À propos de l’icône Elsa Peretti : « Les femmes achetaient leurs cadeaux Peretti elles-mêmes »
Beauté Italienne, fêtarde, icône de style, philanthrope et muse de Halston. Elsa Peretti est tout cela à la fois, mais surtout : depuis 50 ans, elle est la légendaire créatrice de bijoux de Tiffany.
Son arrivée à New York à la fin des années 1960 était du Elsa Peretti tout craché. Pas un sou en poche et un œil au beurre noir, témoin d’un au revoir à un amant un peu trop épris. « C’était l’enfer, le chaos total », a raconté Elsa par la suite. « Je suis arrivée dans une ville paralysée par les grèves. Les ordures s’entassaient dans les rues. La puanteur était insupportable. Mon hôtel était affreux. Je ne connaissais personne. Pendant un très court instant, j’ai pensé à rentrer. » Mais, jeune et jolie, Elsa est persuadée que la ville lui offrira des opportunités… Opportunités qui restaient encore à définir, puisqu’elle n’avait pas de feuille de route.
Elle a été invitée à New York par Wilhelmina Models. L’agence a vu quelque chose dans la beauté italienne qui s’était fait remarquer sur le podium de Barcelone. Elsa n’aimait pas spécialement le mannequinat, mais défiler était un moyen de voyager, de rencontrer des gens intéressants et de gagner de l’argent. Elsa : « Être mannequin exige une certaine attitude. Il faut toujours se sentir belle. Non pas que je me trouve moche, mais je m’en fiche un peu. Je ne me préoccupe pas tellement de mon apparence. Devoir être belle tout le temps n’est pas naturel pour une femme. »
Dans un océan de blondes au large sourire, archétypes de la parfaite pom-pom girl, elle se distinguait nettement. Elsa : « J’étais très grande, très maigre et très foncée. J’étais ‘trop’ à tous points de vue. » Avec son look trop particulier, elle n’a pas fait la couverture de Vogue. Mais elle a attiré l’attention des designers qui recherchaient des filles avec une touche de charisme en plus : Issey Miyake, Charles James, Giorgio di Sant’Angelo et l’homme avec lequel elle allait entretenir une relation d’amour-haine pendant la moitié de sa vie, Mister Seventies Chic en personne : Roy Halston Frowick. Entre eux, le déclic a été immédiat, mû par une admiration mutuelle. « Les autres mannequins étaient des porte-manteaux », a déclaré Halston plus tard. « Après le défilé, elles remettaient leurs jeans et redevenaient elles-mêmes. Elsa, en revanche, était toujours elle-même. Elle avait du style et de la classe. Quel que soit le vêtement que je lui faisais porter, elle se l’appropriait. »
Sexe, drogues et disco
Aujourd’hui, les mots clés pour décrire les années 1970 sont de grands clichés. Sexe, drogues et disco, et beaucoup d’excès, parce que tout semblait si inoffensif. La consommation de cocaïne à des fins récréatives avant même que la cure de désintoxication ne soit une étape obligée. Les orgies avant même que l’on sache que le SIDA existe. Les quantités impressionnantes d’alcool, d’amphétamines et de calmants sont devenues un cocktail mortel pour beaucoup. Les excès de Studio 54 qui laissaient penser que tout était possible et permis à condition d’être un VIP. Andy Warhol racontera plus tard dans ses journaux intimes l’ampleur des excès, avec quelques commentaires désobligeants en prime. « Je suis déçue par Andy », a déclaré Elsa à propos de la publication des journaux intimes. « He turned out to be a little shit. » De nombreux souvenirs d’Elsa sont flous, et pas seulement à cause de l’alcool et de la drogue. « J’oubliais souvent mes lunettes. Tout n’est pas très net. »
Joe Eula, illustrateur de mode, membre du cercle d’Halston dont il était généralement la voix de la raison, se souvient du dîner traditionnel chez Halston : champagne, caviar, pommes de terre au four et cocaïne. Tout au long de cette période turbulente, au terme de laquelle Halston tombera dans la paranoïa, la dépression et l’échec, Elsa sera son amie, son alliée et son acolyte.
