” Le sport me procure du plaisir, une sorte de béatitude “

QUI EST VIRGINIE MOROBÉ? Née en 1976. Elle renonce à des études de droit après sa 2e candi, pour travailler pour le label de chaussures Frida. En 2017, elle fonde la marque belge Morobé (Anvers). Elle élargit sa collection aux chaussures de mariée et à l'art de la table en 2021, et a ouvert, cette année, son premier flagshipstore à Knokke. © Charlotte De Langhe

La flamboyante Virginie Morobé, à la tête de la marque de chaussures éponyme, a la fibre entrepreneuse – en témoigne sa nouvelle boutique ouverte il y a peu à Knokke. Mais elle n’en aime pas moins la campagne. Surtout lorsqu’elle met sa vie professionnelle sur pause.

Virginie Morobé réside avec son mari David Damman, sa fille Allegra (16 ans) et leur chien Onitsuka dans une maison rustique située dans un paysage idyllique de champs, à Saint- Denis-Westrem, non loin de Gand, entre la vallée du Rosdambeek et le Parkbos. “Lorsque je reviens de ma boutique anversoise et que je m’engage dans l’allée, j’éprouve à chaque fois une bouffée de bonheur. Cet endroit est mon refuge.”

Que faites-vous en premier lieu lorsque vous rentrez chez vous?

“Je me déchausse et je change de tenue. Un pantalon de jogging et mon pull favori – vieux, troué, mais dans lequel je me sens bien. Lorsque j’ai rendez-vous avec un client, je réfléchis à ma tenue, cela va de soi. Mais la détente signifie pour moi exactement le contraire – aucune tenue spéciale, la nature en lieu et place de la ville, et la simplicité. J’ai choisi de vivre au milieu de la nature. Le vert des bois et des champs m’apaise. Et nous avons eu beaucoup de chance: peu après l’achat, la Région flamande a décidé que toute la zone à l’arrière de la maison deviendrait une réserve naturelle. Le Parkbos est l’une des plus grandes zones vertes situées autour de Gand et nous sommes les seuls à y habiter. Je m’y balade presque chaque jour. C’est peu spectaculaire mais bienfaisant. Ceux qui mènent une vie agitée trouvent souvent l’apaisement dans des choses simples. Durant son temps libre, Dries Van Noten cueille des roses dans son jardin.”

Je tente d’apprendre l’art de ne pas m’imposer d’obligations

La femme perchée sur des hauts talons que vous êtes est en fait une fille de la campagne.

“Je le pense aussi (rires). Pour mon travail, je visite de grandes villes – Milan, Paris… – mais pour mes voyages d’agrément, j’évite de telles destinations. Des villes telles que New York et Hong Kong sont magnifiques mais on ne peut y trouver la tranquillité. J’aspire à parcourir l’Ecosse à vélo et à partir faire du trekking en Laponie. Beaucoup ont de moi une image faussée, celle d’une femme de la ville, flamboyante et qui n’ose pas se salir les mains. Je me retrouve tous les jours derrière les fourneaux à cuisiner – en ce compris de la compote de pommes issues de récoltes maison.”

Parvenez-vous facilement, une fois chez vous, à vous déconnecter du travail?

“En ce qui me concerne, oui. Le problème est que mon mari et moi sommes impliqués dans l’histoire de Morobé en tant que couple. Il en est le CFO. Et il peut donc arriver qu’il débarque dans le salon où je me suis installée pour lire ou regarder la télévision, en ayant une question à propos de l’entreprise. Je tente d’y mettre le holà. Mon mari éprouve plus de difficultés à lâcher prise. Il ne le fait presque jamais, sauf lorsque le Club de Bruges joue un match (rires). Il travaille même durant les vacances, en avançant qu’il ne perçoit pas son job comme étant du travail. Ce n’est que lorsqu’il a l’impression d’être à la traîne, qu’il s’agite. En d’autres termes, qu’il devient insupportable.”

© Charlotte De Langhe

Comment vous y prenez-vous pour lâcher prise?

