Du noir ou un sac à patates : le problème des grandes tailles au masculin
Trouver des vêtements tendance est encore trop souvent un casse-tête pour les fashionistos de forte corpulence. ‘Ce n’est pas parce qu’on a un peu d’embonpoint qu’on n’a pas envie d’être bien habillé.’
La taille qui figure sur l’étiquette d’un t-shirt n’est qu’une indication universelle. Les choses se compliquent quand un homme cherche une pièce tendance au-delà de l’extralarge. De nombreux labels tels qu’Urban Outfitters et Forever 21 ne proposent tout simplement pas ces grandes tailles. Quant aux marques de créateurs plus size, ils se font encore plus rares. Souvent, le choix cornélien se pose en ces termes : un sac à patates informe ou une kyrielle de vêtements noirs davantage destinés à camoufler les rondeurs qu’à les mettre en valeur. Ou comme l’a formulé un utilisateur sur Twitter : ‘Si le noir ne te va pas, c’est peine perdue.’
Si le noir ne te va pas, c’est peine perdue.
Ce constat est quelque peu étrange. Les mannequins bodybuildés qui présentent le vestiaire masculin sur nos sites de mode préférés ne reflètent pas non plus la réalité. Ces dernières années, les hommes n’ont cessé de prendre en taille et en volume en Belgique et aux Pays-Bas, si bien qu’ils sont de plus en plus nombreux à ne pas trouver leur bonheur dans les marques traditionnelles. La mode au masculin a le vent en poupe et, selon les chiffres d’Euromonitor, elle a même connu une croissance plus rapide que la mode féminine ces dernières années. Bref, le potentiel commercial est énorme.
Des modèles à suivre
Chez les femmes, le cheminement vers la diversité dans la mode semble battre son plein depuis un moment. Si les top-modèles qui trustent les catwalks et les couvertures des magazines sont encore souvent des femmes minces et blanches, des mannequins comme Ashley Graham, Tess Holliday et Nadia Aboulhosn soufflent depuis plusieurs années un vent de modernité. Du côté de la gent masculine, cette évolution est plus timide et l’idée qu’il existe aussi des hommes plus size et désireux d’être bien sapés semblent gagner (trop) lentement du terrain.
Et ce n’est pas tout : en réponse à mon e-mail envoyé à l’agence de mannequins néerlandaise Maxime Models – qui représente de nombreux tops plus size – afin de préparer cet article, on m’a expliqué qu’aucun de leurs cinq modèles masculins n’avait du boulot pour le moment : ‘La Belgique et les Pays-Bas sont sensiblement à la traîne dans le domaine de la mode grande taille pour hommes.’
Le seul Néerlandais qui mène une carrière de mannequin plus size, c’est AJ Buitendijk. Il a déjà posé pour des géants de la mode comme Asos et Zalando – qui surfent bel et bien sur la vague des grandes tailles pour hommes – et, quand je l’ai eu au téléphone, il revenait tout juste d’un shooting en Chine. ‘Je ne sais pas non plus pourquoi les grandes tailles sont bien mieux intégrées chez les femmes’, concède-t-il. ‘Les hommes de forte corpulence sont pourtant nombreux aux Pays-Bas et en Belgique. Je pense qu’il s’agit d’un marché de niche. Ce n’est pas parce qu’on a un peu d’embonpoint qu’on n’a pas envie d’être bien habillé.’
‘Trop mince pour les grandes tailles’
Les débuts d’AJ Buitendijk sont le résultat d’un concours de circonstances. ‘Mon ex-petite amie est également mannequin plus size. Autrefois, je ne savais même pas qu’il existait un marché dédié à la mode masculine grande taille. Quand le type qui devait poser avec elle lors d’un shooting n’est pas parvenu à enfiler son pantalon, le directeur artistique m’a demandé de le remplacer. Le lendemain, on me conviait déjà à un essai. Ensuite, tout s’est enchaîné.’
