Le parfum de l’or: Un flacon avec des feuilles d’or

Rien n’est plus délicat qu’une feuille d’or. Si vous l’étirez entre vos doigts, elle se brise. Si vous la frottez, elle disparaît. Jean-Philippe Clermont y a vu une invitation à l’intégrer dans le parfum, sous le nom d’Atelier des Ors.

TEXTE / Anja Van Der Borght

Lorsque nous le retrouvons à La Maison du Parfum à Anvers, Jean-Philippe Clermont, fondateur, directeur artistique et responsable du développement de l’entreprise Atelier des Ors, sort une feuille d’or de la poche intérieure de sa veste de costume. Entre nos doigts, la feuille délicate se brise en petits morceaux qui, un instant plus tard, se transforment en poussière d’or sous l’effet du courant d’air se faufilant par la porte ouverte. La brume luxueuse offre le cadre idéal pour parler d’or et de parfum.

Comment est née l’idée derrière Atelier des Ors ?

JEAN-PHILIPPE CLERMONT. « J’ai ­l’impression que cela fait une éternité que j’ai lancé la marque, mais Atelier des Ors existe depuis seulement neuf ans. Il s’agit donc d’une marque relativement jeune par rapport aux nombreuses et prestigieuses maisons de parfums françaises qui produisent leur ‘jus’ créatif depuis des décennies. Avant de me lancer dans la parfumerie, j’ai travaillé pendant dix ans comme distributeur de cigares premium roulés à la main. Ça a été une étape importante dans ma carrière, qui m’a rapproché du monde de la parfumerie. Je travaillais dans la vente et je participais aux animations et aux dégustations, parfois avec des rouleurs de cigares de la ­République dominicaine. J’aime faire la ­comparaison entre un créateur de cigares, un maître de chai dans le monde du cognac ou du vin et un chef cuisinier ou un parfumeur. Tous mélangent des ingrédients dans le but de susciter une réaction émotionnelle chez le client. C’est par le biais des cigares que j’ai ­atterri dans le monde du parfum. Un cigare n’influence pas seulement le palais, mais aussi la rétro-olfaction, c’est-à-dire la connexion entre le nez et la bouche. J’ai également vécu pendant treize ans à Dubaï et au Liban, où est née ma fascination pour la culture locale de la parfumerie, avec ses parfums somptueux dont l’empreinte olfactive qui ne laisse personne ­indifférent. Peu avant mon départ pour le Moyen-Orient, j’avais créé une petite entreprise dans le secteur textile. J’étais jeune et j’ai créé des tricots irlandais (pulls, cardigans, écharpes, couvertures…) pendant deux ans avant de partir à l’étranger. En d’autres termes, la volonté d’expression créative était là, mais j’en voulais plus. Je voulais fonder une marque et exprimer certaines valeurs. »

«L’or ne s’oxyde pas et ne change pas. Si vous l’extrayez du flacon de parfum après 30 ans, la feuille d’or sera encore intacte»

Quelles valeurs, par exemple ?

CLERMONT. « Notre marque de fabrique, c’est la recherche de l’esthétique. Mais la ­beauté est très subjective. Nos parfums et nos coffrets sont empreints d’une élégance certaine. J’aime la comparaison avec le tennis. Un joueur de tennis comme Roger Federer exécute un mouvement parfait qui plaît à tout le monde. Pour moi, la recherche de l’esthétique, c’est la recherche du geste juste, d’une précision assurée, d’une certaine grâce et d’une certaine élégance dans nos produits. Du dessin à l’élaboration artisanale, pour moi, le geste est important. »

Et cela inclut l’or ?

CLERMONT. « L’or est une valeur universelle utilisée dans toutes les cultures pour représenter le divin. La relation entre l’or et le divin est également présente dans la philosophie d’Atelier des Ors. Dans la culture française, le travail de l’or est un art : fil d’or sur de la porcelaine, moulures en or dans les palais… Les paillettes d’or de nos flacons soulignent le caractère artisanal et artistique de la parfumerie. L’or représente la recherche de l’absolu, que l’on retrouve dans l’art artisanal, où un ­artisan affine son savoir-faire et le transmet de génération en génération. Il y a cette notion de patrimoine, de continuité et cette recherche de l’absolu. »

Est-ce qu’Atelier des Ors travaille avec des doreurs indépendants ?

