Le chef doublement étoilé Filip Claeys: «Le cyclisme, c’est mon médicament»

Le chef doublement étoilé Filip Claeys (49 ans) et son restaurant brugeois De Jonkman gardent la santé grâce au vélo. Tous les dimanches, il file sur les pavés flandriens. Et depuis peu, il ose même s’aventurer sur les plages sablonneuses de la mer du Nord. Au lieu de se laisser porter par le vent, il brave les éléments pour sublimer ses performances en cuisine.

Les chefs étoilés sont généralement passionnés par leur métier, mais quand cette passion est nourrie par le cyclisme, notre curiosité passe à la vitesse supérieure. Nous voilà donc en Flandre occidentale pour un entretien qui se passe non pas entre l’amuse-bouche et le chariot de fromages, mais devant notre horizon le plus majestueux. Car le nouveau défi de Filip est le beach racing, un sport qui s’harmonise parfaitement avec son amour pour la mer du Nord.

Quand vous trouve-t-on sur la plage?

FILIP CLAEYS. «Le plus souvent en hiver. Avant, je faisais du VTT en forêt et à la plage, mais ensuite, je suis passé au cyclisme. Nous sommes trois chefs cyclistes dans la région de Bruges: Rijnaert Swertvaegher du Gran Kaffee Passage, Henk Van Oudenhove du Sans Cravate et moi. Nous avons rendez-vous tous les dimanches. À partir du mois d’août, nous commençons à nous entraîner pour les courses sur plage. Nous utilisons un VTT avec une fourche avant fixe et une fourche arrière sans suspension et des pneus de plage spéciaux sans chambre à air. Et là, il n’y a plus qu’à pédaler (rires), quarante kilomètres en quatre boucles, l’aller-retour de Zeebrugge à Blankenberge. Tout ce qui m’intéresse, c’est de me mettre au défi. C’est bien plus physique que le cyclisme. Sur l’asphalte, il n’y a aucune résistance, mais quand on s’enlise dans le sable, il faut se mettre à courir. Il y a aussi le vent marin constant que j’adore. J’adore braver le vent.»

Quand j’ai proposé à Patrick Lefevere de m’occuper des canapés pour ses invités aux Champs-Élysées, il a fallu être très organisé pour les préparer à la dernière minute et les faire parvenir jusqu’au bus

Vous aimez la mer?

CLAEYS. «Mon grand-père était pêcheur et mes grands-parents étaient issus de la communauté de pêcheurs de Heist. Enfant, mon père est allé quelques fois en mer, mais son cœur était en cuisine. C’est ça, mon ADN. Petit, je l’accompagnais à l’ancienne criée aux poissons ; cela me fascinait de monter à bord d’un navire comme celui-là. Je me souviens aussi vaguement qu’on se retrouvait ensuite au café avec des hommes baraqués et que j’avais droit à un coca.»

D’où vient cette passion du cyclisme?

CLAEYS. «J’ai toujours fait du sport. À la base, je jouais au foot, mais comme je travaillais dans l’horeca, je ne pouvais plus aller aux entraînements. Je ne voulais pas devenir Lionel Messi, mais c’était un exutoire. Quand je travaillais au Fox à La Panne, nous allions faire du VTT dans le Heuvelland pour nous amuser. Au temps du Karmeliet à Bruges, je faisais du squash en journée avec les gars de la cuisine. J’ai joué intensivement pendant vingt ans. Parallèlement, j’ai toujours été passionné par le cyclisme. Par exemple, j’ai adoré le moment où Johan Museeuw a gagné le Paris-Roubaix après son opération du genou. J’étais un grand fan de son équipe Mapei sous la houlette de Patrick Lefevere. Quand j’ai dû arrêter le squash en raison d’une blessure, je me suis mis au fitness et au vélo.»

© Frederik Beyens

Avez-vous eu envie de devenir coureur?

