Le diamantaire David Gotlib à propos du luxe en période de coronavirus: “Notre secteur est résistant”
Crise du coronavirus oblige, le secteur du diamant stagne quelque peu. Qu’à cela ne tienne, le diamantaire David Gotlib a lancé sa nouvelle collection de bijoux. “Je ne propose pas des produits essentiels comme le papier-toilette ou le pain. Mais dans le monde des articles de luxe, les diamants sont les premiers à se rétablir.”
“Les diamants font partie de mon ADN”, lance David Gotlib. “Je suis né et j’ai grandi parmi les pierres précieuses. J’incarne la troisième génération d’une entreprise familiale que mon grand-père a fondée après les horreurs de la Seconde Guerre mondiale. Il avait tout perdu, mais il a pu compter sur l’aide de Camille Huysmans, alors bourgmestre d’Anvers, pour devenir tailleur de diamant.”
David Gotlib est présent dans le secteur pour le compte de l’entreprise familiale depuis vingt ans. Mais il a d’abord dû apprendre à se débrouiller seul – comme le veut l’éducation juive, affirme-t-il. Il a donc commencé par étudier l’économie et s’est spécialisé en finance avant d’être engagé par une grande banque. “Ensuite, j’ai créé moi-même une petite division diamants. Ce n’est pas parce qu’on est né sous une bonne étoile qu’on peut bénéficier des avantages sans fournir le travail nécessaire. J’ai dû faire mes preuves auprès de mes parents. Je leur en suis reconnaissant. Sinon je courais le risque de perdre rapidement ma crédibilité.”
Lorsque David Gotlib a finalement rejoint l’entreprise familiale, le secteur du diamant connaissait des mutations majeures. Les acteurs importants le sont devenus encore davantage, ceux qui étaient en milieu de classement ont disparu. Après quelques mois seulement, David a été confronté à un choix difficile : devenir un commerçant de détail ou une multinationale. Il a finalement opté pour la deuxième option.
David Gotlib précise : “De la mine à la taille, nous faisons tout nous-mêmes. J’ai encore remercié mon père le jour de la fête des pères. Il ne s’est pas impliqué dans ce choix et m’a laissé carte blanche. Je sais que ça n’a pas toujours été facile pour lui. Pendant quarante ans, il a exprimé sa propre vision et elle a été éclipsée au profit de la mienne. Mais il me fait parfaitement confiance. C’est mon meilleur ami.”
Vous avez trouvé le temps de sortir une collection de bijoux tout en dirigeant un multinationale.
“Le temps, peut-être pas (rires). L’envie oui. J’ai su très vite qu’acheter et vendre des diamants ne suffiraient pas. J’ai toujours été très créatif, mais je n’avais pas encore osé franchir le pas. En effet, je ne voulais pas d’une petite ligne de bijoux. Dans ma tête, ça devait tout de suite être quelque chose de grand et d’international. Bien sûr, ce n’est pas évident. Il faut savoir ce qu’on veut, avoir des idées et le sens commercial.”
“Au départ, j’ai exprimé ma créativité dans la décoration intérieure. J’ai entièrement aménagé mon appartement. Ça m’a tellement plu que je l’ai ensuite fait pour d’autres.”
Quand avez-vous pris la décision de concrétiser votre rêve ?
“Cela s’est passé il y a six ans, à la suite d’un événement personnel riche en émotions. À l’époque, il m’est apparu clairement que je devais arrêter de rêver et commencer à créer.”
Pouvez-vous nous parler de cet événement ?
“Il y a plus de 25 ans, j’étais en vacances en Suisse avec mes parents. Ils cherchaient un cadeau spécial pour le 70e anniversaire de mon grand-père. Après de longues recherches, ils sont tombés par hasard sur une magnifique paire de boutons de manchette, réalisée avec un savoir-faire hors du commun.”
“Ensuite, il y a six ans, ma grand-mère m’a invitée chez elle la veille de la Bar Mitzvah de mon fils. Mon grand-père était déjà décédé. Elle m’a remis les boutons de manchette que mes parents lui avaient offerts des années auparavant. Elle voulait que je les porte à la fête.”
“Ce geste m’a énormément touché. Ces bijoux sont chargés en émotions et en souvenirs. Le soir même, j’ai décidé de me laisser guider par mon rêve et de confectionner des boutons de manchette. Ma femme m’a dit : Ne sois pas stupide. Remets-toi à ton travail demain. (rires)“
Ode à la masculinité
David Gotlib a tenu bon. La ligne de boutons de manchette était née. “Je ne fabrique pas des bijoux ou des accessoires en soi. Je crée de futurs objets de famille pour les enfants et les petits-enfants. Il faut pouvoir en prendre soin et les transmettre, tout comme je l’ai fait avec ceux de mon grand-père.”
