Karlien Slaets: « Aujourd’hui, nos parents disent : c’est votre avenir, c’est à vous de décider »

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Karlien Slaets (32 ans), quatrième génération de la famille de bijoutiers éponyme, n’envisageait nullement de rejoindre l’entreprise familiale après ses études. Elle voulait voyager, voir le monde. Quelques années plus tard, l’attrait de l’icône anversoise s’est avéré trop fort.

C’est ma première interview », me dit Karlien en me guidant à travers la sécurité stricte du magasin Slaets. Elle est vêtue de baskets et d’un tailleur rose de Pursuit Femmes. « Il y a trois ans, la boutique s’est installée dans un imposant bâtiment d’angle sur le Meir, à 500 mètres de l’emplacement précédent. Ce bâtiment a été construit en 1906 par Louis Coetermans, alors surnommé le ‘Prince Diamant’. Il a fait d’Anvers la ville du diamant d’Europe. C’est dans cet endroit que les négociants se réunissaient pour vendre des diamants. Il était écrit que nous allions nous y installer. » « J’ai rejoint l’entreprise il y a environ six ans, juste avant que les projets de délocalisation ne prennent forme. Les années précédentes, j’ai travaillé pour une multinationale en tant que trader. J’étais responsable des ventes de produits chimiques en Colombie. J’avais volontairement choisi de ne pas travailler dans le magasin à la sortie de mes études. Je voulais voir le monde, c’était très important pour moi à l’époque. J’ai également beaucoup appris en travaillant dans une grande entreprise. Lorsque Slaets est arrivé à un tournant, j’ai parlé à mes parents et à mon frère Maarten du rôle que je pourrais jouer dans l’entreprise. J’aspirais à retrouver un emploi près de chez moi et l’amour de la joaillerie et des montres est inscrit dans mon ADN. Ma famille a été immédiatement enthousiasmée. Elle a vu mon arrivée comme un renfort. »

À l’aise sur tous les fronts

« Au début, j’ai touché à tout pour découvrir ce qui me convenait le mieux. J’ai travaillé dans la vente pendant un certain temps, puis j’ai aidé à la comptabilité. J’ai progressivement évolué vers mon poste actuel. Je suis le point de contact pour le personnel et les fournisseurs. Je m’occupe également de l’aspect financier. L’avantage d’une entreprise familiale est qu’il n’y a pas de rôles définis. Il faut être un peu polyvalent, car il y a toujours des choses à faire. C’est aussi ce qui rend ce travail si passionnant : un jour, je travaille sur la stratégie, et un autre, je fais l’inventaire. Nous essayons tous de nous concentrer sur nos talents. Les membres de notre famille sont très complémentaires. Par exemple, mon frère a une connaissance approfondie des produits et a créé notre propre ligne de bijoux, tandis que j’aime travailler avec les gens. »

Karlien Slaets

55 ans de service

« J’ai pris en charge le volet HR. Quiconque travaille avec des personnes sait que la gestion du personnel demande beaucoup de temps. Nos collaborateurs sont un maillon crucial pour l’entreprise. Ils établissent la relation avec les clients et veillent au bon fonctionnement de la boutique. Il n’est pas facile de trouver les bonnes personnes et de les garder. Le magasin peut être un environnement stressant où les moments d’affluence sont nombreux. En fin de compte, je pense qu’il est important que l’ambiance soit bonne et que tout le monde soit heureux de venir travailler. Un de nos membres du personne la récemment fêté ses 55 ans de service chez nous. Certaines personnes continuent à travailler avec nous après leur mise à la retraite. Je prône une communication ouverte avec l’ensemble de l’équipe. Mes parents et mon frère y prêtent moins d’attention. C’est peut-être une question de génération. J’apprécie le fait d’avoir pu laisser ma marque dans ce domaine en un relativement court laps de temps. Je pense qu’il est juste de dire que je suis celle de la famille qui a le plus d’empathie. »

Regards tournés dans la même direction

« Mon père, ma mère, mon frère et moi-même dirigeons l’entreprise ensemble. Au début, Maarten et moi avons surtout écouté nos parents. Ils ont fait ce métier toute leur vie. Ils connaissent le secteur sur le bout des doigts. Pourtant, nous avons rapidement développé une véritable collaboration. Aujourd’hui, nos parents disent : c’est votre avenir, c’est à vous de décider. Si nous avons tous le même objectif en tête, nous ne sommes pas toujours d’accord sur la manière de l’atteindre. Nous avons tous le regard tourné dans la même direction. Les décisions importantes sont prises en équipe. Lorsque nous n’arrivons pas à prendre une décision, nous écoutons la personne qui a le plus d’expérience dans le domaine. »

