Le modernisme made in Michigan: Comment un projet philanthropique est devenu le vivier du modernisme américain

Authentique La salle à manger dans la Saarinen House © James Haefner © Cranbrook Center for Collections and Research

Le campus a été conçu par Eliel Saarinen, qui a aussi été le directeur de la Cranbrook Academy of Art. Son fils Eero y était élève, tout comme Charles Eames, sa femme Ray et Florence Knoll. Harry Bertoia dirigeait l’atelier de ferronnerie ornementale et Frank Lloyd Wright aimait y visiter. Bienvenue à Cranbrook, le paradis pour les passionnés d’architecture et de design.

Qu’il franchisse le grand portail de Woodward Avenue ou qu’il entre par l’une des entrées de Lone Pine Road, le visiteur comprend d’emblée que Cranbrook est un lieu d’une beauté singulière. Le domaine de 129 hectares situé dans la ville huppée de Bloomfield Hills, dans le Michigan, à une demi-heure au nord-ouest de Detroit, abrite une communauté éducative composée de la Cranbrook Academy of Art, académie de renommée internationale, d’une école primaire et secondaire, d’une église, d’un musée d’art, d’un musée des sciences et de l’impressionnante Cranbrook House, où tout a commencé. Les bâtisses trônent dans des jardins paysagers ponctués par des dizaines de sculptures du Suédois Carl Milles. Cranbrook s’apparente à une Gesamtskunstwerk. Ds bâtiments aux chaises et tables du réfectoire de l’école secondaire, tout est conçu comme un ensemble.

Cranbrook Art Museum Le musée examine l’histoire et l’avenir de l’art moderne © PD Rearick © James Haefner
Cranbrook Art Museum Le musée examine l’histoire et l’avenir de l’art moderne © PD Rearick © James Haefner © Cranbrook Center for Collections and Research

Les Booth

«La moindre décision architecturale ou de design avait une intention affirmée. L’évolution de Cranbrook n’était ni organique ni le fruit du hasard, elle était le résultat d’une vision claire», déclare Gregory Wittkop, directeur du Cranbrook Center for Collections and Research. Gregory Wittkop, architecte et historien de l’art de formation, est l’interlocuteur idéal pour parler de Cranbrook. Il travaille à Cranbrook depuis 37 ans et a occupé diverses fonctions. Je le retrouve à Cranbrook House, le manoir dont George et Ellen Booth ont confié la construction au légendaire architecte de Detroit Albert Kahn en 1908.

Au début du vingtième siècle, les Booth achètent un terrain et une ferme dans la ville de Bloomfield Hills, alors rurale et pauvre. George Booth est issu d’une famille modeste de chaudronniers et de forgerons et a grandi à Toronto et à Detroit. En épousant Ellen Scripps, la fille de l’éditeur du Detroit News, il entre dans l’entreprise de son beau-père et devient rapidement un magnat de la presse. Les Booth amassent d’énormes richesses et deviennent des philanthropes influents, férus d’arts et d’artisanat.

L’imposante maison qu’Albert Kahn a conçue pour eux sur leur domaine est un Arts and Crafts Mansion à l’anglaise et est baptisée en souvenir de la petite ville de Cranbrook, dans le sud-est de l’Angleterre, d’où sont originaires les ancêtres de Booth.

«George Booth était forgeron et il a toujours eu la mentalité d’un maker», explique Gregory Wittkopp. «Cette influence était présente dès les prémices de la Cranbrook House. Ils auraient pu remplir leur maison d’antiquités, mais ils ont préféré demander à des artisans et des artistes de livrer leurs meilleurs tapis, boiseries et meubles. Le tout est entouré de somptueux jardins, dont un jardin japonais.»

La Cranbrook House deviendra la résidence familiale des Booth, qui approchaient de la cinquantaine. «J’imagine Ellen et George Booth, en pleine transition de milieu de vie, se demandant: qu’allons-nous laisser en héritage et comment se souviendra-t-on de nous? Comme le couple fortuné qui a construit cette magnifique maison? Ou voulons-nous plus?»