“Un excellent moyen pour moi consiste à lire. Je dévore des livres depuis l’enfance. Et je lis de tout – du roman le plus léger à la non-fiction la plus grave. Cette dernière a ma préférence parce que j’y apprends beaucoup. Un exemple? Shoe Dog, la biographie de Phil Knight, le fondateur de Nike. Actuellement, je m’intéresse à un ouvrage consacré à la bande de Nivelles. Mais j’ai lu aussi Les Sept Soeurs de Lucinda Riley, un best-seller du niveau d’une série télévisée légère.”

Vous faites beaucoup de sport. L’exercice physique vous apaise-t-il?

“Je fais du sport six jours sur sept. Et après avoir pratiqué des disciplines “explosives” telles que l’entraînement en force et celui à haute intensité, je ressens une grande quiétude. Dans ce dernier, on fait monter sa fréquence cardiaque en zone rouge, en augmentant l’inclinaison et la vitesse du tapis de course, par exemple. Durant deux minutes, je me situe à 170 pulsations par minute puis je fais une pause d’une minute. Mais je suis une très bonne coureuse. Un jogging de 12 kilomètres à 8,5 km/h n’a rien d’un défi pour moi.”

Vous êtes toujours en quête de défis?

“Absolument. J’ai commencé l’entraînement en force il y a douze ans. Je me rappelle très bien ma première session – à sept heures du matin. Cela représentait une souffrance et donc un nouveau défi. J’aspire toujours à repousser mes limites. A un moment donné, je me suis dit que je voulais courir un semi-marathon. Lorsque, quelque temps plus tard, j’ai franchi la ligne d’arrivée de celui de Bruxelles, je l’ai coché dans ma tête. Je suis une lutteuse.”

Tout cela paraît plus épuisant que reposant.

“Ça l’est certainement mais la pratique sportive intensive libère dans le cerveau des endorphines qui procurent une sensation de bonheur. Le sport me donne du plaisir. Mais qui n’est en rien comparable avec celui que l’on éprouve en achetant un beau sac, par exemple. Il s’agit plutôt d’un sentiment de béatitude. Plus la pratique est longue, plus les endorphines se libèrent rapidement. Je ressens déjà l’euphorie du coureur après trois à cinq kilomètres, alors que, normalement, elle ne survient qu’après une quinzaine de kilomètres. Je pense que je suis légèrement “accro” à ces endorphines.”

“L’un des aspects importants de la pratique sportive est qu’elle calme l’esprit, ce qui permet de gérer différemment son stress au travail, de ne pas verser dans le drame, de penser d’une manière plus pragmatique. Il n’est donc pas illogique que les CEO de la nouvelle génération considèrent le sport comme un élément important de leur vie. Même si cela ne représente pour moi qu’une heure par jour, le reste de mon agenda s’organise autour de cette heure. Aujourd’hui, faire des affaires est un sport de haut niveau. Il faut être capable de passer rapidement d’une situation à l’autre, de résister au stress et d’avoir l’esprit calme. Si je ne faisais pas de sport, je serais devenue folle depuis longtemps.”

Le sport va de pair avec une alimentation saine. Cuisiner peut s’apparenter à un moment de détente?

“Pas vraiment. Très étonnamment, depuis peu, la cigarette m’apporte à nouveau une détente. Après avoir arrêté durant huit ans, j’ai recommencé à fumer durant… une promenade avec une amie dans les bois. Terrible, n’est-ce pas? J’ignore pourquoi. C’est en totale contradiction avec mon style de vie. Peut-être est-ce dû à une forme de panique intérieure consécutive à la pandémie. Mais donc, fumer une cigarette seule, le soir, sur la terrasse, m’apaise.”

Peut-être est-ce davantage lié au fait d’être seule?

“Cela joue sans doute. J’aime aussi être seule le matin, dans le calme. Et quelques heures avant le coucher, je préfère ne plus avoir à discuter. J’ai l’air très sociable et peut-être le suis-je – je suis douée pour l’être, en tout cas – mais il existe au fond de moi une part antisociale. Bien que j’aime être entourée, j’ai le sentiment d’être consumée par les interactions sociales. Cela vaut aussi pour les réseaux sociaux et l’entourage digital. De nombreuses personnes réagissent à mes publications, et c’est très bien. Mais je reçois aussi beaucoup de questions et j’ai appris à ne plus répondre à tout et à tout le monde. Cela pompe énormément d’énergie.”

