Dans la vie d’un indépendant: ‘Un jour, un huissier s’est présenté à ma porte’
La vie de freelance ressemble pour certains à un sauf-conduit vers la liberté, mais la réalité est souvent moins indulgente. Trends Style s’est entretenu avec trois jeunes freelances sur les conditions dans lesquelles ils vivent et travaillent.
Gagner de l’argent en traînant en pantalon de jogging à la maison, sans devoir nettoyer les taches de café près du clavier, car il n’y a de toute façon jamais personne qui regarde par-dessus votre épaule, et tout simplement troquer les collègues contre des animaux de compagnie: les avantages d’une existence en tant que freelance sont à première vue tellement immenses que quiconque y souscrirait. Car pouvoir utiliser sa couette comme bureau et le chat comme tapis de souris, on peut assurément qualifier cela de privilège.
Mais qu’en est-il du stress financier, de l’incertitude et du spectre d’une existence solitaire ? Ce sont les côtés moins glamour du statut, souvent insuffisamment pris en compte. Et ils n’ont à l’évidence également pas d’impact sur le nombre de personnes qui envisagent une vie en tant que freelance.
Être freelance, c’est en réalité 80% de stress financier
Jeroen Van Zwol
Plus fort, en Belgique, mais aussi partout dans le monde, le nombre de freelances a considérablement augmenté ces dernières années. L’an dernier, il y avait presque 140.000 indépendants actifs en Flandre, une augmentation de 5% par rapport à 2015. Dans une quête vers davantage de flexibilité, toujours plus de personnes optent pour un emploi sans patron.
Un de ces freelances est l’illustrateur Jeroen Van Zwol. Nous nous rencontrons un lundi à Gand. Il est onze heures. “Il ne s’est encore rien passé”, raconte-t-il en riant. “J’ai d’abord besoin d’un café.”
Cela fait déjà deux ans que Jeroen gagne sa vie en tant que freelance, sous son nom d’artiste Zwoltopia. “Un jour, j’ai simplement décidé que j’allais le faire. Certainement au début, cela n’a pas été facile.” Il hésite un moment. “En fait, ça ne l’est toujours pas maintenant.”
Néanmoins, vous ne trouvez pas trace de cela dans son travail. Les illustrations faites de sa main sont systématiquement joyeuses et ludiques, et c’est un choix délibéré. Les pensées négatives concernant sa vie de freelance, il les met à distance, selon ses propres dires, pour ne pas effrayer les clients potentiels. Mais là ne se situe pas, selon lui, le plus grand problème.
“Être freelance est en fait 80% de stress financier”, ressort-il. “Il y a pas mal de chouettes projets que je dois décliner parce que je ne m’en sortirais tout simplement pas financièrement en les faisant. Si je dois attendre trois mois avant d’être payé après une importante mission, je pourrais vraiment m’y briser les reins. Je m’assois alors à mon bureau avec des crampes de stress et une douleur dans le dos, à dessiner des choses joyeuses. Ce n’est pas toujours évident.”
Jeroen a aussi déjà expérimenté ce risque potentiel de plein fouet. “Quand vous avez du retard pour le paiement d’une facture, par exemple, on sait très facilement vous trouver. Au pire moment, un huissier se trouvait soudainement là. C’était très dur. Le stress financier peut vous bloquer complètement sur le plan créatif.’
Culpabilité
Et c’est difficile, car celui qui désire opérer en tant que loup solitaire éprouve aussi constamment la pression d’être le meilleur. ‘Croyez-moi, je n’aime pas les citations, mais ma citation favorite est “be so good they can’t ignore you” (soyez tellement bon que l’on ne puisse vous ignorer). En tant que freelance, il n’y a pas de plafond contre lequel vous pouvez vous heurter, tout est possible. C’est précisément ce qui rend les choses si difficiles.’
“Je dois faire du networking et continuellement lancer de nouveaux projets. Je dois être présent sur les médias sociaux (sans cela, je serais déjà en faillite depuis longtemps) et faire face à une tonne de travail administratif. En tant que freelance, vous ressentez vraiment la pression d’être extrêmement bon.”
Parfois, je m’assois à mon bureau avec des crampes de stress et une douleur dans le dos, à dessiner des choses joyeuses. Ce n’est pas toujours évident.
Jeroen Van Zwol
De ce fait, Jeroen a déjà maintes fois hésité à malgré tout travailler à nouveau dans le cadre d’un contrat d’employé. “Mais c’est toujours de très courte durée. J’aime être freelance. C’est fucking good“, dit-il en se servant une deuxième tasse de café. “Je ne dois rendre de comptes à personne, je ne dois pas passer une demi-heure assis dans un train le matin et je peux organiser moi-même ma journée (même si je n’y parviens pas tellement bien). Mais bon, je ne peux pas m’arrêter de travailler à six heures.”
