Les yeux en veulent aussi

Les yeux en veulent aussi: Trois experts créatifs en alimentation bruxellois

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Party style

À l’heure des posts colorés et parfaitement mis en scène sur les réseaux sociaux, les tables de banquet ont elles aussi été améliorées. Avec les fêtes de fin d’année en vue, ces trois experts créatifs en alimentation bruxellois éclairent une nouvelle voie possible. Jouer est autorisé.

TEXTE / Natalie Helsen

LÉA MALTESE

« Quand on est enfant, nos parents nous ­apprennent à ne pas jouer avec la nourriture. J’adore jouer avec la nourriture et voir comment, à table, les gens interagissent chacun à leur manière avec les aliments. Tant que rien n’est gaspillé », déclare la food artist Léa Maltese. « J’ai toujours aimé cuisiner. Quand je pense à mon enfance, je me souviens des repas quotidiens fraîchement préparés par ma mère – même si elle a récemment avoué qu’en tant que mère célibataire, elle achetait bien plus de plats préparés que ce que j’imaginais (rires). » À 18 ans, cette Française originaire du sud traverse la Manche pour étudier les beaux-arts à l’Université des arts de Londres. « C’est là que j’ai dû commencer à cuisiner. » Elle est ensuite devenue archiviste pour des collectionneurs d’art, puis un nouvel emploi l’a amenée à s’installer à Bruxelles. Elle vivait donc dans notre belle ­capitale lorsque, pendant les confinements, elle a décidé de se reconvertir après 10 ans de carrière et de se consacrer pleinement à la nourriture. Le regard créatif qu’elle a porté sur l’art pendant des années, la food designer autodidacte l’utilise aujourd’hui pour concevoir des expériences comestibles pour ses clients.

«J’adorejouer avec la nourriture»

Bien qu’elle soit installée à Bruxelles, Léa Maltese conçoit et cuisine aujourd’hui ses créations et sculptures alimentaires principalement pour des clients français. « La tendance du design alimentaire ne semble pas encore vraiment percer en Belgique Ce sont surtout les marques du monde de la mode qui la sollicitent : de Vogue France au fabricant de chaussures classiques Heschung, en passant par la marque de vêtements super tendance Carné Bollenté. Toutefois, certains projets belges se profilent également. Lors du lancement de l’édition belge du célèbre magazine français « Le Fooding », elle a conçu des totems équilibrés à base de concombres, ­radis et autres légumes ; pour l’anniversaire du studio de design bruxellois MoKa, elle a confectionné un gâteau à base d’œufs, un peu différent de ce que l’on imagine lorsque l’on pense à un gâteau aux œufs. « Je suis obsédée par les œufs. J’ai caché différentes préparations dans des ­coquilles d’œufs vides, qui sont allées directement au four. En ouvrant un tel œuf, les invités découvraient un cake salé aux olives noires, à la courgette ou au zaatar. » En tant que directrice créative (événementiel), la nourriture est devenue un projet qui implique beaucoup de logistique, de transport et de gestion de production en plus de la passion, mais pour Léa Maltese, elle reste avant tout le moyen le plus universel de rendre les gens heureux. « Je ne cuisine jamais pour moi lorsque je suis seule. La première chose à laquelle je pense sur le marché, c’est : avec qui est-ce que je peux partager ça ?

Trois conseils de

Léa Maltese

Chips de riz

Les feuilles de riz que vous pliez habituellement pour former un nem peuvent être transformées pour devenir une alternative aux chips super savoureuse. Entières ou coupées en morceaux, faites frire les feuilles quelques secondes dans une poêle à feu moyen-vif dans environ un centimètre d’huile, juste le temps qu’elles gonflent. Idéal avec des dips ou pour servir d’assiette pour un autre plat.

Radis Beurre 2.0

À l’aide d’une mandoline, coupez finement une farandole de radis colorés et, éventuellement, de betteraves. Laissez le beurre salé atteindre la température ambiante afin de pouvoir le mouler autour d’une forme spéciale telle qu’un verre renversé. Ensuite, recouvrir complètement le beurre avec les lamelles de radis.