CLAEYS. «Non, j’ai toujours voulu cuisiner. Le sport est pour moi une activité récréative et non compétitive. La compétition, elle se déroule dans ma cuisine, du mercredi au samedi. Dans le sport, je n’ai pas envie d’être trop soumis à l’obligation de performance. Pourtant, je pousse toujours plus loin mes limites, que ce soit en cuisine ou à vélo. Mais le sport me vide l’esprit, ce qui me donne une énorme satisfaction. C’est control alt delete. Quand j’enfile ma tenue de course, je ne pense plus qu’à ma technique cycliste, à mon rythme cardiaque, à la direction du vent. J’en profite à 100% et cela me fait oublier mon travail. Après seulement quatre heures de sommeil et débordant d’adrénaline, je me lance dans un itinéraire de 100 kilomètres avec les amis. Dimanche dernier, la vitesse moyenne était de 38,5 km à l’heure, nous avons donc bien pédalé.»

Vous arrive-t-il aussi d’aller voir les dieux du cyclisme?

CLAEYS. «Je me suis déjà retrouvé plusieurs fois aux Champs-Élysées pendant le Tour. Pour le cycliste passionné que je suis, visiter le dépôt avec tout l’équipement de pointe des pros, c’est le bonheur. C’est comme se promener sur un marché et découvrir toutes sortes de nouveaux produits: de beaux poissons, des viandes appétissantes et des légumes frais. Cela me rend heureux. Quand j’ai dit à Patrick Lefevere que je voulais m’occuper des canapés pour ses invités aux Champs-Élysées, il a fallu être très organisé pour les préparer à la dernière minute et les faire parvenir jusqu’au bus. Il y avait des buns, des toasts au foie gras, de la plie frite à la sauce tartare, des profiteroles.»

Nous sommes fermés pendant la Semaine sainte, du Tour des Flandres le dimanche au Paris-Roubaix une semaine plus tard

Vous arrive-t-il de fermer le restaurant pour des compétitions importantes?

CLAEYS. «Nous sommes fermés pendant la Semaine sainte, donc du Tour des Flandres le dimanche au Paris-Roubaix une semaine plus tard. Cette année, j’ai moi-même fait le Tour des Flandres, la veille de la course. Il faisait un temps de chien, mais cela m’a donné un coup de fouet. Je fais attention à ne pas me laisser abattre ; si c’est pour se dire ‘il fait vraiment dégueulasse’, ça ne sert à rien de commencer.»

Pensez-vous que cette mentalité de combattant vous a également valu les deux étoiles au Michelin?

CLAEYS. «Absolument. Gérer un établissement horeca n’est pas toujours une partie de plaisir. Il faut avoir une mentalité de sportif, sinon on n’arrive à rien. Qu’il s’agisse d’un café ou d’un établissement trois étoiles, peu importe! C’est pourquoi mon père a insisté pour que je fasse du sport, non pas pour gagner, mais pour apprendre à me battre. À 17 ans, j’ai dû assurer un banquet de sept heures du matin à quatre heures le lendemain matin. Et j’avais un match de foot à neuf heures. Cela forge le caractère. D’où ma devise ‘rien n’est impossible’ ou ‘il faudra me passer sur le corps’.»

C’est ce que vous transmettez à votre équipe?

CLAEYS. «Vincent, notre sommelier, est un passionné de bodybuilding. Il vit comme un moine, pèse tout ce qu’il mange et respecte des programmes stricts. Il boit du vin à certaines périodes et pas à d’autres. Je respecte cela parce que je comprends ce que c’est. Il faut un exutoire et c’est particulièrement vrai dans notre profession. Chez nous, il y en a un qui fait du padel et Lucas, qui travaille en salle, est aussi cycliste, mais je n’oblige personne.»

Vous rendez les gens heureux en leur servant le plat parfait, mais en tant que chef étoilé/cycliste, qu’est-ce qui vous rend heureux?