Karlien Slaets

« Comme toute famille, nous nous chamaillons parfois. On peut tout dire à son frère, y compris des choses que l’on peut regretter après. La beauté d’une relation frère-sœur, c’est qu’on peut aussi la mettre de côté plus rapidement. Mon frère et moi sommes très différents, ce qui nous permet de bien travailler ensemble. Et après les heures de travail, nous nous retrouvons pour faire la fête. Chaque année, nous allons skier avec toute la famille. Il est presque impossible de ne pas parler travail à ce moment. Même si je remarque – maintenant qu’il y a des petits-enfants – que nous laissons de plus en plus tomber le travail lorsque nous nous retrouvons tous ensemble. »

Féministe

« Je tiens de mon père pour mes intérêts professionnels ; l’aspect économique et la vue d’ensemble me fascinent. Ma mère s’attaque facilement à n’importe quelle tâche et est une planificatrice. Je l’admire vraiment. Elle était féministe à une époque où il était difficile pour une femme d’occuper des postes élevés. Elle a toujours jonglé entre vie de famille et carrière. Je l’apprécie encore plus depuis que je suis devenue mère il y a huit mois. Je réalise maintenant à quel point il est difficile de concilier carrière et maternité. La société a évolué, mais le système n’est toujours pas adapté aux mères travaillant à plein temps. Je dois souvent quitter le travail plus tôt pour la crèche, et même là, mon petit garçon est souvent le dernier à être récupéré. »

‘Le système n’est toujours pas adapté aux mères travaillant à plein temps’

« Le magasin était le troisième enfant de notre foyer. J’y ai grandi. Une chambre pour bébé avait même été aménagée dans l’autre bâtiment. Lorsque j’étais à l’école primaire, je voulais toujours aider et je demandais ce que je pouvais faire. Je me souviens encore d’un événement qu’on avait organisé dans le magasin le jour de mon septième anniversaire. Ensuite, nous sommes allés manger au Quick d’à côté dans nos habits de fête. Mes parents ont construit leur monde autour du magasin. J’essaie de séparer davantage travail et vie privée. À la maison, je veux profiter pleinement de ma famille. Cette recherche d’un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée est propre à ma génération. »

Le prix de l’or

« Ce n’est pas aussi évident qu’il y paraît: nous devons nous battre pour notre entreprise tous les jours. Mes arrière-grands-parents, mes grands-parents, mes parents et mes tantes ont travaillé dur pour construire l’entreprise d’ aujourd’hui. Nous voulons faire de même : pouvoir offrir à la cinquième génération une entreprise encore plus saine. D’autre part, chaque génération a ses défis à relever. Il y a des facteurs qui nous compliquent la vie, comme les guerres et le prix de l’or qui n’a jamais été aussi élevé. Mais nous avons le luxe d’avoir une vision à long terme. Il y a dix ans, les prix de l’or étaient à des niveaux historiquement bas. Dix ans, c’est peu pour nous. »

Karlien Slaets

« Notre secteur évolue lentement, ce qui est très différent du monde de la mode. Mais il arrive aussi qu’en tant qu’entreprise, nous évoluions plus vite que l’industrie, et c’est un luxe que nous avons aujourd’hui. Par exemple, nous étions déjà actifs sur Instagram en 2012 alors que la plupart de nos marques n’utilisaient pas les réseaux sociaux. Certaines marques nous ont même interdit de publier sur une « plateforme inférieure » comme Instagram. Aujourd’hui, toutes les maisons de joaillerie ont une page Instagram. »

« Nous cherchons constamment l’équilibre entre un monde en mutation et le rythme tranquille du secteur de la joaillerie. En fin de compte, les clients souhaitent toujours acheter leur bijou ou leur montre dans un magasin. C’est une expérience, souvent un cadeau, pour lequel on économise. Nous avons des familles qui sont clientes depuis plusieurs générations. C’est pourquoi nous sommes très attachés à nos valeurs fondamentales : nous sommes l’incarnation de la confiance. Un service de qualité nous permet de faire la différence. Il y a un dicton qui dit move fast and break things. Nous faisons plutôt le contraire : move slow and make things.

Karlien Slaets (32 ans)

. Mariée à Jasper, maman de Victor (8 mois).
. Membre de la direction de Slaets.
. Slaets a été fondée en 1904. Les troisième et quatrième générations en sont actuellement à la tête.
. Slaets est distributeur de marques comme Rolex, Messika, Pomellato

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