Comment vous ressourcez-vous?

“Je pars souvent me promener avec le chien. Je me couche à des heures raisonnables et j’évite de boire de l’alcool – sans quoi, le jour suivant, je ne fonctionne qu’à la moitié de mes capacités. De façon générale, j’essaie aussi de réserver les week-ends à ma personne et à ma famille – ce sont mes moments. Cela me rend folle lorsqu’un client m’appelle le week-end. Il arrive que nos free-lances envoient un mail le dimanche soir. C’est pour eux une manière de déjà cocher une case du lundi matin. Je comprends, mais cela me brusque. Car en dépit des conseils de mon mari, je ne m’autorise pas à ne m’en occuper que le lendemain. Le free-lance n’y est pour rien, je suis responsable. C’est ridicule. Pourquoi ne me tiens-je pas à l’écart de ma boîte mail?”

Faire des affaires est un sport de haut niveau

Pourquoi éprouvez-vous tant de difficultés à lâcher prise?

“Cela a trait au besoin de contrôle. Il n’y a aucun désordre visible ici, non? Il n’y a rien qui ne soit pas à sa place. Le désordre me rend nerveuse et je range donc constamment. Pouvoir laisser la vaisselle du repas du soir pour le lendemain comme le font certains, relève pour moi d’un art. Moi, cela m’empêcherait de dormir. Cela vaut aussi pour mon ordinateur. Mes dossiers Dropbox sont classés de façon rigoureuse. S’il me faut en partager un avec un collaborateur et que cela amène du désordre, je l’appelle pour lui en parler.”

“Mon mari n’a pas ce réflexe – pas plus que ma fille. Il peut très simplement laisser traîner ses sneakers dans le hall – que je m’empresse de ranger. C’est fatigant. Cela devrait être possible de leur permettre de laisser traîner l’une ou l’autre chose si cela les rend heureux. Je m’impose nombre d’obligations, dont celle de ranger. Parvenir à ne pas le faire relève du don. Je tente d’apprendre l’art de ne pas devoir.”

Vous disiez il y a quelques années que l’équilibre entre votre vie professionnelle et votre vie privée était très perturbé. Souffrez-vous encore aujourd’hui de moments de stress?

“Lorsque ma fille n’avait que trois ans et qu’il me fallait beaucoup voyager pour mon travail, cet équilibre était, de fait, très perturbé. Etre une jeune mère et travailler constitue une pierre d’achoppement pour nombre de femmes. Aujourd’hui, il n’y a par essence qu’une seule chose qui puisse me stresser: l’aspect financier. La plus grande difficulté de toute entreprise réside dans le cash-flow. On paie les frais de conception, les fabricants, etc., mais les revendeurs ne paient, eux, que plusieurs mois plus tard. Il faut être capable de surmonter de telles périodes. Ce n’est qu’au terme de trois ans d’activités que j’ai pu connaître un certain apaisement à cet égard.”

© Charlotte De Langhe

Vous ne vivez donc plus de moments de panique aujourd’hui?

“Oh que si. Hier encore. Lors d’un contrôle de production, il m’a fallu écarter un article. Le producteur portugais avait effectué des adaptations que je n’avais pas demandées. Lorsque la production montre des défaillances, je suis stressée.”

Que faites-vous pour contrer ce stress?

“Je téléphone. Et au besoin, je prends l’avion pour le Portugal.”

© Charlotte De Langhe

MOROBÉ À KNOKKE

Début avril, Virginie Morobé a ouvert le premier flagship store de sa marque Morobé à Knokke. “Je ne voulais pas qu’il s’agisse d’un énième magasin de chaussures, cette boutique devait se percevoir comme un salon de luxe.” Elle a dès lors fait appel à l’architecte Glenn Sestig. Ensemble, ils ont élaboré un concept révolutionnaire incluant des matériaux tactiles et des formes organiques. La nature occupe également une place de choix dans la boutique. “Je sacrifie une partie de la vitrine aux plantes. J’ai abandonné l’idée d’y montrer le plus de chaussures possible. Le public doit être incité à vouloir en découvrir davantage.”

Morobé Flagship Store – Kustlaan, 255 – Knokke-Heist, www.morobe.com

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