Un héritage, c’est bien beau, mais l’avenir des boutons de manchette semblait incertain. Il y a environ cinq ans, il n’y avait pratiquement plus de chemises avec des ouvertures pour ceux-ci. Le vent semble avoir tourné. “Il me semble qu’on accorde plus d’attention à la masculinité, la personnalité et les soins. La période où nous allions tous travailler en tee-shirt et en jeans à la Mark Zuckerberg est révolue.”
Où puisez-vous l’inspiration pour votre ligne de bijoux ?
“Dans le monde qui m’entoure. La dernière collection s’appelle Life is beautiful. Pendant la crise du coronavirus, nous avons redécouvert le lien avec la nature. Tout le monde a voulu prendre l’air pendant le confinement, à pied ou à vélo. J’ai fait la même chose avec ma famille. Ce comportement a entraîné une certaine paix, un sentiment zen. C’est ce que mes bijoux doivent dégager. Mais je reste fidèle à mes racines. Chaque paire de boutons de manchette comporte au moins un diamant. J’aime mon métier et l’histoire qui est associée à cette pierre. Je complète certaines paires avec des saphirs ou des rubis.
Face à la crise mondiale, l’industrie du diamant est en difficulté
Ces derniers mois, il n’a pas été facile pour David Gotlib de créer une nouvelle collection avec cinq enfants de 9 à 19 ans à la maison. Dans chaque pièce de la maison, des leçons numériques sont données via Zoom. Et pendant la crise du coronavirus – comme pendant n’importe quelle crise – les produits de luxe sont les premiers achats sur lesquels on fait l’impasse. Et les diamants font partie de cette catégorie.
“L’industrie du diamant est en difficulté”, déclare David Gotlib. “Les diamantaires ont de gros contrats avec les mines. Nous n’avons pas d’autre choix que d’acheter, mais nous ne pouvons pas écouler le produit final. Heureusement, l’industrie du diamant est très résistante. Mes produits ne sont pas essentiels, il ne s’agit pas de papier-toilette ou de pain. Mais dans l’univers des articles de luxe, les diamants sont les premiers à se rétablir. Par ailleurs, les clients en sont conscients. Tout le monde est dans le même bateau et il y a beaucoup de solidarité.”
Vous êtes aujourd’hui connu dans le monde entier. Vous n’avez jamais pensé à quitter Anvers ?
“Anvers reste le coeur de l’industrie du diamant. Je suis fier d’être anversois et belge. C’est pourquoi je me réjouis que nous puissions construire toute une marque à partir d’ici, surtout grâce aux connaissances dont nous disposons. Le véritable savoir-faire pour fabriquer un bijou à la main ne peut se trouver ailleurs. J’attache une énorme importance à la qualité de mes produits. Toutes les pièces doivent donc être réalisées par les meilleurs orfèvres et sertisseurs de diamants.”
“Le monde est devenu un village. Il y a plus de possibilités, mais cela rend aussi les choses plus difficiles. Par conséquent tout est public. Les clients voient mes prix en ligne et me demandent par exemple pourquoi mes boutons de manchette sont plus chers que n’importe quelle autre paire, que ce soit en ligne ou hors ligne.”
“En fin de compte, tout le monde peut vendre un certain produit. Il faut juste veiller à raconter une belle histoire. Et nous y sommes parvenus : nos produits sont de la meilleure qualité et fabriqués par les meilleurs. C’est ainsi que l’on arrive à faire en sorte que les clients reviennent.”
Vous n’êtes pas découragé par les divisions au sein de la société ? À quoi ressemble la vie d’un juif à Anvers ?
“Je continue d’apprécier tout ce que cette ville et ce pays ont à m’offrir. J’ai beaucoup appris du judaïsme, mais je suis aussi très à l’écoute d’opinions situées en dehors de ma foi.”
“Nous avons énormément à apprendre des autres. Ici, au centre du quartier des diamants, qui est extrêmement petit, cohabitent 74 nationalités. Mes voisins sont libanais, indiens et chinois. Nous sommes les Nations unies en miniature. Je pense que c’est unique au monde.”
“Beaucoup ne le voient probablement pas, mais je trouve ça formidable qu’il y ait autant de backgrounds différents autour de moi. Si le monde prenait exemple sur cette cohabitation, la société serait complètement différente.”
Les collections de DAVID GOTLIB sont vendues dans le monde entier, notamment à Chicago, New York, Londres, Tokyo et Paris.
Une paire de boutons de manchette est disponible à partir de 3.300 euros.
Plus d’infos sur www.davidgotlib.com
Traduction : virginie·dupont·sprl
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