Cédric Etienne: «Je veux rendre le silence sexy»

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Chaque matin, le designer Cédric Etienne se lève à six heures pour méditer. Un exercice qui lui apporte tant de paix et de concentration que, depuis le début de l’année, il s’attache à transmettre ce sentiment au travers de cours de méditation dans sa Still Room.

TEXTE / Maya Toebat PHOTOS / Tijs Vervecken

« Il existe autant de types de silence qu’il y a d’individus sur cette planète. Pour moi, le ­silence est un point où les pensées et les ­distractions sont inexistantes, et où je suis conscient de la beauté du moment. Je ressens alors une sorte d’euphorie du coureur, et je peux pleinement profiter du moment présent. Ce n’est pas tant l’absence de son, car je peux aussi en faire l’expérience à vélo, mais plutôt l’absence de pensées. J’appelle cela la plénitude du vide : le silence est un vide, mais un vide tellement profond. »

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, lorsque l’on interroge le designer Cédric Etienne sur le silence, il peut en parler pendant des heures. Tout a commencé en 2015, lorsqu’il s’est rendu au Japon pour une retraite spirituelle. Pendant plusieurs années, il a travaillé comme décorateur pour des événements organisés par des marques telles que Yves Saint Laurent et Giorgio Armani. Avec le temps, il se consacrait cependant plus à la gestion de projets qu’à la conception. La reconnaissance et l’enthousiasme pour son travail sont passés au second plan en même temps que son travail créatif. C’est ce qui l’a amené à participer à une retraite silencieuse de 10 jours dans un monastère à l’autre bout du monde.

« Les premiers jours ont été déstabilisants », explique-t-il. « Nous nous levions à quatre heures et demie et devions rester assis pendant quatre heures pour méditer. Venant d’un monde de stimuli, d’occupations permanentes et d’anxiété sociale (FOMO), j’ai ressenti comme un grand vide. Finalement, cette désintoxication des distractions était exactement ce dont j’avais besoin. Je suis même resté plus longtemps. »

Cela a été comme un déclic car, au cours des années qui ont suivi, vous avez mis votre carrière en pause pour visiter des ­bâtiments religieux.

CEDRIC ETIENNE. « C’est ce que j’appelle mon pèlerinage du silence. Le fait d’être ­plongé dans le silence avec les moines japonais m’a amené à m’interroger sur la manière ­d’intégrer le silence dans un espace. En quête de réponses, j’ai visité plus d’une centaine de sanctuaires de silence, du Panthéon de Rome à une chapelle de Peter Zumthor en passant par un monastère à Waasmunster. Ensuite, j’ai écrit un manifeste sur l’architecture du silence. Un sanctuaire de silence répond à neuf conditions, dont la lumière naturelle, des couleurs monochromes et apaisantes, la symétrie, des éléments dilatoires et des zones qui ritualisent l’espace, comme l’endroit où l’on enlève ses chaussures. »

Cette pureté est-elle devenue un fil conducteur pour les créations du Studio Corkinho, auquel vous avez commencé à consacrer plus de temps ?

ETIENNE. « Sans aucun doute. Mais un ­matériau était déjà prédominant : le liège. J’ai commencé à explorer ce matériau il y a plus de dix ans en raison de sa durabilité. On peut repulvériser les objets et réutiliser le liège. En outre, le liège est très résistant, a un haut pouvoir d’isolation acoustique et dégage une impression de chaleur. C’était donc un matériau idéal pour fabriquer des objets qui inspirent la quiétude. Ainsi, outre les vases, les assiettes et les meubles, la collection comprend des briques de yoga et des diffuseurs de parfum. »

«Nous n’avons pas uniquement besoin de sport pour mettre notre corps en mouvement, mais aussi de quiétude, comme une gymnastique pour l’esprit»

C’est également à cette époque que vous avez aménagé une Still Room dans la Noorderpershuis d’Anvers. Comment avez-vous découvert cet endroit ?