‘Les femmes achetaient leurs cadeaux Peretti elles-mêmes’
« Lorsque j’ai commencé à travailler pour Halston, c’était ‘go go fantastic’ », a déclaré Elsa à Time Magazine à propos de leur approche work hard-play hard. « J’ai sauté au plafond quand il a utilisé mes ceintures dans son défilé. Nous travaillions d’arrache-pied. Jour et nuit, Halston m’a appris la discipline. »
La relation entre Elsa et Halston s’est détériorée au fur et à mesure que les années soixante-dix se sont assombries et qu’ils s’incommodaient mutuellement du fait de leur nature ambitieuse et de leur tempérament colérique. Après 15 ans de silence, ils se sont réconciliés en 1990, deux ans avant la mort d’Halston. « On résume sa vie au sexe et à la drogue », a-t-elle déclaré après sa mort. « Mais c’était un designer et un homme d’affaires hors pair. Le problème est qu’il n’a jamais eu de partenaire, un Pierre Bergé ou un Giancarlo Giammetti. Il devait donc tout faire seul et était toujours prêt à tout pour garder le contrôle de la situation. »
Méga succès
Elsa n’a jamais été la muse stéréotypée qui se contente de jouer les mannequins et de se pavaner au bras de son créateur. C’était une célébrité, une habituée des listes des personnalités les mieux habillées. Elle a été saluée pour son sens unique du style et son talent certain. Un vase en argent acheté au marché aux puces l’a inspirée pour attacher une bouteille miniature en pendentif à un ruban de cuir. Giorgio di Sant’Angelo l’a utilisé lors de son défilé et il a fait sensation. Le Bottle Pendant, qui fait toujours partie de la collection de Tiffany, a été en rupture de stock immédiatement. L’Equestrian Belt, dont la boucle est un mors de cheval, a tout de suite fait des adeptes fidèles. Dans une interview, Liza Minnelli a remercié deux personnes pour son look acclamé : Halston et Peretti. « Je ne porte rien d’autre. »
Les bijoux d’Elsa ont rencontré un tel succès qu’une proposition a émané de Tiffany en 1974. Son ami Halston, qui avait vendu sa collection, sa marque, son nom et tous les droits au fabricant Norton Simon pour 16 millions de dollars en 1973 et qui commençait déjà à en subir les conséquences, lui a conseillé de ne pas renoncer à son nom et à ses droits. Elle a ainsi conclu un contrat particulièrement avantageux, dans le cadre d’un partenariat qu’elle qualifie de « bon mariage ». « Ils m’offrent tellement d’opportunités et de possibilités. Je peux voyager, contacter des artisans au Japon et en Chine, créer en toute liberté. On me complimente encore sur ce que j’ai fait chez Halston. But I am Tiffany now. » Le lancement de la collection d’Elsa en septembre 1974 a fait un tabac. Elsa : « Tout s’est emballé. » Et pas seulement à New York. Partout où il y avait une boutique Tiffany, les files d’attente et les ventes se multipliaient. Même l’imperturbable Warhol a écrit dans ses journaux intimes qu’il était impressionné. « Je n’ai jamais vu autant de monde à un vernissage. »
Elsa est devenue une star. Vogue écrivait en 1976 qu’elle était la seule femme à pouvoir arriver à un dîner dans une combinaison en cachemire noir, agrémentée d’une rangée de diamants autour du cou et d’un sac en papier brun en guise de sac de soirée. Le photographe Helmut Newton, avec qui elle avait alors une liaison, l’a photographiée sur le toit de son immeuble en costume de lapin. Les fêtes, les affaires, la futilité… Évoluant dans un monde de strass et de paillettes, Elsa ne s’y est cependant jamais noyée. Dans le village rustique et presque abandonné de Sant Martí Vell, datant du XVIIe siècle, en Espagne, elle a trouvé la paix et la sérénité. En 1968, elle a acheté une vieille grange avec l’argent de son premier contrat de mannequinat pour la rénover. « C’est primitif, une ruine », a-t-elle déclaré. « Je me réchauffe au coin du feu et je me lave dans une baignoire, mais ma maison est aussi confortable qu’un vieux pull. » À sa mort en 2021, elle possédait la moitié du village et s’était entourée d’artisans et d’artistes.
Charme intemporel
Le charme des créations de Peretti est intemporel : minimaliste, aucune ligne en trop ou en moins, organique, puissant et sensuel. Toute la collection Gucci 1996 de Tom Ford est dédiée à Peretti et à son chic épuré.
Ses sources d’inspiration proviennent souvent de la nature et sont parfois presque banales : un haricot, une pomme, une larme. Elle en a fait des formes élégantes et gracieuses. Si l’attrait de ses pièces est intemporel, c’est parce qu’elle recherche la perfection. Elsa : « Quand je veux quelque chose, je ne fais pas de compromis. Je pense que j’ai souvent mis mon personnel à rude épreuve. » Rien ne vaut un bijou de Peretti. Une sculpture parfaite en soi, qui ne suit pas une tendance.