Bouquet d’endives rouges

La « Radichio di Treviso » est une sœur de notre endive belge : la saveur est similaire, mais la couleur rouge profond est beaucoup plus spectaculaire. Si vous regardez bien, vous verrez aussi une autre variété : la chicorée frisée, dont les feuilles ressemblent à des tiges. Lorsque vous les dressez dans un vase, vous obtenez un bouquet coloré que vous pouvez manger pendant le repas.

@leamaltese

FOUR

À la fin de leurs études à l’Académie Rietveld d’Amsterdam, la graphiste Jeanne Viviès et la créatrice de mode Sonia Oet se rencontrées et sont devenues célèbres parmi leurs amis pour les fantastiques dîners qu’elles organisaient. Aujourd’hui, elles travaillent toutes les deux à Bruxelles -–Vivies en tant que ­designer chez Basedesign et Sonia en tant que designer et enseignante dans le domaine de la céramique – mais travaillent ensemble à temps partiel. FOUR , c’est leur bébé, et un concept créatif centré sur des expériences culinaires inédites et une vaisselle assortie sur mesure. « Un repas ne doit plus être un événement classique où l’on se met à table et où l’on se fait servir de la nourriture », estime Viviès, qui perçoit un net changement dans les mentalités. « Par ailleurs, le nombre de chefs qui préfèrent désormais ­organiser des pop-up plutôt que de s’ancrer dans un restaurant semble s’inscrire dans une tendance qui s’éloigne de la cuisine traditionnelle et de sa hiérarchie verticale. Tout semble être en train d’évoluer. C’est aussi le cas des croisements entre l’art, la nourriture, les performances et les événements. » L’originalité de FOUR – un nom qui fait à la fois référence à la préparation des repas et à un four à céramique – est que tout part de la forme des plats et des ingrédients : cela peut aller des tours de service conçues pour des œufs ou des bols à base d’olives croustillants jusqu’à des pommes de terre farcies sur des tablettes d’argile lors d’une performance au musée BOZAR.

Lorsque les photos du mariage ardennais ­d’Ester Manas et de Baltazar Delepierre, le duo à l’origine de la marque de vêtements ­Ester Manas, ont fait le tour du monde grâce à une publication de Vogue, le dîner à la FOUR a également fait parler de lui. « Ester est une bonne amie à nous, nous avons conçu un buffet pour elle. Pour chaque plat, jusqu’au plus petit gâteau, nous avons imaginé des assiettes personnalisées qui ont donné au repas une toute autre ­dimension. »

«Nous concevons des assiettes personnalisées pour chaque plat»

Viviès et Oet ont trouvé dans leurs étranges formes en céramique un concept attrayant et novateur : « L’argile cuite est intemporelle, elle résiste à l’épreuve du temps. Quelle ironie donc, pour la nourriture, qui disparaît en un instant, de concevoir un produit qui restera pour toujours. Cette friction est ironique
mais aussi intéressante, car elle fait germer de nouvelles idées. Récemment, nous avons découvert que nos assiettes à base d’olives se prêtaient parfaitement à l’étalage de fromage frais. Lorsque vous les imbibez d’huile d’olive, les noyaux créent un magnifique motif très ­ludique. »

Trois conseils de

FOUR

Travailler la hauteur

Les tables présentent souvent peu de relief et se prêtent donc
à une mise en scène avec des
volumes. Essayez donc de
travailler les choses en hauteur. Viviès et Oet ont découvert
qu’elles pouvaient construire
des tours en empilant des bols
Diabolo, alternativement dans un sens puis dans l’autre, mais des constructions pleines de fraîcheur sont également possibles avec des assiettes et des bols que vous avez déjà à la maison.

Bouquet de basilic

Mettez non pas des fleurs,
mais un bouquet d’herbes fraîches composé d’aneth,
de fleurs de camomille et de
basilic thaï, par exemple. Non seulement c’est beau, mais les invités adorent pouvoir assaisonner leur plat avec ce qu’ils trouvent sur la table.

