Marino magic: la rénovation rock ‘n roll de la boutique haute joaillerie de Chanel
Chanel vient de rouvrir sa boutique emblématique de haute joaillerie au célèbre 18, place Vendôme. L’architecte américain Peter Marino a retroussé les manches de son perfecto et a ouvert la voie entre moderne, classique et artistique.
Peter Marino et Chanel ne sont pas des étrangers l’un pour l’autre. Voilà plus de 25 ans que le directeur de Peter Marino Architect, un cabinet d’architectes new-yorkais de 160 collaborateurs fondé en 1978, travaille pour la célèbre maison de couture. Cette collaboration a donné naissance à une somptueuse collection de boutiques de luxe aux États-Unis, en Europe et en Asie Peter Marino a élevé chacune d’entre elles au rang d’oeuvre d’art. Cet architecte flamboyant à la fibre romantique est également célèbre pour sa manière d’intégrer l’art dans ses conceptions architecturales et a commandé près de 300 oeuvres pour des projets spécifiques. Il a conçu les bâtiments et les intérieurs des seize boutiques Chanel dans le monde. La nouvelle boutique emblématique de haute joaillerie à Paris est son dix-septième projet.
On dit que Gabrielle Chanel était sévère, mais ses bijoux témoignent d’un certain lyrisme. Si Gabrielle avait été si sévère, elle ne serait pas Chanel.
Peter Marino, architecte
Quelle était votre vision pour la nouvelle vie de cet écrin emblématique de haute joaillerie Chanel au 18, Place Vendôme à Paris?
“Une alliance entre le luxe et la modernité. Le résultat, selon moi, correspond parfaitement à Chanel. La palette explore le blanc, l’or, le noir et le beige, qui sont les tons de Chanel. À partir de ceux-ci, j’ai travaillé avec cinq à six textures différentes. Par exemple, la laque, si souvent associée à Gabrielle Chanel, est interprétée ici de manière unique dans les salons du rez-de-chaussée.” La laque fait référence à l’une des passions de Coco Chanel, celle des paravents de Coromandel. Les paravents de Coromandel, d’origine chinoise, sont décorés de motifs raffinés, délicatement gravés dans la laque et ne sont appelés “paravents de Coromandel” qu’en Occident, car ils étaient exportés vers l’Europe depuis la côte sud-est de Coromandel, en Inde. Fascinée par leur raffinement, Mademoiselle Chanel s’est mise à les collectionner. Elle en couvrait les murs de ses résidences parisiennes, sublimant ainsi leur charme classique d’une exotique touche de poésie.”
Avez-vous fait appel à des ateliers spécialisés?
“Travailler avec des ateliers spécialisés et les précieuses techniques qu’ils maîtrisent, c’est se lier au temps qui passe. Chanel est une entreprise extraordinaire qui attache une grande importance à l’excellence du savoir-faire. Je suis toujours émerveillé par l’éternelle créativité de cette marque, des collections de bijoux à la haute couture. C’est une maison en perpétuel mouvement. La conception du rez-de-chaussée est plus élaborée, mais au fur et à mesure des étages, le design gagne en sobriété. Le dernier étage est le plus simple: les pièces de la collection de haute joaillerie peuvent y être admirées dans une sorte de “salle blanche” avec le moins de distractions possible. Seuls la vue imprenable et le tableau de Nicolas de Staël risquent de vous distraire.”
Quelles sont les principales oeuvres d’art sélectionnées pour ce projet?