« Je crée pour les femmes qui travaillent », a-t-elle déclaré à People en 1974. « Pas pour les dames huppées qui préfèrent des pièces d’exposition imposantes et hors de prix, mais pour la femme moderne et indépendante qui veut se changer rapidement, qui veut se doucher avec ses bijoux. Je ne veux pas créer des symboles de statut, mais offrir une beauté abordable et pratique. » Elle privilégie l’argent, un matériau que Tiffany n’avait plus utilisé depuis 1930, ce qui rend ses prix très démocratiques. Les femmes n’attendaient pas qu’un homme leur offre un bijou Peretti, elles se l’achetaient elles-mêmes. Cela semble couler de source aujourd’hui, mais c’était révolutionnaire à l’époque. C’était une nouvelle façon de voir la joaillerie, et un domaine inexploré pour Tiffany. Et un succès financier : en moyenne, la collection Peretti représentait un dixième du chiffre d’affaires. Il a été question de 400 millions de dollars, un chiffre incroyable.
Il n’est donc pas étonnant que le groupe lui ait proposé 47,3 millions de dollars pour continuer à travailler lorsqu’elle a annoncé prendre sa retraite en 2012. « Oui, c’était une grosse somme », a déclaré Elsa. « Mais c’était justifié. Quand on voit tout ce que je lui ai rapporté pendant toutes ces années, c’est un montant raisonnable. » Tiffany et l’héritage de ses parents ont fait d’Elsa une femme riche. De l’argent qu’elle a immédiatement redistribué par le biais de sa fondation caritative. « Pour moi, être une bonne designeuse est facile », a déclaré Elsa. « Le défi, c’est d’être une bonne personne. Mais je vais faire de mon mieux. »
Les icônes Tiffany d’Elsa
The Bone Cuff
Un classique de 1970. Un succès incontestable et un tour de force technique, sur lequel Peretti a travaillé pendant plusieurs jours pour obtenir un ajustement parfait autour des poignets gauche et droit. Inspiré des courbes de la Casa Mila de Gaudí à Barcelone et des ossements de la crypte de Rome qu’elle a visitée lorsqu’elle était enfant avec sa nounou. « Mon penchant pour les os n’a rien de macabre, je les trouve simplement beaux. »
The Bean
Elsa : « Un haricot, une graine… le début de toute vie. Une forme simple porteuse de nombreuses significations. Chacun y apporte une interprétation personnelle. »
The Open Heart
Elsa a incliné le cœur pour donner au pendentif une dynamique particulière. Dans certaines interviews, elle dit avoir été inspirée par les espaces vides des sculptures d’Henry Moore et, dans d’autres, elle cite Alexander Calder en exemple. Le cœur est porté en collier dans les trois films de Bridget Jones.
The Rattlesnake
Un Texan a un jour offert à Elsa un morceau de serpent à sonnette comme porte-bonheur. « Je l’ai porté avec moi pendant des années jusqu’à ce que je trouve les bons artisans pour donner vie au serpent. C’est un talisman. »
Tiffany & Co. célèbre le 50e anniversaire de Peretti avec des créations iconiques mettant en valeur des pierres précieuses exceptionnelles.
Passeport Peretti
. Née le 1er mai 1940 à Florence dans une famille bourgeoise aisée, elle a grandi à Rome.
. Après un passage par Barcelone, Elsa arrive à New York en 1968. Elle s’est rapidement fait un nom en tant que mannequin, muse et créatrice de bijoux.
. En 1971, elle a remporté le Coty Award pour « la façon dont elle a fait entrer ses bijoux dans l’univers de la fashion sculpture ». En 1972, elle se voit attribuer un espace chez Bloomingdale’s.
. En 1974, elle s’associe à Tiffany. Lorsqu’elle envisage de prendre sa retraite à 72 ans, Tiffany parvient à la convaincre de continuer en mettant une grosse somme sur la table.
. En 1980, Tiffany lance la collection Peretti Home.
. Elsa décède le 18 mars 2021, à l’âge de 80 ans. Elle a des résidences à Rome, Monte Carlo, Barcelone et New York, mais s’éteint dans son sommeil à Sant Martí Vell.
. Cette année, Tiffany célèbre 50 ans de collaboration avec Elsa Peretti, dont les créations sont toujours aussi populaires. « Elsa Peretti n’était pas seulement une créatrice mais un mode de vie », avait publié Tiffany. « Son travail et son impact se perpétuent chez Tiffany et dans le cœur de tous ceux qui apprécient l’artisanat d’exception. »
Info : Tiffany.com et @elsaperetti.official
Par Lene Kemps
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