Des monstres sur la table
Le photographe Rudolf van der Ven (37 ans), qui est né aux Pays-Bas et a grandi à Tongres, a compilé 50 années de supercars dans un gigantesque livre. Il retrace l’histoire de ces bolides de rêve et les a photographiés en utilisant la technique du light painting. Le résultat: une ambiance années 80 très appréciable.
«Vers l’âge de cinq ans, j’ai reçu une Ferrari télécommandée: un gros truc en plastique qui ne fonctionnait pas du tout. Un an ou deux ans plus tard, une amie de mes parents est arrivée chez nous en Ferrari 348. Son patron lui avait prêté la voiture pour la journée. Elle m’a fait faire un tour. C’était inoubliable, évidemment.»
Comme beaucoup, Rudolf van der Ven a attrapé le virus automobile. Son parcours personnel est pourtant atypique, car à l’adolescence, cet engouement enfantin s’est estompé pour faire place à une passion pour l’informatique. Ce n’est qu’après avoir passé le cap des trente ans que sa fascination automobile a refait surface. C’est peut-être pour cela que son livre se lit comme s’il avait été écrit par un adolescent qui maîtrise bien la langue. Et il s’agit là d’un compliment! Rudolf van der Ven fait vivre le petit garçon qui est en lui. Même s’il a eu devant l’objectif les voitures les plus emblématiques et qu’il a même pris le volant de plusieurs d’entre elles, il reste modeste et toujours émerveillé. «En raison de cette résurgence tardive de ma passion pour les voitures, c’était souvent la première fois que je voyais en vrai de nombreux modèles du livre», explique-t-il. «Les amateurs de voitures ont souvent passé leur vie à écumer les salons de l’auto. Pour moi, tout était nouveau. Ce qui a rendu la conception de ce livre d’autant plus passionnante.»
LE PHOTOGRAPHE RUDOLF VAN DER VEN «La Lamborghini Aventador est la voiture qui a ravivé ma passion. C’est la voiture la plus attrayante de tous les temps. Et la conduire est génial
Une beauté absurde
Autre fait insolite: il n’a passé son permis de conduire qu’après la trentaine. «C’est aussi lié à la disparition de cette fascination», dit-il. «Je n’ai eu mon permis de conduire qu’après une rupture amoureuse qui m’a donné envie de remettre ma vie sur les rails. Je n’avais pas vraiment l’intention d’en faire grand-chose. ‘Il me sera utile quand j’aurai besoin d’une voiture’, ai-je pensé. Mais depuis, je suis devenu un mordu de la conduite. Et oui, cela a eu une incidence importante sur ma carrière.»
Il était webmaster chez Brussels Airlines. «Après 10 ans, j’en avais un peu marre. Depuis 2018, j’avais des jobs d’appoint en tant que photographe, et pendant le confinement, j’ai pris la décision de me consacrer entièrement à ce métier. Je n’ai aucune formation en photo, mais cela fait quinze ans que j’expérimente avec mon Canon 450 D.» Aujourd’hui, il travaille principalement pour les constructeurs automobiles et les concessionnaires au niveau national. Les sièges de Bentley et de Lamborghini font aussi appel à ses services.
Rudolf van der Ven, lui, conduit une Volvo V40. «Elle est grise, précise-t-il. «Ma première voiture. Et j’en suis très content. Pratique, fiable, économique. Je vais l’user jusqu’à la corde. Un modèle un peu plus exotique? Bah non.» Et s’il pouvait en choisir une? «La Lamborghini Aventador», répond-il sans hésiter. «Ce n’est pas la plus élégante, elle n’est pas extrêmement rare, mais c’est la voiture qui a ravivé ma passion. Quand elle est sortie, j’ai pensé qu’elle était d’une beauté absurde et intemporelle. Ça aurait pu être hier. Elle a pour moi le design le plus équilibré et c’est la voiture la plus attrayante de tous les temps. Et surtout, la conduire est génial.»
