Les coins préférés d’un expat à Rome

Une touriste américaine s’interroge: «L’église ouvre à neuf heures, non?». Elle scrute sa montre avec impatience, il est neuf heures trois. Nous sommes devant la porte de l’église Sant’Ignazio, l’un des endroits préférés de Sybil Mortelmans, styliste freelance qui a créé sa marque de sacs, Tres Sis Zero. L’oreille contre la porte, Sybil entend un bruissement. Un concierge déverrouille tranquillement la serrure, étonné que des gens attendent déjà. L’attente en valait la peine: une splendide église dont le plafond, couvert d’une fresque immense, est particulièrement impressionnant. Mais le véritable chef-d’œuvre se trouve au-dessus de la nef: une coupole en trompe-l’œil qui, dans la maussade lueur matinale, ne ressemble qu’à une sombre cavité. «Depuis la crise énergétique, il faut payer pour allumer les spots qui éclairent la coupole pendant quelques minutes.» C’est ce que Sybil nous apprend. Un euro plus tard, la sombre cavité s’illumine et on jurerait qu’il y a une coupole sur cette église. Spectaculaire, mais on serait passées à côté sans cette astuce. Visiter Rome nécessite quelques préparatifs, sans quoi on risque de rater pas mal de choses. «Il y a plusieurs endroits que l’on ne peut pas visiter sans rendez-vous et qui valent pourtant le détour. Par exemple, l’ambassade du Brésil a une vue imprenable sur la Piazza Navona. Grâce au bouche-à-oreille, j’ai découvert qu’il était possible de réserver une visite sur le site web de l’ambassade, mais souvent pas avant des semaines.»

C’est comme s’il y avait une vie parallèle à Rome, pleine de trésors cachés pour les initiés, pour peu qu’ils soient organisés et attentifs. «Je fais des découvertes tous les jours ici, généralement par hasard, en me promenant tout simplement et en entrant dans les lieux» dit Sybil. Capitale de l’Empire romain et siège de l’Église catholique romaine, Rome est un trésor de monuments incontournables, comme le Colisée, le Forum romain, le Panthéon… Autant de témoins silencieux de l’impressionnant passé de la Ville éternelle. «La plupart des sites touristiques sont accessibles à pied, en bus ou en métro. Mais la ville devient moins accessible si l’on veut sortir des sentiers battus du centre-ville. Les transports publics sont peu fiables et mal conçus. Rome est un gigantesque site archéologique où l’on tombe sur des reliques au moindre coup de pelle, ce qui interrompt les travaux. Cela n’avance pas.» Avec 2,7 millions d’habitants dans le centre, Rome est aussi la ville la plus peuplée d’Italie. Le trafic est un véritable chaos, selon Sybil: «Il faut vraiment se jeter à l’eau et oublier le Code de la route, sinon on n’arrive jamais nulle part. Personne ne vous laisse la priorité, tout le monde s’insulte et se gare où il peut, même sur les passages pour piétons ou en double file.»

Elle a dû s’y habituer après Madrid, ville bien plus structurée, où elle a vécu pendant 21 ans avec son époux, qu’elle a rencontré à Londres. Après une brève carrière dans l’industrie cosmétique à Shanghai, elle y suivait une formation de bottière. Elle a rencontré Paolo, Italien originaire de Bolsano, qui travaillait pour MTV. Quand il a dû s’installer à Madrid pour son travail, Sybil l’a suivi sans hésiter. L’année dernière, plus de 20 ans et 3 enfants plus tard, elle a réitéré l’expérience et l’a suivi à Rome. «Comme je suis styliste, je peux travailler n’importe où.» Même si, d’un point de vue professionnel, Rome n’est pas très intéressante pour elle. Son réseau est principalement établi en Espagne, où elle a lancé une ligne de chaussures il y a quelques années. Elle a découvert les entrepôts où les marques de luxe déposaient leurs chutes de cuir qui étaient revendues pour une bouchée de pain. «Chaque saison, ils se débarrassent de tout, jusqu’aux fermetures éclair. C’est ainsi qu’est née l’idée de Tres Sis Zero, une marque durable qui fabrique des sacs intemporels à partir de chutes de cuir. Je travaille aussi en tant que styliste freelance pour la marque de chaussures belge Thiron.» Même si l’Italie est la référence en matière de design et de cuir de qualité, c’est à Milan qu’il faut se rendre, car c’est là que tout se joue en matière de design et de culture. Sybil estime que Rome est à la traîne dans ce domaine. «J’espère que Rome sera la ville de l’exposition universelle en 2030. Ça boosterait un peu sa modernité.» C’est ce qui lui manque à Rome, où les touristes viennent surtout pour le patrimoine, et pas tant pour découvrir la nouveauté. «Je ne pense pas que beaucoup de gens visitent le Maxxi (N.D.L.R. Musée d’art moderne et d’architecture, dans un bâtiment construit par Zaha Hadid) avant d’avoir vu les monuments incontournables.»

En nous rendant à la Galeria Spada, que Sybil a également découverte par hasard, nous passons devant le Panthéon, le vestige le mieux conservé de l’Empire romain. À cette heure (assez) matinale, il n’y a pas encore trop de touristes et nous pouvons entrer directement. Le soleil se cache toutefois sous un épais duvet nuageux et nous n’avons donc pas la chance de contempler la magie des rayons du soleil pénétrant le toit circulaire et illuminant le sol en pierre. Cela n’en reste pas moins un lieu impressionnant et magique.

«Il y a tellement de choses à voir ici. Au début, j’étais vraiment submergée. Et ce n’est pas évident de s’orienter dans ce dédale de ruelles. Le week-end, à l’occasion d’une visite de musée ou d’une sortie au restaurant, nous commençons toujours par une exploration du quartier. Je rentre dans toutes les églises, au grand dam de mes enfants. C’est comme ça que je fais des découvertes.» Pour échapper à l’agitation et au chaos de la métropole, Sybil et sa famille partent souvent en week-end: «Il faut moins d’une heure pour arriver en Ombrie ou dans les Abruzzes, dans les montagnes. La côte aussi est toute proche, même si elle n’est pas vraiment belle.»

Il y a énormément de cafés, restaurants et bars à vin à Rome. «Ici, on mange et on boit très bien, ce qui rend la vie très douce. Ma fille de seize ans adore Rome. Dès la première semaine d’école, elle a dîné avec quelques-uns de ses camarades de classe.» Sybil avoue qu’elle se sent toujours comme une touriste dans sa ville. Et ce sera encore le cas pendant un moment. «Il y a tellement de choses à voir ici que je fais des découvertes tous les jours. Non basta una vita (N.D.L.R. Une vie ne suffit pas), comme disent les Italiens.»