L’écodesigner Lucie Vanroy: “Éviter de se précipiter au départ, c’est gagner du temps par la suite”
Dans cette rubrique, nous interrogeons un·e entrepreneur·se sur sa manière de concilier style (de vie) et carrière. Cette semaine, Lucie Vanroy nous explique comment, de projet en projet, elle s’est inventé un métier. “Mon plus grand luxe ? Avoir le sentiment d’être à ma place et de la mériter.”
C’est avec une lampe confectionnée à partir de bouteilles en plastique que tout a démarré, à l’aube des années 2000. Aujourd’hui, l’écodesigner Lucie Vanroy est aux manettes de LV Creations, sa propre marque de mobilier et de luminaires, qu’elle fabrique à partir de matériaux détournés (chutes de feuilles de bois, plans d’architecture…) et d’objets endommagés (elle a un faible pour les chaises). La spécificité de son travail repose sur le principe de l’upcycling : “rien ne se perd, tout se transforme” en produits de qualité supérieure, sans qu’on perçoive au premier coup d’oeil la trace de l’existant.
Aussi réservée que réputée, elle met sa créativité au service des particuliers et des professionnels qui défendent les valeurs chères à son coeur : le respect des personnes, des matériaux et de l’environnement. Au nom d’une démarche qui privilégie la qualité à la quantité, elle fabrique tout elle-même de A à Z.
Formée en architecture d’intérieur, elle a ajouté l’infographie, la soudure et l’ébénisterie à son arc afin de créer son propre savoir-faire, partant son métier. Ses défis de la rentrée ? Elle s’est inscrite à des cours de céramique et espère décrocher une bourse pour expérimenter le tissage aux côtés d’artisans. “Il y a un paradoxe entre d’une part la dimension artistique et la recherche permanente qu’elle suppose, et d’autre part la stratégie commerciale d’un produit fini. Je me situe entre les deux.”
Comment conciliez-vous vie privée et activité professionnelle ?
LV : “En fonction de mon inspiration, il m’arrive de travailler le soir ou le week-end. Je chine pour mon boulot, mais aussi par passion. Je n’ai pas d’enfants et suis libre d’organiser mon planning comme je l’entends. Mes seules contraintes sont les deadlines que je fixe avec mes clients. Mais en général, je parviens à éviter de travailler dans l’urgence. Parce que dans l’urgence, on ne travaille jamais bien. Si un client m’envoie un e-mail à 23 heures et s’étonne de ne pas recevoir de réponse dans les cinq minutes, nous ne travaillerons pas ensemble. Ceci dit, je n’impose pas non plus des échéances trop lointaines. Mais c’est en évitant de se précipiter et en réfléchissant aux moindres détails dès le départ qu’on gagne du temps par la suite. Par ailleurs, il est important pour moi d’avoir un atelier situé en dehors de la maison afin de scinder physiquement mon activité professionnelle de ma vie privée (avec mon compagnon).”
Face à la généralisation du numérique, parvenez-vous à vous offrir des moments hors ligne ?
LV : “Les réseaux sociaux sont super utiles pour diffuser son travail. Mais on peut vite se laisser emporter, par exemple en accordant trop de crédit au nombre de likes que récolte une publication. Quand je travaille à l’atelier, je ne garde pas mon téléphone à côté de moi pour éviter d’être distraite. Il est très important que je reste concentrée car je manie des outils qui peuvent être dangereux. Le soir et le week-end, je consulte mes messages et mes e-mails, mais je n’y réponds pas systématiquement. Je préfère m’y atteler le lundi matin pour garder une certaine distance.”
Comment vous habillez-vous pour travailler ?
LV : “Quand j’étais employée (avant d’avoir le statut d’artiste, Lucie était était coordinatrice pour deux asbl du secteur culturel liégeois, un emploi qu’elle combinait avec un statut d’indépendante en activité complémentaire, ndlr), j’étais en robe et talons. Mais ce style vestimentaire n’est pas pratique pour travailler et se déplacer à vélo. Aujourd’hui, je porte le plus souvent un pantalon et des baskets pour enfiler facilement mon bleu de travail par-dessus. Par contre, j’aime beaucoup les chemisiers. Et j’adore aussi avoir du vernis sur les ongles, mais il ne résiste pas plus d’un jour au travail manuel (rires).”