Light painting
Bien sûr, ce n’est pas le premier livre sur les supercars. Mais Rudolf van der Ven a abordé le sujet sous un angle original. «La plupart des livres remontent plus loin dans l’histoire, souvent avec la Mercedes-Benz 300 SL Gullwing de 1955 comme première supercar, et ils s’arrêtent dans les années 1990 ou 2000. «Nous commençons par les années 70 et nous nous attardons assez longuement sur les années 80 et 90: l’époque de ma fascination enfantine. Je pense ici à la Lamborghini Countach et à la Ferrari F40.» Sans oublier les voitures modernes, comme la Bugatti Veyron et la Chiron.
Avant tout, «Supercars» se distingue par une approche photographique singulière: il est ponctué de grands visuels dans le style du light painting. Celui-ci consiste pour le photographe à travailler avec un obturateur ouvert et une source de lumière mouvante. «La forme que l’on obtient en déplaçant une lampe d’avant en arrière est un trait de lumière», explique-t-il. «J’utilise la technique pour éclairer mon sujet. La voiture est devant l’appareil photo et l’appareil photo est sur un trépied, le temps d’exposition étant réglé entre quatre et dix secondes. Je passe devant les voitures avec ma lampe, qui les éclaire d’une grande zone de lumière blanche. Le résultat est une lumière très douce. La plupart des photographes s’efforcent de représenter les voitures jusque dans leurs moindres détails, même les roues. Avec ma technique, j’entretiens le mystère: on ne devine que les grandes lignes de la voiture. Je laisse le reste à l’imagination.»
Les bolides n’ont pas été photographiés en studio. «J’ai souvent créé un environnement de studio en postproduction, ce qui les met mieux en valeur», explique Rudolf van der Ven. «Souvent, d’ailleurs, je n’avais pas le choix. Ces voitures se trouvent généralement dans des hangars ou des caves appartenant aux collectionneurs. Une Ferrari 288 GTO vaut plus de trois millions d’euros. Laissez-la prendre la pluie et elle perd cent-mille euros de sa valeur, pour ainsi dire.»
Ce n’est pas simple de photographier une voiture. «Notamment parce que l’on ne maîtrise pas l’environnement, surtout à la lumière du jour», dit-il. «Il y a énormément de reflets. Pour contrer cela, beaucoup utilisent un filtre polarisant, mais cela demande beaucoup d’entraînement. Pour les débutants, il s’agit aussi de trouver le bon angle. J’ai moi aussi mis du temps à le trouver, c’est un processus d’apprentissage continuel. Pour les angles bas de la LaFerrari, il a fallu réfléchir longuement. Le cadrage aussi est une recherche, bien que cela s’applique à la photographie en général.»
Fermette
Pour la sélection des voitures, il a fait quelques choix étranges: la Ferrari 360 Modena et la BMW Z8 sont de belles voitures, mais ce ne sont pas des supercars. «La définition exacte du terme supercar est un débat récurrent», explique Rudolf van der Ven. Pour moi, c’est une voiture rapide qui captive l’imagination. À propos de la Ferrari 550 Maranello, j’entends dire que c’est une GT de luxe avec le moteur à l’avant, mais pas une supercar. Je réponds: c’est une Ferrari somptueuse et rapide. Je suis en partie d’accord pour dire que la Modena n’est pas une supercar. Mais cette voiture a marqué une transformation majeure pour Ferrari, les formes rondes ayant remplacé les formes angulaires au tournant du millénaire. D’ailleurs, la voiture illustrée dans le livre est la Challenge Stradale, la version de course avec titre de circulation.»
Son argument est maigre: la 360 Modena n’est pas une supercar. La réalité, c’est que Rudolf van der Ven a photographié plusieurs voitures de certaines collections. Pour la rarissime Ferrari 288 GTO – une supercar en tout point – il s’est rendu chez Cars Out, qui abrite une impressionnante collection privée à Rotterdam, où il a également photographié la 360 Modena et la F512M. «J’ai été obligé d’y aller deux fois», dit-il en riant. «Je précisais clairement avant d’arriver que les voitures devaient se trouver dans l’obscurité la plus complète, en raison de ma technique. Je me rends à Rotterdam un matin et je tombe sur un énorme hangar avec des lucarnes non occultées.»