Si AJ Buitendijk ne travaille quasi pas en Belgique et aux Pays-Bas, il explique que le marché est plus développé à l’étranger. ‘En Allemagne, le marché est énorme et, en Grande-Bretagne aussi, ils ont déjà franchi le pas il y a un moment. Récemment, j’ai même travaillé à Oslo. C’est donc bel et bien possible.’
Fat shaming
Mais n’allez surtout pas croire que les top-modèles plus size ne sont pas confrontés à des critiques acerbes au sujet de leur corps. Le fat shaming, ou le fait de juger ouvertement un individu sur son poids, est fortement ancré dans l’industrie de la mode. ‘J’aime faire du sport. Du coup, on m’a un jour dit que j’étais trop mince, que j’avais un corps trop athlétique. On est donc sans cesse jugé sur son apparence. Je trouve ça vraiment pénible, voire violent. Quand un autre décroche un job à votre place, il est parfois difficile de ne pas commencer à avoir des pensées négatives.’
‘L’idée que silhouette élancée et mauvaise hygiène de vie vont de pair est encore bien présente dans notre société’, affirme AJ Buitendijk. Il y a quelques semaines, le journaliste du New York Times Corbin Chamberlin a abordé le problème pressant du fat shaming dans un billet d’humeur. Il en a lui-même fait les frais quand, jeune journaliste à l’époque, il a pu prendre place pour la première fois en front row d’un prestigieux défilé de mode. ‘Une habituée du premier rang m’a alors regardé avec dégoût et a appelé la PR manager de la marque. Celle-ci m’a alors expliqué que je devais aller m’installer ailleurs parce que mon poids était dérangeant’, a-t-il écrit.
Est-il donc réellement plus difficile de commercialiser un dressing masculin plus size ? Les marques de vêtements féminins spécialisées en grandes tailles sont soutenues par le mouvement Body Positive qui tourne à plein régime et encourage les femmes à afficher fièrement leurs rondeurs. Bien que le fat shaming ne se cantonne pas à un genre, il semble qu’il soit plus communément admis chez les femmes que les poignées d’amour qui débordent un peu du pantalon ne sont pas une imperfection, mais tout simplement une partie de leur corps. Il est souvent plus difficile en tant qu’homme de clamer haut et fort que l’on aime son corps si on n’est pas muni de tablettes de chocolat. ‘Je pense que c’est pour cette raison que de nombreuses marques de mode ne se risquent pas encore à lancer une collection grande taille pour hommes’, estime AJ Buitendijk.
Asos et Zalando montrent néanmoins que c’est bel et bien possible. Sur leur site Internet, elles ne font pas tout un plat de leurs collections plus size, et prouvent que les grandes tailles ne doivent pas nécessairement être fades ou sans caractère, à grand renfort de t-shirts transparents ou de vêtements aux couleurs vives. Levi’s a également lancé des jeans spécialement conçus pour les formes plus généreuses.
Les grandes tailles ne suffisent pas
Cependant, il ne suffit pas de proposer des grandes tailles pour offrir aux hommes plus grands ou plus corpulents des vêtements seyants. Si certaines marques de vêtements déclinent déjà leurs collections au-delà de l’extralarge, il s’agit souvent d’une taille médium qui a été agrandie sans tenir compte de la morphologie du public cible. Tout sauf flatteur.
Par conséquent, de nombreux hommes sont obligés d’acheter leurs vêtements dans des boutiques spécialisées. Frustré par l’offre disponible, le créateur Brandon Kyle a décidé de créer sa propre ligne. Des marques comme Oublier et Jacamo s’intéressent également aux grandes tailles.
Heureusement, les plateformes sur lesquelles ces hommes “de taille” peuvent échanger et se retrouver se multiplient. Ainsi, le site Chubstr décrypte les thématiques qui les préoccupent. Sur Instagram aussi, de nombreux hommes démontrent que le bon goût vestimentaire et les lettres imprimées sur l’étiquette d’une veste sont deux choses tout à fait distinctes. Parmi eux, Nick Holliday, Michael Anthony et Kelvin Davis montrent la voie. Nous sommes impatients de retrouver cette diversité croissante sur le catwalk, mais surtout en magasin.
Traduction : virginie·dupont·sprl
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