ETIENNE. « Comme je devais changer de lieu de travail, je me suis lancé dans la recherche d’un studio. Je trouve que le quartier du port est extraordinaire. Anvers est un port, après tout. This is where it all started. Je m’y baladais régulièrement à vélo et j’ai en quelque sorte ressenti un signal énergétique en arrivant devant la Noorderpershuis. Il n’y avait pas de pancarte ‘à louer’ mais, à peine rentré chez moi, j’ai multiplié les e-mails. J’ai constitué un dossier conséquent et, en 2018, nous avons pu emménager avec Studio Corkinho. Ce n’est qu’en y entrant que j’ai découvert une tour de 11 mètres de haut, qui servait autrefois de turbine énergétique. J’y ai vu la puissance du volume, les arches, la verticalité et j’ai ressenti l’appel à retranscrire les connaissances que j’avais acquises au gré de mes voyages dans cette cathédrale maritime. »

Vous avez minimisé les aménagements, car la Still Room est toujours aussi intemporelle. Quels éléments avez-vous ajoutés à l’espace à l’abandon ?

ETIENNE. « À l’entrée, il y a un rideau avec un endroit où enlever ses chaussures. En outre, il y a un lit dans une alcôve pour se reposer, un feu pour faire du thé, un coin bureau pour laisser libre cours à ses pensées et, au milieu, un grand espace vide. C’est l’endroit où se ­reconnecter avec soi-même, assis ou allongé.

« En partant de la Still Room comme espace modèle, j’intègre maintenant le concept dans les hôtels et les entreprises. Car nous n’avons pas uniquement besoin de sport pour mettre notre corps en mouvement, mais aussi de quiétude, comme une gymnastique pour l’esprit. »

Quand êtes-vous dans la Still Room ?

ETIENNE. « J’y suis tous les jours. Il m’arrive d’y faire une petite sieste dans l’après-midi. Avec l’équipe, nous organisons également des réunions dans la Still Room. Ici, nous sommes plus concentrés sur la conversation et mieux connectés les uns aux autres, libérés des distractions émanant des e-mails, d’Internet et des pensées qui fusent. Il arrive aussi que quelqu’un s’y isole pour travailler seul. Je peux facilement y rester deux ou trois heures, pour lire ou dessiner. Et le mercredi, nous y méditons ensemble. »

La méditation joue un rôle important dans votre vie. Méditez-vous tous les jours ?

ETIENNE. « Oui, je me lève à six heures, je bois de l’eau chaude avec du citron et je médite jusqu’à ce que les enfants se réveillent. Cela me prépare à la journée et m’aide à gérer les distractions. Je parviens ainsi à mieux consacrer du temps à ce que je veux vraiment faire, sans me laisser distraire par tous les e-mails ou appels téléphoniques. Je remarque une nette différence les jours où je ne médite pas ; comme lorsque vous ne vous brossez pas les dents pendant trois jours. Je me sens alors plus sous pression, je suis moins concentré et je profite moins parce que je ne suis pas autant ancré dans l’instant présent. »

Depuis le début de l’année, vous donnez également des cours de méditation. Pourquoi cette envie de transmettre cette passion ?

ETIENNE. « Je veux rendre les gens heureux et les aider à renouer avec leur force vitale. Vendre des objets ne crée pas ce sentiment. J’en ai pris davantage conscience pendant le COVID. Ces années ont été terrifiantes sur le plan du ­ralentissement. J’ai eu le temps d’approfondir les différents types de méditation et j’ai suivi des ateliers et des formations pendant trois ans. Aujourd’hui, je souhaite partager ces connaissances. C’est comme pour un acteur : si répéter une scène devant le miroir de sa salle de bains est amusant, c’est complètement différent que d’être sur scène. Ce n’est que là que l’on ressent l’impact sur le public. »

Ce rôle de coach vous a toujours convenu. Vous avez été entraîneur de tennis.

