Romano Ricci a choisi la parfumerie de niche plutôt que son avenir anticipé en tant qu’héritier de la mode
Héritier de la célèbre maison de haute couture et de parfums Nina Ricci, Romano Ricci a choisi de suivre sa propre voie. Celle-ci l’a dirigé vers la haute parfumerie et sa marque Juliette Has A Gun est un véritable succès. Portrait d’un homme aux multiples facettes.
Au cœur de Paris, un bateau le long de la Seine s’est paré des couleurs d’une pool party pour l’occasion, avec des palmiers dorés, des fauteuils en velours, des coussins bigarrés et des flamants roses flashy en plastique. Un bar à cocktails et un DJ complètent le tableau. C’est le décor idéal pour les influenceurs qui participent à la soirée de lancement de Lust For Sun, le nouveau parfum de Juliette Has A Gun. Même si Romano Ricci a la réputation d’aimer la fête, il avoue que les événements transmis sur les réseaux sociaux ne sont pas sa tasse de thé. «Je préfère parler aux gens en tête à tête plutôt qu’à travers un écran.» Il m’emmène sur le pont, où il fait calme et où il peut fumer une cigarette. Ce n’est pas vraiment ce que l’on attend d’un parfumeur, mais ce n’est pas là l’unique trait surprenant de Romano Ricci.
J’ai toujours été entouré de femmes, j’étais témoin de leurs qualités et de leurs défauts. Ça me fascine, les gens normaux me font peur
HÉRITIER DE MODE
Romano Ricci, franco-italien, est l’arrière-petit-fils de la célèbre couturière Nina Ricci. Et le petit-fils de Robert Ricci, l’homme d’affaires qui dirigeait la maison de haute couture et qui a lancé les parfums Nina Ricci. «Je viens d’une famille d’entrepreneurs et j’ai grandi dans le monde de la haute couture et de la parfumerie. J’ai passé beaucoup de temps à l’atelier de parfumerie avec mon grand-père. Il m’a fait découvrir les différents composants et m’a appris comment assembler un parfum. Cela m’a donné une sensibilité aux odeurs dès l’enfance. Mon grand-père m’a transmis son amour de la création et son esprit d’entreprise. J’aime créer, mais uniquement pour résoudre un problème ou répondre à un besoin.»
AUTODIDACTE
Romano Ricci n’a pas suivi le parcours traditionnel du parfumeur. Il a étudié le commerce plutôt que la parfumerie et a appris le métier sur le tas. En tant que manager de produit, il a travaillé pour un fabricant de parfums qui lui a permis d’acquérir une expérience en laboratoire, ainsi qu’en développement de produits et en marketing. Il y a rencontré des parfumeurs auprès desquels il a beaucoup appris. Autodidacte, il a d’abord été confronté au scepticisme et aux préjugés, mais Romano Ricci a largement prouvé que ses critiques avaient tort. «Je suis très fier de ce que j’ai accompli. Tout le monde pense que c’est facile quand on s’appelle Ricci. Mais je n’avais pas d’argent quand j’ai commencé et j’ai tout fait moi-même: travail en laboratoire, développement de produits, marketing. J’adore cette polyvalence et j’aime les défis. J’adorerais lancer un parfum à 15 euros. Car les contraintes stimulent la créativité.» Il considère le fait d’être autodidacte comme un atout plutôt que comme un handicap. «Il y a trop de traditions et de règles dans la parfumerie. Il faut bien en respecter certaines, mais j’en enfreins d’autres avec plaisir» (rires).
UN HOMME QUI AIME LES FEMMES
Juliette Has A Gun est une marque pour les femmes. Et selon Romano Ricci, elle le restera. «J’ai grandi dans un monde axé uniquement sur la beauté des femmes. Mon père était plutôt absent, j’ai toujours été entouré de femmes. J’étais témoin de leurs qualités et de leurs défauts, qui font d’elles des êtres uniques. Ça me fascine, les gens normaux me font peur (rires). J’aime observer les gens et essayer de ressentir ce qu’ils sont: ce qu’ils aiment, ce qui les dérange, ce qui les inspire… Je me fie beaucoup à mon instinct, car je crée pour l’autre, pas pour moi. Les parfumeurs qui parlent d’eux-mêmes, de leurs souvenirs ou de leurs expériences me semblent très prétentieux. Qui s’en soucie? Je crée pour les femmes, pas pour moi. Rien de trop compliqué, mais quelque chose de reconnaissable, avec une petite touche d’originalité. Pour moi, les parfums sont comme des robes invisibles, que l’on choisit en fonction de son humeur du moment. Quand je crée un parfum, je pense à une femme en particulier, parfois réelle, parfois imaginaire. J’imagine son style, les couleurs qu’elle porte, sa coiffure, son maquillage, sa personnalité, son attitude et, bien sûr, son parfum. J’essaie ensuite de transposer cette image en un parfum, un flacon et une campagne.»
