit en masse, la 2CV reste très abordable aujourd’hui. Mais le prix varie en fonction de l’état et aussi du millésime. Les tout premiers exemplaires deviennent très recherchés . Fin janvier, une Citroën 2CV Type A de 1949 a été vendue aux enchères pour la somme de 75.600 euros, ce qui constitue évidemment un record pour le modèle, d’autant que cet exemplaire était estimé au départ à maximum 15.000 euros.
Cette 2CV est le 458e exemplaire du modèle produit par la marque. Comme toutes les Type A, ce modèle est peint en gris et dépourvu de serrures de portes. C’est un musée néerlandais qui a acheté cette très chère 2CV, sans doute en souvenir des origines bataves d’André Citroën…
Le musée bruxellois Autoworld célèbre les 70 ans de la 2CV en avril. Parmi les modèles exposés, on trouve plusieurs exemplaires ” belges “, la 2CV ayant été produite un temps à Forest. Pendant les vacances de Pâques, des modèles plus rares prendront également place au centre du musée. On y trouvera des variantes fourgonnettes, des versions 4×4, des modèles dérivés et séries spéciales, mais aussi et surtout un des quatre derniers exemplaires encore existants du prototype TPV construit avant-guerre. Un modèle qui provient directement de la collection officielle de Citroën.
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