ETIENNE. « J’ai entraîné les plus jeunes de la classe A ainsi que des sportifs de haut niveau. Déjà à l’époque, je travaillais sur l’aspect mental : la relaxation, la pleine conscience. Ensuite, j’ai étudié les sciences commerciales et de la communication, avant de devenir directeur créatif dans un monde plus matériel, avec l’exubérance des grands événements. Lors de cette retraite Vipassana au Japon, j’ai repensé
à mes passions passées, qui s’étaient diluées, comme la montagne et la paix intérieure. Cela n’a jamais été une intention consciente, mais c’est ainsi que j’ai progressivement ­retrouvé un rôle de guide. »

Vous ciblez principalement les créateurs et les chefs d’entreprise. Qu’est-ce que la méditation a à offrir aux entreprises ?

ETIENNE. « Notre esprit vagabonde pendant 47% de notre journée. En d’autres termes, les employés sont à moitié payés pour laisser leurs pensées divaguer. Et les bureaux paysagers, les attentes exigeantes et les e-mails incessants érodent davantage leur concentration. La ­quiétude est l’une des techniques permettant d’éliminer ces distractions. Pourtant, beaucoup de gens ont peur du silence parce qu’ils ­l’associent à la mort, à la non-vie. Et aussi à la non-productivité. Lors de mes cours de ­méditation et autres formations personnalisées, cette culpabilité est l’une des premières choses sur lesquelles je travaille. Trouver un état de quiétude, ce n’est pas « ne rien faire », c’est ralentir pour être plus performant ­ensuite. Tout comme j’ai changé la perception du liège, je veux rendre le silence sexy. »

L’une des formations que vous proposez est la méditation quantique. En quoi cela consiste-t-il ?

«Notre esprit vagabonde pendant 47% de la journée. Les employés sont à moitié payés pour laisser leurs pensées divaguer»

ETIENNE. « Il s’agit d’une forme de médi­tation utilisant les ondes sonores des bols chantants. Le cours comprend deux parties. Nous commençons en position assise, en nous concentrant sur notre respiration et en essayant d’éliminer les distractions. Ensuite, nous nous allongeons et ouvrons tous nos sens au travers d’une écoute profonde avec des bols chantants. Ce jeu créatif avec le son me parle beaucoup en tant que designer. »

Quel impact constatez-vous chez les participants ?

ETIENNE. « Je les vois revivre, s’ouvrir ­davantage à eux-mêmes et prendre conscience de leur potentiel. Parfois, ils prennent même un nouveau tournant professionnel. Je peux citer l’exemple d’une femme qui travaillait dans une entreprise de télécommunications et qui s’est lancée comme céramiste à temps partiel. Jusqu’alors, elle avait peur d’abandonner son emploi stable et de ne pas s’en sortir ­financièrement, mais la méditation l’a aidée à trouver la paix et à avoir davantage confiance en sa force vitale. »

Vous aussi, vous avez changé de vie. Souhaitez-vous vous concentrer principalement sur le bien-être ?

ETIENNE. « Ce serait formidable si je
pouvais joindre les deux bouts uniquement en continuant à imaginer des concepts pour des espaces de quiétude et à dispenser des ­formations sur le bien-être. C’est ce vers quoi je me dirige. Je passe déjà moins de temps au Studio Corkinho. La société est toujours basée ici et je continue à concevoir, mais je ne dirige plus la marque. Je veux mener une vie plus ­légère, dans une optique de développement spirituel. Et la méditation m’a permis d’y ­arriver. »

Dans « Start to meditate », Cédric Etienne vous ­initie aux bienfaits de la méditation en cinq leçons, dans la Noorderpershuis ou sur site. Il propose également des programmes de « Bien-être au travail ». Retrouvez de plus amples informations sur cedricetienne.com/starttomeditate

Qui est Cédric Etienne ?

– Bachelier en architecture d’intérieur de la Katholieke Hogeschool de Malines et Master en architecture
d’intérieur de l’école
Politecnico di Milano

– 2010 : fonde Moodstudio
spécialisé dans la création
de décors et la production
d’événements

– 2014 : co-fonde Studio
Corkinho avec Klas Dalquist

– 2015 : participe à une retraite silencieuse au Japon

– 2018 : aménage une Still Room à Anvers

– 2023 : donne des cours
de méditation depuis le
début de cette année

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