Miles Signs, peintre en lettres : “Il faut oser l’excellence”
Jérémy Goffart a.k.a. Miles Signs est peintre en lettres, un métier d’artisan qui revient sur le devant de la scène pour répondre à un besoin croissant d’authenticité. Ou comment penser et intégrer un lettrage dans un lieu sans le dénaturer.
À mi-chemin entre la calligraphie et la décoration, la peinture en lettres a connu son âge d’or entre la fin du 19e et le début du 20e siècle. À l’époque, tous les travaux intérieurs et extérieurs dédiés à l’information et à la publicité étaient réalisés à la main. Aujourd’hui, le métier de peintre en lettres se fait plus rare, supplanté par les nouvelles techniques d’impression numérique sur supports adhésifs ou autres. Sous sa forme traditionnelle, cette activité est encore exercée par quelques spécialistes qui bénéficient de l’engouement actuel pour l’authentique et l’artisanal. Parmi eux, Miles Signs se caractérise par la délicatesse et la précision de son pinceau, capables de défier la rapidité et l’efficacité des machines.
Rendez-vous est pris à Liège chez en ville, une néocantine dont la vitrine est ornée d’un lettrage à la feuille d’or réalisé par Miles Signs. “Avec Lena, l’une des responsables, nous avons déterminé les couleurs correspondant au mieux au cadre et à l’activité du lieu. J’ai ensuite réalisé deux dorures : le logo en or 23 3/4 carats sur la vitrine et, au-dessus de la porte d’entrée, le slogan en or rose 22 1/2 carats”, explique le peintre en lettres. Interview inspirante d’un artisan sensible à la beauté des techniques anciennes auxquelles il ajoute sa patte contemporaine.
Qui êtes-vous ?
Miles Signs : “Je m’appelle Jérémy Goffart, mais mon nom d’artiste, c’est Miles Signs. J’ai choisi un nom anglais car je travaille en Belgique, mais aussi à l’étranger. Je suis peintre en lettres. Je réalise des lettrages d’enseignes et de signalétique, en peinture et en dorure, sur toutes sortes de supports, des vitrines de commerces aux décors de cinéma en passant par des véhicules.”
Pouvez-vous résumer votre parcours ?
MS : “Mon parcours est atypique. Je n’ai pas fait d’études de graphisme ni de peinture en lettres. La formation n’existe d’ailleurs plus en Belgique depuis les années 80. Mais j’ai eu l’occasion de suivre un stage en dorure auprès de Caroline Pholien au Centre des métiers du patrimoine La Paix-Dieu, qui m’a ensuite octroyé une bourse afin de me perfectionner en Angleterre. Aujourd’hui, j’exerce la calligraphie en appliquant des principes de typographie, sans être un expert dans ce domaine. C’est pourquoi je m’entoure de collaborateurs spécialisés comme Kevin Cocquio.”
Aujourd’hui, vous vivez de ce métier. En tant qu’autodidacte, n’avez-vous pas parfois l’impression d’être un imposteur ?
MS : “Absolument, je remets parfois en question ma légitimité, en particulier par rapport à Kevin qui possède des connaissances théoriques que je n’ai pas et maîtrise ce savoir-faire mieux que personne. Pour moi, tout a débuté comme une passion. J’ai découvert cette discipline et j’ai voulu savoir d’où elle venait. Je suis heureux qu’elle soit devenue mon gagne-pain.”
À l’ère du tout-numérique, comment expliquez-vous le succès de votre activité ?
MS : “Mon ambition, c’est de proposer quelque chose de cohérent et d’unique, qui corresponde au lieu que le client me demande de mettre en valeur. En effet, certains choix en termes de graphisme ne sont pas toujours adaptés. J’espère apporter une véritable valeur ajoutée par rapport à la machine.”
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
MS : “La peinture en lettres a une histoire. Je puise mon inspiration dans le passé, même si je n’ai pas envie de reproduire les choses à l’identique. Le graphisme, la peinture et les affiches d’autrefois m’inspirent énormément, tout comme l’architecture et le design industriel. Aujourd’hui, les possibilités offertes par Internet me paraissent beaucoup plus limitées. Ce que je trouve dans les livres est souvent bien plus riche et moins formaté que ce que je vois sur Instagram par exemple.”
La dernière photo que vous avez prise avec votre téléphone ?
MS : (Il regarde dans la galerie photos de son téléphone, NDLR.) “C’est une photo que j’ai prise rue de l’Épée, derrière l’hôtel de ville de Liège. Cette pierre sculptée présente un lettrage intéressant, qui apporte une touche finale à la composition. Depuis que je fais ce métier, je redécouvre l’espace urbain et je prends énormément de photos. Quand je me promène, j’aperçois des frises, des médaillons, des motifs… Je remarque des détails qui avaient échappé à mon attention. Je les traque même.”
Les 20 euros que vous avez le mieux dépensés ?
MS : “Les disques de Gainsbourg que j’ai achetés la semaine dernière chez Veals & Geeks, un ami disquaire à Bruxelles. Le son de ces morceaux composés pour le cinéma, c’est de la bombe. J’aime beaucoup les musiques de films des années 60. J’aurais adoré enregistrer des batteries (Miles est aussi musicien, NDLR) pour une bande originale à l’époque.”
L’endroit où vous vous sentez le mieux au monde ?
MS : “J’apprécie beaucoup Londres, où j’ai travaillé pour une bijouterie et peint des numéros de maisons. En voyant les façades, personne ne pourrait imaginer à quel point les intérieurs qui se cachent derrière sont luxueux. Les Anglais sont très protecteurs du patrimoine, c’est en partie grâce à eux que le métier a perduré. C’est aussi à Londres, au meeting Letterheads, que j’ai eu la chance de rencontrer des artisans chevronnés comme Dave Smith. Celui-ci est incroyablement accessible et généreux. Il a balisé le terrain pour une nouvelle génération de lettreurs. C’est un porte-flambeau de notre métier. Super sympa en plus !”
Le superpouvoir que vous aimeriez avoir ?
MS : “J’adorerais pouvoir remonter dans le temps. Je suis un défenseur du savoir-faire d’autrefois. Au fil du temps, les codes se sont perdus. Par conséquent, il arrive qu’on véhicule aujourd’hui des choses qui sont basées sur des sources erronées. Certains prétendent faire partie du mouvement. Ils sont enthousiastes, certes, mais ils ne connaissent pas les traditions et les bons gestes. Très à cheval sur la technique, le typographe et peintre en lettres américain John Downer veille à remettre les choses à leur place au cours de ses conférences et workshops. C’est un véritable mentor pour moi, auprès duquel j’ai suivi un stage intensif de quatre jours à Amsterdam.”
Que faites-vous après cette interview ?
MS : “Je vais aller travailler dans le studio de Spyk, un ami artiste qui réalise à la bombe des toiles hyperréalistes sur lesquelles je peins des lettrages.”
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