LOVER / HATER: Tournée Minérale

Après les réceptions de Nouvel An, c’est le moment de se lancer: un mois sans alcool. Une bonne façon de réduire le risque de maladie? Ou est-ce la voie royale vers l’isolement social? La Tournée Minérale vaut-elle l’effort qu’elle implique?

L’effet à long terme

Michaël, vous n’êtes généralement pas favorable aux régimes. Dans ce cas, pourquoi n’êtes-vous pas contre la Tournée Minérale?

MICHAËL SELS. «Nous savons que la plupart des régimes ne fonctionnent pas à long terme. Les gens n’en retiennent que quelques conclusions, généralement négatives, comme le fait que le chocolat noir est permis. L’impact est donc plutôt négatif à long terme, mais avec la Tournée Minérale, ce n’est pas le cas. Tout effet subsistant après celle-ci, même minime, est positif. Boire moins d’alcool est toujours mieux.»

CHARLOTTE DE BACKER. «Mais la communication doit-elle être aussi extrême? Ce qui me dérange dans ce genre de campagne, c’est la polarisation. Ne serait-il pas mieux de miser sur la consommation avec modération, plutôt que sur une règle aussi stricte?»

SELS. «Au contraire, les gens ont besoin de directives claires. «Avec modération» est trop vague. On a besoin d’un objectif.»

D’accord, l’alcool n’est pas bon pour la santé

Mais l’alcool est-il vraiment si mauvais? On dit que « A glass of red wine a day keeps the doctor away», non?

SELS. «Malheureusement, l’affirmation selon laquelle le vin rouge serait bon pour le cœur est complètement dépassée. Les études se sont concentrées sur certaines substances présentes dans le vin rouge, comme les flavonoïdes. Mais bien sûr, il faut voir l’ensemble du tableau et l’alcool qu’il contient ne contribue en aucun cas à une bonne santé.»

Mais sommes-nous toujours obligés de faire des choix santé? Le sucré et le beurre non plus ne sont pas bons pour la santé, mais ils sont délicieux.

SELS. (Rires) «Je ne prône pas l’interdiction totale de l’alcool, mais plutôt la sensibilisation. Un mois de Tournée Minérale ne suffira pas pour améliorer la santé de la population, il faut s’y consacrer tout au long des onze mois restants. On peut donc juste espérer qu’il y ait quelques répercussions. Nous constatons que l’alcool fait souvent partie d’une routine quotidienne. Boire un verre tous les soirs après le travail pour se détendre n’est vraiment pas nécessaire.»

DE BACKER. «Pourtant, l’alcool aide à lutter contre le stress, qui est aussi particulièrement mauvais pour la santé. N’est-ce pas une raison valable?»

SELS. «Il vaut mieux prendre une douche bien chaude ou se frictionner avec un lait pour le corps. Cela détend aussi. Mais ce que nous recommandons le plus volontiers contre le stress, c’est le sport.»

Are you in or are you out?

Charlotte, d’un point de vue sociologique, quel est l’impact d’un mois sans alcool?

DE BACKER. «Quand on est entouré de gens qui boivent beaucoup, participer tous ensemble peut augmenter la cohésion du groupe. Mais c’est rare que tout le monde participe. Et contrairement aux régimes, c’est parfois socialement délicat quand un membre du groupe ne boit pas avec les autres. Non seulement on se sent un peu exclu quand on ne boit pas, car l’ambiance change, mais par ailleurs, ceux qui aiment boire un petit verre se sentent souvent un peu jugés.»

SELS. «En même temps, c’est précisément la dynamique de groupe qui prévaut lors d’une campagne comme la Tournée Minérale, et c’est ce qui fait que l’on persévère. L’effet de groupe peut aider à intégrer de nouveaux comportements.»

DE BACKER. «Pour la Tournée Minérale, je conseillerais de rechercher d’autres personnes qui participent elles aussi pour éviter que ce ne soit trop difficile, car il faut déjà être bien accroché pour tenir bon.»

L’alcool est une émotion

Pourquoi est-il si difficile de renoncer à l’alcool?

DE BACKER. «C’est intrinsèquement lié à la culture. Les Belges se rapprochent de la culture française quand il s’agit de manger et de boire. Nous sommes de bons vivants. Chaque occasion s’accompagne d’un petit verre. De l’événement sportif à l’enterrement.»

SELS. «Je confirme. Mon mari est pilote chez Air France et ce n’est que récemment qu’ils ont interdit l’alcool au déjeuner du personnel» (dit-il, l’air effaré).

Mais au-delà de ça, boire un petit verre est aussi tout simplement agréable, non?

DE BACKER. «C’est vrai. Nous constatons également que les liens entre les gens qui boivent quelques verres ensemble se renforcent. Bien sûr, il faut se limiter à un verre occasionnel. Car l’excès d’alcool peut entraîner une marginalisation sociale.»