Le livre illustre également plusieurs voitures du collectionneur flamand Filip Baert: la Bugatti EB 110, la Lamborghini Miura et les Ferraris F40 et F50. «C’était une longue et agréable soirée très arrosée», plaisante Rudolf van der Ven. C’était cela aussi le livre: une tournée passionnante des collectionneurs de voitures. Ce qui l’a le plus marqué? «Question difficile», répond-il en riant. «Pour la rarissime BMW M1, on m’a conseillé d’aller voir un octogénaire habitant en Flandre orientale. Je n’avais aucune idée de ce que j’allais y trouver. Je suis arrivé dans une fermette avec un hangar. Je m’attendais à y trouver une seule M1, mais il y en avait pas moins de cinq, dont deux versions Procar. J’étais tombé sur l’une des plus grandes et des plus fascinantes collections de BMW au monde. Elle comprend également les voitures de Formule 1 de Ralf Schumacher et de Gerhard Berger. Et des Lamborghinis et des Ferraris.»
Monstre silencieux
Pour Rudolf van der Ven, il est évident que même les voitures de sport modernes restent des objets de collection. «Ce qui m’irrite, c’est que des marques comme Porsche et Lamborghini l’ont bien compris et lancent des éditions limitées à la chaîne. Une énième ‘édition’ avec quelques autocollants, un badge unique et une finition intérieure caractéristique, ce qu’elles facturent ensuite un demi-million. J’espère que cet appât du gain rapide sera vite passé de mode.»
«Ces deux dernières années, on observe d’ailleurs de drôles de mouvements du marché», dit-il. Aux États-Unis, j’ai vu une nouvelle Ford F150 Raptor, dont le prix est normalement de 85 000 dollars, être vendue à 185 000 dollars. Pourquoi? C’est peut-être dû à l’ennui lié au confinement et au fait que certains ne savaient pas quoi faire de leur argent. La demande était aussi plus élevée que l’offre, notamment en raison de la pénurie de micropuces qui a retardé la livraison des nouvelles voitures. Ce qui a obligé les gens à se tourner vers le marché de l’occasion. Où le même phénomène se produisait. Ma mère a une BMW Z3. Pendant le COVID, elle a doublé de valeur. Les prix de certaines voitures ont quadruplé. J’ai l’impression que cette folie s’estompe peu à peu. C’est déjà perceptible sur le marché américain.»
Pourtant, il reste optimiste quant à l’investissement dans l’automobile. «Le prix de la McLaren F1 est aujourd’hui d’environ 20 millions d’euros et je pense qu’il ne fera qu’augmenter», écrit-il dans son livre. C’est une prédiction audacieuse et c’est le moins que l’on puisse dire. «C’est en tout cas la tendance depuis cinquante ans», dit-il. «La valeur des voitures de collection augmente avec l’inflation, ou même davantage. Bien sûr, il y a des creux, mais ensuite les prix remontent. Je pense que cette tendance se poursuivra, en particulier en raison de l’électrification du parc automobile. L’Aventator est la dernière Lamborghini équipée d’un moteur V12 et elle est très demandée, surtout maintenant que la marque compte également proposer des hybrides.»
Dans le livre, il met également en lumière quelques hybrides et supercars et hypercars électriques, avec comme pièce de résistance la récente Rimac Nivera: un monstre silencieux de près de 2 000 ch qui atteint 100 km/h en 1,85 seconde, et 300 km/h en neuf secondes. Bien que certains en doutent, Rudolf van der Ven estime que la passion automobile survivra l’ère du tout électrique. «Dans certaines critiques, j’ai lu que la Ferrari 296 GTB hybride était la plus belle voiture du monde, et je suis moi-même assez séduit par les voitures électriques comme la Porsche Taycan et l’Audi e-tron GT. Mais il y a encore tellement de latitude pour les rendre encore plus fascinantes et pour rendre le processus de production plus respectueux de l’environnement. Je crains toutefois qu’à long terme, la conduite de voitures à essence soit interdite. Mais je vois aussi des restomods: des ancêtres que l’on équipe d’une motorisation électrique en prévision de l’avenir. D’habitude, je suis plutôt pessimiste, mais cela me remplit d’espoir.»
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