JULIETTE, L’ALTER EGO
Le nom Juliette Has A Gun fait référence à l’héroïne de Roméo et Juliette de Shakespeare, une femme à la fois romantique et indépendante. Son arme est une métaphore de son parfum, avec lequel elle peut tout affronter. «Un parfum donne confiance en soi et change l’image que l’on a de soi-même», estime Romano Ricci. Il y a beaucoup de Romano dans Juliette Has A Gun. «La marque me ressemble vraiment, ce n’est pas du marketing: elle est singulière et sans compromis. Juliette est un personnage fantastique aux multiples facettes. Plus riche que je ne l’aurais imaginée. Au départ, je voulais créer cinq parfums, mais j’avais encore bien d’autres idées. Je travaille à la fois sur les parfums et sur l’image, car le visuel est essentiel pour faire comprendre la marque. J’aime la qualité, le luxe et les belles choses. Mais Juliette a aussi beaucoup d’humour, elle est souvent un peu provocatrice, mais jamais vulgaire. C’est une frontière ténue, c’est difficile à expliquer, il faut le sentir.»
FAN DE MOLÉCULES SYNTHÉTIQUES
La singularité de Romano Ricci se manifeste également dans son goût prononcé pour les molécules synthétiques. Contrairement à de nombreuses marques qui évoquent uniquement leurs composants naturels (qu’elles n’utilisent parfois que parcimonieusement) pour ne pas faire fuir les gens. Romano Ricci estime que la plupart des idées reçues sur les matières premières synthétiques sont injustifiées. «Elles ont beaucoup d’avantages. Elles élargissent considérablement la palette du parfumeur, alors qu’il n’y a pas plus de cinq cents matières premières naturelles. Elles sont utilisées pour recréer les senteurs de composants naturels impossibles à extraire, comme le muguet et la pêche. Elles préservent de la surexploitation des régions écologiquement vulnérables et rendent obsolètes les tests sur les animaux. De plus, elles réduisent le risque de réaction allergique (par rapport aux ingrédients naturels, qui contiennent plus de molécules, NDLR). Mais surtout, je trouve qu’elles apportent une grande modernité. Un accord ambré musqué qui persiste merveilleusement sur la peau est le fil conducteur de mes créations depuis la création de Not A Perfume (un parfum à une seule molécule, le cetalox, NDLR).»
ENTREPRENEUR EN PARFUMERIE
Ce n’est pas toujours simple de gérer une entreprise familiale et il y a souvent beaucoup de tensions. Son père s’est retiré de l’entreprise et a rompu avec la famille. Romano Ricci a donc décidé de ne pas travailler pour l’entreprise familiale, mais d’emprunter sa propre voie. Pas dans la mode, mais dans le parfum. «Au début des années 2000, la haute parfumerie a pris de plus en plus d’ampleur. J’ai constaté qu’il y avait un créneau sur le marché pour des parfums de qualité à la fois accessibles et non conventionnels. Juliette Has A Gun incarne ma vision de la parfumerie. La marque se situe entre le mainstream et la haute parfumerie, un tremplin idéal pour ceux qui achètent les grandes marques de créateurs et qui ont envie d’essayer des parfums plus singuliers.» Aujourd’hui, dix-sept ans plus tard, la maison lance son vingt-quatrième parfum. Une collection de différents parfums, chacun racontant son histoire unique.
UN COUREUR AUTOMOBILE MÉRITANT
C’est son père qui a transmis à Romano Ricci l’amour de la course. Il s’est découvert un talent et a même fait partie de l’équipe nationale française. Mais cela reste un loisir, ce sont les parfums qui bénéficient de toute son attention. Même s’il voit des similitudes entre le monde de la course automobile et celui de la parfumerie: «Il faut oser prendre des risques et l’importance de l’esprit d’équipe est cruciale. En même temps, il faut aussi avoir l’esprit compétitif. Même si, heureusement, Juliette Has A Gun se démarque totalement de ses concurrents en parfumerie.»
COLLECTIONNEUR D’ART
Il est aussi passionné d’art contemporain, auquel il trouve d’autres points communs avec le monde de la parfumerie. «Tout comme l’artiste, on part d’une idée. Elle peut plaire, dérouter ou encore choquer… comme toute œuvre artistique. Le meilleur exemple pour moi est Not A Perfume. À l’époque, tout le monde m’a dit que j’étais fou de lancer un parfum composé d’une seule molécule et avec un tel nom… C’est devenu notre best-seller.»
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