Comment retirez-vous de la satisfaction de votre travail ?
LV : “De plusieurs manières, dans les différentes étapes de mon travail. Quand je parviens à concrétiser une idée que j’avais en tête et que le résultat me satisfait, ce qui n’est pas toujours le cas. Je ne fais pas de dessin au préalable. C’est par le travail manuel, et la manipulation des matières et matériaux que j’obtiens un produit fini. Déjà pendant mes études, je réalisais des maquettes sans passer par des croquis. Ensuite, je suis très heureuse quand ma lampe ou mon meuble s’intègre parfaitement dans l’intérieur de mon client.”
Quelle est le plus grand luxe à vos yeux ?
LV : “Avoir le sentiment d’être à ma place et de la mériter. Je souffre un peu du syndrome de l’imposteur. Je ne me sens plus vraiment architecte d’intérieur. Je ne me sens pas vraiment designer. Je ne me sens pas vraiment artisan. Je mélange ces différents métiers pour inventer le mien au fil de mes projets. J’ai parfois du mal à me sentir légitime. C’est un manque de confiance sur lequel je travaille.”
Quel sommet professionnel souhaiteriez-vous atteindre ?
LV : “Vivre de ma passion de manière indépendante, sans percevoir d’allocations liées au statut d’artiste, tout en respectant les valeurs que je me suis fixées. Depuis plus de quinze ans, j’ai développé plusieurs gammes de produits et collaboré avec de nombreux clients dans des secteurs variés (de l’Horeca à la bijouterie en passant par la parfumerie de niche) mais aussi avec des particuliers. Le souci de préserver l’environnement (notamment en consommant local et en fabriquant des objets utiles et durables) est aussi présent chez les personnes qui choisissent de travailler avec moi. Certaines maisons de luxe valorisent leurs déchets grâce au savoir-faire d’artisans. Je rêve de pouvoir me positionner un jour comme un maillon incontournable de l’économie circulaire auprès d’entreprises renommées.”
Quelle est la meilleure leçon que vous a enseignée votre carrière ?
LV : “Il y en a deux. Premièrement, écouter mon ressenti relationnel. J’ai déjà accepté des missions alors que, dès le premier contact avec le client, tout était nébuleux et compliqué. Résultat : la collaboration se révélait infructueuse. Aujourd’hui, il m’arrive de refuser un projet parce que je ne le sens pas et ce n’est pas un problème : il y en a souvent un autre (plus intéressant) qui se présente dans la foulée. Deuxièmement, j’ai appris à dépasser mes peurs, notamment dans le cadre d’un projet global d’aménagement intérieur à la Brasserie Cantillon, la dernière brasserie au monde à brasser le lambic et la gueuze de façon traditionnelle. C’est en osant affronter ses appréhensions qu’on fait de belles rencontres et parvient à évoluer vers des projets aboutis. C’est comme une brique que l’on pose, et qui permet d’accéder à un niveau supérieur.”
L’actualité de Lucie Vanroy
Les créations de Lucie Vanroy sont disponibles chez Wattitude (Liège), Sapristi ! (Namur) et Moirés (Bruxelles).
Ne manquez pas de visiter la Brasserie Cantillon (Anderlecht), ni l’exposition D’hier et de deux mains (Liège) où l’écodesigner sera présente jusqu’au samedi 24 octobre 2020 aux côtés notamment de Romy Di Donato, DesignWithGenius et Chanel Kapitanj.
Enfin, elle participera à une vente aux enchères qui aura lieu à Liège du jeudi 29 au samedi 31 octobre au profit des sans-papiers et des sans-abris en prélude à l’hiver.
Carrière & style
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