CLERMONT. « Nous travaillons avec Jean-Christophe Rousseau, artiste et spécialiste de la feuille d’or, qui a doré des éléments pour de nombreux projets : de palais anciens à des hôtels modernes. C’est lui qui intègre les paillettes d’or dans tous nos flacons, mais il travaille également sur nos éditions limitées en tant que doreur. Notre processus de production étant confidentiel, je ne peux pas en dire plus. Mais sachez que nous fabriquons les paillettes d’or et que nous les intégrons dans nos flacons de parfum de manière très artisanale. La feuille d’or est très fine et délicate. Si vous l’étirez entre vos doigts, elle se brise.

Si vous la frottez, elle disparaît. Mais si vous l’appliquez à un objet comme une statue, elle peut résister à des années d’intempéries. La feuille d’or est entourée d’une sorte de ­mystère. Elle dégage une impression de force, mais aussi de vulnérabilité et de fragilité. Elle inspire une sorte de magie. Pour moi, le travail de l’or est une forme de poésie. Appliquer une feuille d’or de huit centimètres sur huit parfaitement à plat sur une surface plane requiert une grande habileté. La moindre brise peut la froisser. Un doreur doit avoir une bonne maîtrise de la technique et de la discipline. »

Combien de grammes d’or contient un flacon ?

CLERMONT. « Nous ne communiquons pas sur la quantité d’or que nous mettons dans les flacons, car notre objectif n’est pas d’en faire l’étalage. Chez nous, c’est réellement une question de symbolique et de mise en valeur de l’artisanat. L’objectif est de créer une signature sophistiquée. »

L’or n’a donc pas d’impact sur la ­formule du parfum ?

CLERMONT. « Non, l’or ne s’oxyde pas, ne change pas. D’ailleurs, si je ne me trompe pas, l’or 24 carats est le matériau le plus pur. Il est pur à 99,9999… pour cent. Si vous la ­laissez dans le parfum et que vous l’extrayez du flacon après 10, 20 ou 30 ans, la feuille d’or sera toujours intacte. »

Vous glissez de l’or dans chaque flacon, mais aussi parfois sur les flacons. S’agit-il de commandes spéciales ?

CLERMONT. « D’une part, nous avons des commandes personnalisées et, d’autre part, des éditions limitées. Cette année, nous ­lancerons un modèle exclusif pour les fêtes de fin d’année. Cette création ne sera disponible que dans nos boutiques partenaires pendant la période des fêtes, à un prix légèrement plus élevé que d’habitude en raison de la dorure. Le prix est principalement déterminé par la fragrance (s’il s’agit d’une eau de parfum ou d’un extrait), la complexité de la dorure, l’édition limitée et la présence ou non d’un ­coffret. Nous vendons également des coffrets backgammon noirs exclusifs avec cinq parfums. Les prix varient entre 280 à 5 000 euros. »

Qui développe les parfums pour Atelier des Ors ?

CLERMONT. « Nous travaillons depuis 10 ans avec Marie Salamagne, parfumeuse de l’entreprise suisse Firmenich (la plus grande entreprise privée de création de fragrances et d’arômes au monde, ndlr), qui a développé tous nos parfums. J’accorde de l’importance à l’héritage, aux traditions et à la transmission du savoir-faire. Nous avions l’habitude de travailler dans différents endroits, mais depuis quelques semaines, nous sommes installés au sein de la Villa Primerose à Grasse. Nous voulions tout réunir en un seul endroit. Notre partenariat avec Marie génère un sentiment de naturel, une forme de cohésion et d’alchimie. Nous aimons beaucoup travailler ensemble. Marie a également créé les parfums de la ­nouvelle collection Frivolité. Elle travaille ­actuellement sur deux nouveaux parfums qui seront lancés l’année prochaine. »

Quel est votre parfum préféré dans la gamme ?

CLERMONT. « Larmes du Désert est symbolique et évoque l’odeur de l’encens brûlant et de la myrrhe dans l’église que je fréquentais avec ma grand-mère. Bois Sikar, quant à lui, fait écho à l’époque où je travaillais dans le secteur des cigares et est un parfum plus personnel. La ­Collection Blanche est liée à l’art, notamment à la frise Beethoven, un triptyque de Gustav Klimt inspiré de la neuvième symphonie du compositeur allemand. Avec Marie, nous avons écouté la musique qui a inspiré le triptyque. Nous avons traduit les deux œuvres en une ­interprétation olfactive. Un projet difficile car il devait parfaitement correspondre aux références prestigieuses. C’était un projet fascinant qui nous a fait sortir de notre zone de confort. Notre dernière collection, Frivolité, entend ­célébrer la vie, ce qui en fait un projet important après les années de Covid. »

www.atelierdesors.com

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