Pousse-toi Barbie, ou fais au moins un peu de place. Après l’onde de choc du «hot pink», le gris semble être un successeur improbable dans nos garde-robes. Et ce n’est pas tout.
Dès lors que l’on y prête un peu attention, le gris est partout. Mais pas le gris morne de nos routes bétonnées, de nos jardins en gravier et de notre couverture nuageuse. Il ne s’agit pas non plus du «gris millennial», dont les Tiktokeurs se moquent dans des vidéos virales qui critiquent l’indéfinissable amalgame de sets de tables, rideaux et bougies parfumées dans les tons grisâtres. Il ne s’agit pas non plus de ce gris d’un ennui mortel. Bien au contraire. La nouvelle palette de gris est bien plus remarquable: souvent portée de la tête aux pieds, elle englobe tout. En raison de son caractère utilitaire, stylé et sérieux, une palette de gris plutôt extrêmes trouve sa place dans les moodboards, les paniers d’achat et les listes d’envies dans les domaines de l’architecture, du design et de la mode.
Béton et The Bear
Dans les rénovations, les architectes utilisent de plus en plus souvent des coffrages en béton nu. Alors que nous sommes tous accros à la vie de chien menée par les personnages dans une cuisine professionnelle de la série à succès The Bear, ce n’est pas une coïncidence si l’acier inoxydable brossé et les meubles d’inspiration cuisine professionnelle trouvent leur place dans les cuisines des particuliers. Par ailleurs, il est à noter que les mannequins et les influenceurs, qui sont aujourd’hui les baromètres les plus rapides en matière de style, s’affichent de plus en plus dans des ensembles gris fluides ou près du corps devant les caméras. On peut donc aujourd’hui parler d’une tendance.
Dans le monde de l’intérieur et de l’architecture, traditionnellement plus lent que la mode, la montée en puissance du gris tente depuis un certain temps de détrôner l’indémodable beige. Les bâtiments récents sont construits avec des détails en béton ou des éléments en métal brossé et brillant: Bourse de Commerce, le temple de l’art de François Pinault, propriétaire de Kering, la dernière boutique d’Arte à Bruxelles, le bar à vins naturels Osaka à Anvers avec, cerise sur le gâteau, ses tabourets Magis étincelants, et ainsi de suite.
«Comme dans la photographie en noir et blanc, les nuances de gris éliminent toutes les distractions qu’apportent les couleurs et aident le spectateur à se concentrer sur les textures, les formes et les motifs», explique l’architecte Movses Der Kevorkian du cabinet Sill and Sound, qui a livré cette année «Seven», un lieu branché à Uccle où vous trouverez l’inspiration intérieure en même temps que du café filtre et des toasts à l’avocat: formes inclinées en béton, lampes minimalistes, sièges en bois Frama CPH. «À première vue, le gris semble simpliste, mais c’est tout sauf le cas. C’est une base polyvalente qui permet d’expérimenter avec le mobilier et la lumière». Shanice Engel, chargée de relations publiques qui a rénové un appartement dans le centre de Bruxelles, partage cet avis. «Les réseaux sociaux, l’agitation de la ville, le stress au travail… Il y a déjà tellement de stimuli différents à l’heure actuelle. Rentrer chez soi dans un espace où aucun élément ne demande d’attention, où l’on se fond dans un ensemble et où l’on peut vraiment se détendre, c’est la raison pour laquelle j’ai choisi un environnement aussi épuré».
Authenticité
Cette tendance n’est peut-être pas si surprenante que cela. Jeroen Verrecht n’est pas seulement un photographe d’architecture, mais aussi un professeur d’histoire du design, et il y voit une logique culturelle: «Après les années 80 et 90, les tendances du spectacle et des couleurs postmodernes sont passées à l’extrême opposé et les designers ont recherché l’authenticité. Les jeunes architectes en ont eu assez des Philippe Starck et des Frank Gehry de ce monde et ont lancé un contre-mouvement avec le tadelakt, le mortex et le béton.» En outre, d’un point de vue écologique, le béton et l’acier sont plus faciles à recycler et, d’un point de vue économique, ils sont également moins chers. Il s’agit donc d’une alternative parfaite.
Il suffit de le faire, tout simplement
Dans la mode aussi, cette revalorisation des tons gris constitue un contre-mouvement. Historiquement, c’est la couleur de la laine non colorée au Moyen-Âge, et donc celle des travailleurs, du clergé et de l’humilité. Une association que les très riches, comme l’enseignent des tragi-comédies telles que Succession, aiment également faire. C’est la couleur de la sagesse, mais aussi de l’action, de la réalité et de ce qui est insinué par le normcore.
Lorsque Miuccia Prada a fait défiler le premier mannequin de sa saison hivernale, elle aurait pu choisir n’importe quelle couleur au monde. Le mannequin, à peine maquillé, portait une jupe blanche arrivant à la cheville et un pull-over gris. Chez Miu Miu, Bottega Veneta, Fendi, … un gris chaud et sérieux apparaît partout, comme si tous approuvaient ce que Miuccia Prada pense – ou du moins les idées qu’elle veut vendre: «Aujourd’hui, je me préoccupe surtout des choses humbles, d’apprécier le travail modeste et pas seulement l’extrême ou le glamour». C’est ainsi qu’une couleur qui, par définition, se situe entre le blanc et le noir pour des raisons de compromis et de neutralité, fait à nouveau son apparition dans la mode. Et à une époque de polarisation féroce, ce gris souffle une nouvelle brise assez rafraîchissante.
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