Midcentury Modern design

Selon Gregory Wittkopp, la pièce manquante du puzzle a été trouvée lorsque les Booth ont visité The American Academy à Rome, un lieu d’apprentissage artistique. «Ils ont trouvé le modèle intéressant: une communauté où l’on réunit des artistes de différentes disciplines et où chacun travaille sur ses projets, mais apprend aussi des autres, en cohabitant sur le campus.»

Après leur voyage à Rome, les Booth, qui étaient profondément religieux, ont commandité l’élaboration de plans pour la construction d’une église et d’ateliers d’artistes et d’artisans.

«C’était de l’altruisme. Ils voulaient créer un campus et une communauté qui profiteraient aux habitants du Michigan et de tout le pays», explique Gregory Wittkop. «Et oui, ils étaient uniques. Aucun des bâtiments ne porte leur nom.»

Tout s’accélère lorsqu’en 1925, George Booth commande au Finlandais Eliel Saarinen, qui avait émigré aux États-Unis et était alors déjà l’un des architectes majeurs de sa génération, la conception du Cranbrook Campus, des écoles, des musées, d’une bibliothèque et de l’Academy of Art. «Eliel Saarinen enseignait au département d’architecture de l’université du Michigan à Ann Arbor. Henry Booth, fils de, était l’un de ses étudiants et a mis en contact son père et son professeur.»

Pendant les 25 années suivantes, George Booth et Eliel Saarinen ont travaillé en étroite collaboration pour faire de Cranbrook la communauté éducative qu’elle est toujours aujourd’hui. «Eliel Saarinen n’était pas uniquement l’architecte, il a aussi composé le cursus de l’Academy of Art et en est devenu le directeur. Et il a enseigné l’architecture et l’urbanisme.»

Wittkopp souligne que la philosophie de la Cranbrook Academy of Art, qui est le berceau de ce que nous appelons aujourd’hui le midcentury modern design est resté la même: un programme d’études postuniversitaires sans horaire fixe ni système de crédits. Chaque étudiant travaille sur ses projets dans les ateliers sous la direction d’artistes, d’architectes, de designers et d’artisans (céramiques et textiles, par exemple). Tout comme l’ont fait, à la fin des années trente, Eero Saarinen, Charles et Ray Eames, Harry Bertoia et Florence Knoll, qui y ont tissé des liens et des collaborations pour la vie, ou ont eu des discussions fascinantes avec Frank Lloyd Wright et Alvar Aalto.

Cranbrook Art Museum Le musée examine l’histoire et l’avenir de l’art moderne © PD Rearick © James Haefner
Cranbrook Art Museum Le musée examine l’histoire et l’avenir de l’art moderne © PD Rearick © James Haefner © Cranbrook Center for Collections and Research

Trésors architecturaux

À la fin de l’entretien, nous nous rendons à la Saarinen House. Contrairement aux autres bâtiments sur le campus, qui ont conservé leur fonction première, celui-ci est devenu un musée. La plupart des étudiants et des enseignants vivent sur le campus et aujourd’hui encore, on travaille d’arrache-pied dans les ateliers. Même s’il faut parfois déployer des tours d’équilibriste pour à la fois utiliser et préserver les trésors architecturaux au quotidien. «Vous savez, les élèves de l’école secondaire s’assoient sur des chaises et mangent à des tables conçues par Eliel Saarinen, ou du moins sur des répliques très exactes. Nous sommes fiers que Cranbrook soit toujours fidèle à sa destination première, même si cela nécessite des compromis.»

Pause majestueuse A midi, le réfectoire est encore plein d’élèves © Colton Graub
Pause majestueuse A midi, le réfectoire est encore plein d’élèves © Colton Graub © Cranbrook Center for Collections and Research
Saarinen House La maison d’Eero Saarinen sur le domaine a été entièrement restaurée © James Haefner
Saarinen House La maison d’Eero Saarinen sur le domaine a été entièrement restaurée © James Haefner © Cranbrook Center for Collections and Research

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