Visite d’une casbah belge à Marrakech

Pendant sept mois, Hannelore Caspers a campé dans son jardin aux abords de Marrakech, aux côtés de plus de trente ouvriers. Et alors que la casbah prenait forme, elle comprenait peu à peu l’impact social de ses rêves. «L’entraide est une évidence ici»

«Smakelijk eten», nous dit délicatement la serveuse. En plus du berbère, de l’arabe, du français et de l’anglais, elle assimile à toute vitesse quelques bases de néerlandais ces dernières semaines. Car la clientèle de la casbah Tifawine est (pour l’instant) principalement flamande. On trouve même dans les coins salons du patio décoré avec goût des magazines Trends-Tendances. «Je ne les ai pas mis là pour vous», dit Hannelore en riant, «les clients laissent souvent des magazines ici.» L’hôtesse à l’enthousiasme communicatif a derrière elle les premiers mois de sa toute nouvelle aventure: une casbah à elle, en périphérie de l’effervescente Marrakech. «C’est la première fois que je passe tout un hiver au Maroc», dit-elle. «C’était génial, car il ne fait quasi jamais vraiment froid ici.» L’amour qu’elle a pour cette ville n’est pas nouveau. Dans son ancienne vie de styliste d’intérieur, Hannelore venait souvent à Marrakech avec son époux Kris Vogeleer, consultant pour la marque de mode belge Essentiel Antwerp. «Mais trouver un bâtiment ici s’est avéré beaucoup moins évident que nous le pensions. Nous avons dû chercher pendant pas moins de trois ans, et depuis, toutes les pièces du puzzle s’assemblent à merveille.» La propriété qu’Hannelore a acquise à Tamesloht comprend un bâtiment central avec six chambres d’hôtes, une petite réception, une cuisine, un hammam, un bar confortable, un rooftop féerique et une grande piscine extérieure. Le tout dans les tons naturels qui dominent aussi le paysage, quelques jolis accents de couleur parsemés ci et là. «Cela ne ressemblait pas à grand-chose quand nous sommes arrivés ici. Beaucoup de glamour et de bling bling», explique-t-elle. Heureusement, Hannelore connaît les ficelles du métier et a parfaitement réussi à jouer de la sobriété berbère et de la science des couleurs pour livrer des interprétations contemporaines du luxe et du confort. Dans le vaste jardin qui donne sur les montagnes enneigées de l’Atlas, elle a construit une suite isolée avec piscine privée. Sa maison se trouve un peu plus loin et son mari Kris comme ses deux fils adultes viennent y séjourner avec plaisir.

Une machine bien huilée

Tifawine, qui signifie en berbère «lieu illuminé de nombreuses petites lueurs», n’est ouvert officiellement que depuis quelques mois, mais il ne reste aucune trace de ce qui a dû être une rénovation particulièrement minutieuse. Aucune plinthe non achevée, aucune plante encore glabre, aucune ampoule à nu. Le souci du détail d’une designeuse d’intérieur. Tifawine a l’air d’une machine bien huilée qui tourne depuis des années. Hannelore a recruté le personnel localement, dans le petit village de Tamesloht. «Ce n’est pas évident pour les femmes berbères de se déplacer sur de longues distances», explique Hannelore. «Les hommes ont parfois une voiture, mais souvent une mobylette. Les femmes, en revanche, en ont rarement une.» À l’instar de la très sympathique Malika. C’était difficile pour elle de parcourir chaque jour les six kilomètres aller et retour jusqu’à la casbah. «Le reste du personnel a pris l’initiative de se cotiser pour lui acheter une Mobylette. N’est-ce pas merveilleux? Dans cette région, personne n’a énormément d’argent et pourtant, tout le monde s’entraide. Je le constate au quotidien dans le fonctionnement de la casbah. Il y a beaucoup de travail en cuisine? Les femmes de chambre interviennent sans hésiter pour filer un coup de main. Il faut nettoyer des chambres de toute urgence? Le personnel de cuisine est prêt à rendre service. J’emploie neuf personnes et cela me remplit de joie de voir à quel point elles se renforcent les unes les autres.»

Perspective

Mais même si elle n’ira pas le crier sur les toits, c’est avant tout Hannelore qui renforce les hommes et les femmes de Tifawine. Elle offre des cours de français au jardinier analphabète et les jeunes filles sont elles aussi formées pour devenir des expertes à part entière dans le domaine de l’hôtellerie. «Je souhaite non seulement fournir un service de qualité à notre clientèle, mais aussi offrir des perspectives d’avenir au personnel.» L’aspect social de l’entrepreneuriat est un aspect qui fascine particulièrement Hannelore, ainsi que son époux Kris. Tous les bénéfices seront reversés à la communauté locale. Lorsque Kris s’installera également à Marrakech dans quelques années, l’intention est d’étoffer cet aspect du projet. «Nous n’avons pas encore terminé notre travail ici», rit Hannelore.

Dans une casbah comme celle d’Hannelore, on n’est pas vraiment en manque d’activités. Les plats sortant de la cuisine sont délicieux (ne manquez surtout pas le petit-déjeuner! ), le hammam est géré par un masseur expérimenté et la piscine apporte la fraîcheur nécessaire, ce qui sera particulièrement bienvenu quand le mercure remontera au-dessus des 40 degrés. Pourtant, Tifawine offre aussi d’autres avantages, comme des balades à vélo et des randonnées. Abderrhamim, le sympathique guide qui nous accompagne pour une randonnée jusqu’au Plateau du Kik (avec une vue imprenable sur les montagnes de l’Atlas), ne tarit pas d’éloges sur Hannelore et sa casbah. Avant même de découvrir qu’un journaliste se cache dans le groupe. «Hannelore est la seule hôtesse qui a tenu à tester elle-même toutes les randonnées avant de les proposer à ses clients.»

Raffinement

Marrakech est une destination qui s’est véritablement métamorphosée pendant cette dernière décennie. Il y a bien plus de vols directs et donc bien plus de tourisme, de nombreuses routes locales ont été bétonnées et la gastronomie s’est raffinée. Pourtant, Marrakech n’a pas trahi l’authenticité de son âme trépidante. La médina, l’ancien centre-ville délimité par un rempart, est toujours un brassage de saveurs, d’odeurs, de couleurs et d’impressions. Les mobylettes bourdonnent dans les ruelles étroites tandis que les artisans cousent, taillent et bricolent leurs marchandises avec diligence. Cette facilité à mettre en vente des tapis de la plus haute qualité à côté d’une ribambelle de faux sacs Louis Vuitton n’existe nulle part ailleurs. Et l’insistance des commerçants? Tout à fait supportable. Même si leur objectif est évidemment de vendre, nous ne sommes pas prêts d’oublier l’authentique gentillesse des Marocains après cette première visite du pays.