C’est une image difficilement conciliable avec le style de vie des freelances qui est assez fréquemment glorifiée. Des photos de bureaux soigneusement ordonnés, avec des to-do listes qui ne contiennent jamais plus de trois sujets, y contribuent.
Pourtant, tout le monde n’est pas aussi fan du fait de rester constamment à la maison. “Vous n’avez pas envie de devenir cette personne qui parle toute la journée avec son chat”, considère Sarah Van Looy. Elle est photographe freelance et elle a déjà exposé son travail chez Charlie Magazine. Selon elle, la solitude est l’un des aspects les plus difficiles de sa vie en tant que freelance.
Quand je suis occupée à travailler sur des photos ou des vidéos, je pense parfois que je ferais mieux de travailler plus souvent en dehors de la maison.” L’un des plus grands avantages du statut de freelance – le fait de ne jamais avoir à quitter sa maison et à navetter – devient ainsi d’emblée un inconvénient majeur.
Beaucoup d’études ont déjà été effectuées à ce sujet. En 2005, le magazine Work and Stress a publié une étude dans laquelle la santé (émotionnelle) des freelances avait été passée à la loupe. Il en est ressorti un tableau alarmant. Ainsi, les freelances seraient en général davantage confrontés aux conséquences du stress chronique et des longues journées de travail du fait de l’imprévisibilité de la charge de travail.
Sur internet, on trouve en outre beaucoup de témoignages de personnes qui sous-estimaient sérieusement l’aspect mental de la vie de freelance, dont celui de Katie Nave Freeman dans un article du New York Magazine.
“Je suis parfois écrasée par la crainte de décevoir les gens”, écrit-elle, “et la nuit, je réfléchis à la manière dont je peux parvenir à achever le travail. Les deadlines ne rendent ce stress que pire.”
Vous n’avez pas envie de devenir cette personne qui parle toute la journée à son chat.
Sarah Van Looy
Sarah se reconnaît dans ce portrait. “Pour certaines personnes, cela peut probablement sembler pathétique, mais je pense que la plus grande partie du temps, je suis occupée à travailler. En dehors de mon job, il n’y a pas énormément de choses que j’aime faire. Je me lève toujours très tôt, mais je ne parviens en général pas à faire un planning que je puisse ensuite suivre avec précision. Je suis trop chaotique. La plupart du temps, le matin, je vérifie simplement ce qui doit être fait et je commence à le faire. Jusqu’à ce que ce soit terminé.”
Jeroen estime aussi que travailler à la maison n’est pas toujours facile. “Tous vos problèmes se déroulent à la maison. Je n’ai pas encore de studio, donc s’il y a des soucis au travail, cela se situe à la maison. Mais les problèmes personnels se déroulent dès lors aussi au travail.”
A nouveau de l’énergie
Tout le monde n’éprouve heureusement pas de ressentiment à être tous les jours seul à la maison. Lauren Van Bever, copywriter freelance, trouve même cela formidable. “Je suis très introvertie,” dit-elle. “En tant que freelance, vous vous coupez souvent du monde extérieur, mais cela ne m’a jamais dérangé. Je suis très sensible aux stimulus et tous les bureaux branchés sont aujourd’hui des open spaces. Avant, quand je rentrais chez moi après le travail, j’étais morte de fatigue. Aujourd’hui, j’ai encore de l’énergie pour faire quelque chose avec mes amis le soir.
Avant, quand je rentrais chez moi après le travail, j’étais morte de fatigue. Aujourd’hui, j’ai encore de l’énergie pour faire quelque chose avec mes amis le soir.
Lauren Van Bever
Dans le travail à la maison, elle trouve enfin le calme pour à nouveau écrire des textes dont elle est satisfaite. “C’est ce que j’aime faire. Et cela me permet de gagner davantage qu’auparavant.”
A quoi ressemble son bureau, lui ai-je demandé à la fin de notre entretien. “C’est plutôt digne de Pinterest”, m’assure-t-elle. Un peu plus tard, elle m’a envoyé une photo de son lieu de travail sur Twitter. Il est en effet très soigné, pourvu d’un énorme planificateur et sans amoncellement de tasses de café vides.
“Et voici la mascotte de ma société”, envoie-t-elle, suivi d’une photo de son chien. “Il me tient compagnie. Ce n’est pas important pour votre article, je montre simplement volontiers des photos de mon chien.” La solitude, pas pour tous les freelances.
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