“À l’entrée, c’est l’oeuvre d’Idris Khan, Eternal Movement, qui vous accueille, un tirage numérique a développement chromogène de lignes fluides. À mes yeux, c’est une oeuvre à la fois romantique et poétique. Elle dégage un lyrisme moderne similaire à celui de Chanel. On dit que Gabrielle Chanel était sévère, très sévère, mais les rubans enroulés autour de son cou et ses bijoux témoignent d’un certain lyrisme. Si Gabrielle avait été si sévère, elle ne serait pas Chanel. Nous avons également commandé au sculpteur Johan Creten une colonne qui serait une réinterprétation de la colonne Vendôme située au centre de la place du même nom, adresse de la boutique. Cette colonne s’inspire de la colonne Trajane, un monument qui me fascine personnellement et qui est aussi célèbre que la tour Eiffel. La boutique expose aussi quelques-unes de mes sculptures Bronze Box. Ce sont de véritables éditions artistiques. J’en suis très fier. Il faut toute une vie pour trouver sa voix et pour créer une oeuvre qui ne ressemble à aucune autre et qui soit à la fois originale, unique et belle. Le “Coco Chandelier” est suspendu en bas de l’escalier. C’est une oeuvre d’art explorant l’image de Gabrielle Chanel, réalisée par le sculpteur californien Joel Morrison, qui a travaillé chez un concessionnaire de motos. Je lui ai confié cette mission en raison de la modernité dont il fait preuve. J’aime fusionner les lignes classiques et ce type d’énergie et je sentais que le résultat serait chic. J’ai pris le lustre de l’appartement de Coco Chanel au 31, rue Cambon comme base et Morrison a réinterprété les bras en fer forgé qui sortent de la tête de Coco et se terminent en grandes gouttes de cristal de roche. Ils semblent fusionnés. Comme l’ensemble du lustre, d’ailleurs. Et puis il y a Nicolas de Staël, bien sûr…”
“Les tableaux ont un karma et une vie — on pourrait écrire la biographie de chacun d’entre eux. Il y a plus de vingt ans, j’ai acheté “Composition” chez Sotheby’s à Londres pour un client qui l’a ensuite revendu. Lorsque Chanel m’a annoncé que c’était le tableau qu’ils envisageaient d’acheter, j’ai trouvé ça fou! Mais la maison a estimé qu’il représentait vraiment le même type de modernisme luxueux et progressiste, tout en exprimant une sorte de tradition séculaire qui représentait bien les valeurs de Chanel. J’étais aux anges.”
Quels aspects avez-vous préférés dans ce projet?
“Le plus agréable pour un architecte, c’est d’imaginer un nouvel escalier. J’ai aussi adoré créer les tapis, ce type de design me passionne.”
www.petermarinoarchitect.com
www.chanel.com
Haute joaillerie
En 1932, lors de la Grande Dépression qui a suivi le krach boursier de 1929, les affaires vont mal dans les rues commerçantes de Paris. La British Diamond Corporation Limited, que l’on pourrait qualifier d’union des diamantaires, cherche à sortir du marasme et demande à Gabrielle Chanel de créer une collection de diamants pour donner un nouvel essor au secteur. À cette époque, Chanel est une couturière de renommée qui fait beaucoup parler d’elle. Gabrielle s’est déjà essayée aux bijoux fantaisie, mais la haute joaillerie est une autre paire de manches et elle n’a pas le budget pour acheter des pierres précieuses. Quand la Diamond Corporation Limited lui propose des diamants, Coco s’installe directement à la table à dessin et, quelques mois plus tard, sa première collection de bijoux, “Bijoux de Diamants”, est née. C’est la première fois qu’une couturière présente une collection de haute joaillerie cohérente, mais ce sera la dernière. Car le métier de joaillier n’est alors exercé que par des hommes issus de maisons familiales réputées, comme Cartier, Van Cleef & Arpels, Mauboussin, etc. spécialisées en joaillerie. Le fait qu’une créatrice de mode réinterprète la haute joaillerie à travers sa propre collection fait éclater un scandale retentissant dans le milieu. Gabrielle Chanel a conçu la collection comme une collection de mode avec des silhouettes qu’elle présente sur des bustes et non sur des coussinets, comme il était d’usage à l’époque. Elle voulait donner aux femmes intéressées une idée de l’attrait que les bijoux pourraient avoir sur leur corps ou sur leurs tenues. Ce qui semble si évident aujourd’hui.
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