Assiettes comestibles

Une astuce très simple et rapide consiste à remplacer l’assiette utilisée pour le snack par quelque chose de comestible, comme une grande feuille de chou ou de chicorée. Conseil de pro : coupez une feuille de chou frisé en carré. Cela donne instantanément une allure incroyablement chic.

@foooouuuur

EVERY ISLAND

Le collectif de design artistique bruxellois Every Island pourrait à première vue apparaître comme un outsider dans la lignée des food creatives. Le collectif est composé d’architectes qui créent des performances et des constructions temporaires dans toutes sortes d’espaces. « L’alimentation n’est jamais le sujet principal de nos projets », explique l’architecte Alessandro Cugola, qui a cofondé Every Island en 2021. « Mais puisque notre travail d’architectes nous ramène toujours à l’univers de l’habitation, la sphère domestique y apparaît souvent de manière récurrente, d’où le rôle important que joue parfois l’alimentation. » Quand l’occasion se présente, le regard créatif du collectif montre comment le quotidien peut être transformé en quelque chose d’inoubliable. Par exemple, lors de l’assouplissement des dernières mesures de lutte contre le coronavirus, Every Island a pu occuper temporairement l’immeuble de bureaux vacant de Stam Europa à Arts Loi[VI1] pour un premier projet qui s’est transformé en un dîner expérience.

« Pendant les vagues de coronavirus, les repas étaient la seule forme de socialisation », explique Cugola. « Ces moments étaient donc mêlés à toute une série d’émotions : ennui, solitude, émoi… Pour donner forme à cette combinaison complexe de sentiments, nous avons conçu une longue table amorphe pour symboliser cet étrange mélange humain, et nous avons ensuite concocté un menu adapté. » Des amis, des connaissances et de parfaits inconnus se sont donc retrouvés pour un dîner spectacle dans un immeuble de bureaux vide, où ils ont assisté à une performance culinaire assis sur de petits tabourets : des légumes méticuleusement disposés sur des monticules de sel, des assiettes portant des inscriptions philosophiques qui se sont révélées être des paroles de Britney Spears et une procession cérémonielle de gâteaux aux graines de pavot comme apothéose d’une soirée mémorable.

«Nous oublions souvent l’aspect cérémonial d’un repas»

« Every Island s’intéresse à la manière dont un espace peut devenir la base d’un spectacle et à la façon dont on peut l’exploiter : comment le public peut faire partie du scénario, ou comment l’artiste peut devenir le public. » Et avec un peu d’audace, vous pouvez envisager les choses sous un même prisme chez vous.

TROIS CONSEILS D’

EVERY ISLAND

Cérémonie

« Nous oublions souvent l’aspect cérémoniel d’un repas. Si vous considérez un dîner comme une expérience, avec la table comme autel et la nourriture comme offrande, vous changerez de perspective et vous apprécierez le repas différemment. Ainsi, vous créez l’opportunité de l’élever au rang de spectacle fantastique : les plats du repas deviennent des actes et des chapitres et, d’un simple repas, votre dîner devient un moment inoubliable. »

Laisser parler l’espace

« Dans notre pratique, chaque projet Every Island part de l’espace. Lors du dîner à Stam Europa, la table charnelle a été le point de départ autour duquel nous avons imaginé un dîner à la hauteur de l’étrangeté. Ce n’est pas à faire au quotidien mais, même chez vous, vous pouvez imaginer une soirée à partir d’idées de proportion et de distance : comment dresser une table très longue ou une grande table carrée, comment asseoir les invités, quel est l’impact sur l’ambiance… Autant d’aspects fascinants d’une soirée. »

Les choses ne sont pas ce qu’elles semblent être

« Un brin d’ambiguïté est toujours un ajout intéressant dans votre menu pour surprendre les invités : des produits qui n’ont pas le goût attendu aux ingrédients servis sous une forme surprenante, en gelée par exemple. Lors de notre dîner, nous avons servi un pain de viande dans un long filet rouge qui lui donnait des airs de salami. »

@everyisland.xyz

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