CLAEYS. «Chaque année, je vais voir le Paris-Roubaix avec des amis, avec une bouteille de champagne et des sandwiches dans le coffre ; d’excellents petits pistolets à la salade de crabe, au jambon et au fromage. J’adore ce genre de moments. Il y a quelques années, j’allais voir le Tour des Flandres avec des amis et on passait ensuite chez leurs parents qui nous préparaient des joues de veau à la trappiste, avec des croquettes et des frites. J’apportais des huîtres et du foie gras et c’était sublime. Une vraie fête populaire, c’est fantastique.»

On voit de plus en plus de chefs étoilés tirer leur révérence à leur apogée. Vous imaginez-vous arrêter la cuisine?

CLAEYS. «Non. Je travaille dans des restaurants gastronomiques depuis l’âge de 13 ans, d’abord chez mes parents, puis dans d’autres établissements, et maintenant dans le mien. C’est ma vie. Je suis incapable de faire autre chose et je ne veux pas être capable de faire autre chose ; je me sens bien. La pression d’avoir des étoiles, on se l’impose à soi-même. C’est comme dans le monde du sport, où il faut être performant et stimulé en permanence. Plus je vieillis, plus il me semble simple de maîtriser et de déléguer. Pour moi, le plus important est de garder une bonne santé mentale et physique et d’organiser les choses pour tenir le plus longtemps possible. Je ne dis pas que je travaillerai en cuisine jusqu’à mes septante ans, mais je ne ressens pas le besoin d’arrêter pour l’instant. Ma vie me semble assez diversifiée.»

© Frederik Beyens

Cela implique-t-il également votre amour de la mer du Nord?

CLAEYS. «Oui. Quand j’ai décidé de ne plus utiliser que des poissons locaux en 2008, les pêcheurs n’obtenaient presque rien pour leurs prises accessoires. On jetait énormément de poisson. Pour changer cela, j’ai fondé NorthSeaChefs avec Rudi Van Beylen (Hof ten Damme). Il faut savoir que les pêcheurs qui pêchent la sole capturent 40 kilos d’autres poissons par kilo de sole. Nous tentons de créer une demande pour ces poissons mal aimés et une place dans nos assiettes. Nous y sommes parvenus. Et cela nous occupe toutes les semaines. Par exemple, nous nous adressons également aux étudiants de Ter Groener Poorte et leur montrons les possibilités qu’offrent ces poissons locaux pêchés de manière honnête. J’apprécie le fait que l’on voit de moins en moins de thon sur les cartes. Je n’ai rien contre le thon, mais c’est mieux de le manger dans le pays où il a été pêché. Il reste encore le saumon surconsommé. Nous devons manger ce que récolte le pêcheur et cette fameuse prise accessoire de 40 kilos.»

Quel poisson belge souhaiteriez-vous promouvoir aux Champs-Élysées?

CLAEYS. «Si on me propose un jour d’y retourner pour cuisiner, j’apporterai une belle pièce de rouget de vase que j’aurai fait mariner. Et des bulots, bien sûr, comme dans l’ancien temps. J’en mangeais souvent quand j’allais voir des matchs de foot avec mon grand-père. Au Jonkman, je les sers dans des blinis, une pâte à base de pommes de terre. Je prépare un mélange de ricotta et de bulots bouillis et j’en fais des minigaufres farcies aux bulots.»

Les cyclistes sont-ils des gourmets?

«Absolument. J’en ai reçu quelques-uns ici, au Jonkman. Serge Pauwels, par exemple, et Jens Keukeleire. Ce sont des gens comme vous et moi. Le cyclisme est un sport accessible, un sport populaire et cela me plaît beaucoup. Et ce ne sont pas de petites natures, ils tombent, se relèvent et remontent en selle. C’est super dur.»

Qui est Filip Claeys?

– il à étudié dans l’écoles hôtelières Ter Groene Poorte et Ter Duinen en Flandre occidentale,

– il fait des stages à la Terrasse à Juan Les Pins, au Gavroche à Londres et au Fat Duck à Bray,

– il est sous-chef au Karmeliet sous la direction de Geert Van Hecke, puis au Oud Sluis chez Sergio Herman

– en 2006 il reprend De Jonkman, depuis 2011 il a deux étincelantes étoiles au Michelin.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content