SELS. «Personnellement, j’aime aussi déguster une bière complexe ou un verre de vin en parfait accord avec un plat, mais j’essaie de rester très conscient de ce que je bois, pour que cela reste un moment précieux. Ce qu’on ne peut pas dire du cubi de vin à côté du frigo.»

La tétine trempée dans le whisky

Y a-t-il une différence entre les jeunes et les moins jeunes pour ce qui est de la consommation d’alcool?

SELS. «Nous constatons que le problème de l’alcool est plus prégnant chez les plus de 50 ans que chez les jeunes. Elle n’apparaît pas au bout de trois soirées, mais en adoptant un comportement systématique.»

DE BACKER. «L’ancienne génération a aussi grandi avec l’alcool. Avant, la bière de table était omniprésente et personne ne s’étonnait quand on trempait une tétine dans le whisky pour aider bébé à mieux dormir. En plus de cela, plus on vieillit, plus il est difficile de changer. On a la nostalgie du passé.

Le sucre n’est pas pire que l’alcool

S’ajoute à cela que les nombreuses alternatives sans alcool ne sont pas particulièrement bonnes pour la santé. Elles sont souvent pleines de sucre.

SELS. «Je tiens à apporter une nuance importante à ce sujet. Si l’on compare un gin-tonic sans alcool à un gin-tonic ordinaire, on constate qu’ils contiennent la même quantité de sucre. Pour le gin sans alcool, on a juste enlevé l’alcool. Même si on y ajoute un tout petit peu de sucre, il ne fait pas le poids comparé à la quantité d’alcool. Un gramme de sucre équivaut à quatre calories, tandis qu’un gramme d’alcool en contient sept. L’idéal est de boire de la bière sans alcool. Cela revient à boire la moitié d’un soft.»

On réessaye demain

Pour la septième fois consécutive, ce sont Univers Santé et la Fondation contre le Cancer qui organisent cette campagne. Pourquoi justement ces deux organisations? C’est un signal clair, non?

SELS. «Il y a les problèmes de dépendance à l’alcool d’une part et l’impact sur la santé d’autre part. C’est certain qu’un mois sans alcool ne réduira pas votre risque de cancer dans 20 ans, mais le changement de comportement qui en découle peut-être bien. Il en va de même pour la dépendance. L’alcool est la seule drogue légale et on est responsable de la quantité que l’on consomme. C’est pourquoi une sensibilisation est nécessaire, tout comme l’est la recommandation selon laquelle il faudrait se passer d’alcool deux jours par semaine. Ça casse l’habitude.»

Logique, mais ces règles ont été établies pour une minorité, non?

DE BACKER. «Je le pense aussi. Dire que quelque chose est interdit rend cette chose d’autant plus attrayante. C’est pourquoi les régimes échouent souvent. Il m’est arrivé une fois de participer à la Tournée Minérale, mais j’ai abandonné après 24 heures» (rires).

SELS. «Mon conseil est de ne pas abandonner, même si on prend un verre. On réessaye le lendemain et on continue. Cela reste une bonne chose. C’est ce que l’on constate avec les régimes. On mange une praline, on a l’impression d’échouer, ce qui fait qu’on en avale huit autres. Ce n’est pas nécessaire.»

Pour terminer, ne risque-t-on pas justement de boire davantage avant ou après ce genre de campagne?

DE BACKER. «C’est ce que l’on a constaté avec le confinement. La veille, on organisait des lockdown-party. Pendant ce mois-là, j’essaierais surtout de passer du temps avec des gens qui participent aussi, cela donnera moins l’impression d’être puni. Et il vaut peut-être mieux aussi éviter les fêtes et situations difficiles. Finalement, cela ne dure qu’un mois Ce n’est pas ça qui va vous pousser à l’isolement social» (rires).

SELS. «Je n’ai pas encore trouvé d’études ou de chiffres à ce sujet, je n’ose donc pas me prononcer. Mon conseil est aussi d’annoncer à tout le monde que vous allez participer, pour que les gens puissent s’y habituer.»

Michaël Sels: The lover

– A étudié la diététique oncologique à la KU Leuven

– Diététicien en chef à l’Hôpital universitaire d’Anvers

– Conférencier et chef cuisinier

– Il ne pense pas que participer à la Tournée Minérale soit bénéfique pour la santé à long terme, mais il croit à la sensibilisation à l’alcool, qui peut entraîner un changement de comportement à long terme

Charlotte De Backer: The hater

– A étudié les sciences de la communication à l’Université de Gand, a obtenu son doctorat à la même université, puis a travaillé à l’UC Santa Barbara et à l’Université de Leicester et travaille à l’Université d’Anvers depuis 2010.

– Chargée de cours en sciences de la communication à l’université d’Anvers

– Elle mène notamment des recherches sur la manière dont l’alimentation influe sur notre comportement et a participé à la rédaction des nouvelles directives nutritionnelles du Conseil supérieur de la santé

Charlotte De Backer
Charlotte De Backer © Eva Verbeeck

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