Comment une voiture de luxe prend vie
Les voitures qui peuplent le paysage aujourd’hui ont été conçues, pièce par pièce, par un designer automobile sur sa table à dessin. Un processus long et rigoureux dont on n’a pas toujours conscience mais que nous explique Christophe Vloebergh de Mercedes-Benz.
“Nous ne devinons pas le futur, nous le créons.” C’est le slogan de pas mal de concepteurs qui sculptent le paysage des rues de demain grâce à leurs designs. En effet, plus que tout autres, ils ont une emprise sur la voiture dans laquelle nous roulons ou le taxi que nous empruntons. Un emploi à portée très large donc, car la création d’une voiture est bien plus que la conception de la carrosserie: c’est la création d’une marque. Le chargé de presse de Mercedes-Benz, Christophe Vloebergh, nous donne un aperçu du processus de création d’une voiture de luxe et de l’avenir du design automobile.
Trends Style: Une voiture consiste en un nombre incroyable d’éléments. Concevez-vous tout séparément, ou toutes les parties cadrent-elles d’emblée dans un vaste ensemble ?
Vloebergh: Il y a bien sûr un chef design, Gorden Wagener, qui s’assure de la bonne marche du projet dans son ensemble. Il réunit l’ensemble de l’équipe au début du processus de création et la briefe sur les attentes, sur ce à quoi le résultat final devra ressembler. Les différentes équipes travaillent ensuite séparément, à l’intérieur du véhicule, à la carrosserie et aux technologies, mais tous se regroupent régulièrement de telle sorte que chacun se trouve sur la même longueur d’onde.
Comment se déroule précisément le processus de conception d’une Mercedes ?
Tout commence encore et toujours par un croquis sur papier, cela reste la base. Mais une fois que cette esquisse est approuvée, le design est transféré vers les ordinateurs, où le projet peut être affiné. Après approbation de plusieurs versions de ce projet naissant, une maquette est conçue. Le tout est ensuite sculpté en argile. De ces versions miniatures, nous en faisons en général trois ou quatre. Elles sont perfectionnées jusqu’à ce que l’équipe soit satisfaite du résultat. Ce processus s’applique d’ailleurs aussi pour l’intérieur de la voiture.
Si ce modèle est également approuvé, cette maquette est reproduite à l’échelle réelle. Une couche d’argile de deux centimètres est étalée sur un squelette en bois, et l’intérieur est également reproduit à taille réelle. Une étape passionnante, je trouve personnellement, car c’est un travail incroyablement minutieux. L’argile est travaillée avec de très fines spatules jusqu’à ce que le modèle soit précisément fidèle.
Comme l’ensemble des lignes et des angles d’éclairage ne sont pas visibles sur cette argile brune, l’argile est également humidifiée. Les concepteurs mettent ensuite une feuille d’aluminium sur la voiture de telle sorte qu’elle semble peinte en gris argenté et que les détails se remarquent mieux.
Cela semble un processus d’incroyablement longue haleine. Combien de temps dure l’ensemble de la trajectoire d’un tel projet ?
Ça dépend bien sûr d’une voiture à l’autre, mais l’ensemble du processus de création prend de toute façon des mois – et même plus longtemps pour certains modèles. Il est important de savoir qu’un design freeze est imposé, soit une deadline pour laquelle le projet doit être prêt pour aller en production. Et à partir de là, cela dure encore deux à trois ans avant que la voiture puisse effectivement circuler.
Pour donner un exemple, les designers passent énormément de temps aux buses d’aération sur le tableau de bord. Les cliquetis qu’elles font lorsque vous les tournez jusqu’à leur limite doivent être précisément corrects. Nous allons donc loin dans ces détails. Dans le design des sièges également, il y a beaucoup plus que la conception d’un produit esthétiquement beau. C’est le choix du cuir adéquat, des coutures, de l’emplacement des coussins d’air pour la fonction de massage. Dans l’ensemble de la firme, c’est dans le département design que l’attention du détail est le plus important.
Que se passe-t-il une fois le projet achevé ?
Les ingénieurs et la production commencent à tout préparer pour la fabrication effective de ces voitures. Celle-ci dure quelque deux à trois années. Pour un modèle de voiture qui arrivera dans quelques années sur le marché, le design est donc déjà terminé maintenant. Les profanes trouvent souvent cela étrange, car les designers automobiles définissent par là même le futur paysage de nos rues. Comme une voiture reste en moyenne quelque sept ans sur le marché, cela signifie qu’entre la fin du processus de design et le dernier parcours de la voiture il s’écoule dix ans. Les concepteurs doivent en tenir compte, de telle sorte que le modèle ne paraisse pas déjà dépassé après tout ce temps. Une sacrée responsabilité.
Les développements technologiques ont-ils modifié le processus de design ?
Ils l’ont surtout accéléré. Avec l’arrivée des logiciels appelés CAD/CAM (la technologie utilisée pour la conception et l’assemblage des produits, NDLR), cela prend maintenant beaucoup moins de temps de faire des adaptations. Grâce aux ordinateurs, l’amélioration d’un projet est devenue un jeu d’enfant.
Ensuite, il y a bien sûr aussi le reconnaissable logo de Mercedes, qui est confirmé sur le capot. Y tenez-vous encore beaucoup ?
De moins en moins ces derniers temps. Il y a quelques années, le logo était encore présent sur le capot de toutes nos voitures, mais nous l’intégrons maintenant plus souvent dans la calandre avant. Dans notre exercice de rajeunissement, nous remarquons que le logo dans la grille de calandre est beaucoup plus accepté.
L’équipe de design se range-t-elle surtout derrière cet exercice de rajeunissement ou est-ce tout de même plutôt le marketing ?
C’est essentiellement du design. Vous pouvez appréhender le marché avec un marketing extrêmement jeune, mais si vos modèles de voiture ne correspondent pas à cette image, vous n’êtes nulle part. Mais l’un ne va pas sans l’autre, bien sûr.”
Procédez-vous différemment lors de la conception d’une voiture d’une catégorie de prix moins chère que pour la conception d’un modèle plus cher ?
Il va de soi qu’un designer sait ce que l’on attend d’un projet lors de son démarrage. Lors de la conception de notre modèle de pointe, la classe S, d’autres éléments sont pris en compte parce que nous nous adressons à un autre groupe cible. Les personnes qui choisissent nos voitures les plus chères sont par exemple encore plus sensibles à la finition et aux détails. Mais le design est le design, et ce sont toujours les mêmes personnes qui travaillent aux projets.
Et le design technologique est aussi en plein essor. Quelles tendances voyez-vous émerger, aujourd’hui, à ce niveau ?
Pour le design technologique, il est important que l’interface continue à être d’actualité même après des années. Les gens n’ont également pas cessé d’accroître leurs attentes envers la technologie intégrée dans les voitures, on doit par conséquent y investir beaucoup d’attention et de temps. Nous avons aussi un département distinct pour cela aujourd’hui, ce qui en dit long.
L’évolution dans le design automobile doit bien sûr venir de quelque part. D’où les designers tirent-ils leur inspiration ?
La nature reste une énorme source d’inspiration pour pas mal de designers et elle est souvent utilisée comme fil conducteur dans la conception. L’architecture trouve aussi souvent son chemin vers le design automobile.
Y a-t-il dans ce contexte beaucoup de latitude pour la contribution personnelle, ou les créateurs doivent-ils se limiter du fait de l’héritage de la marque ?
Les concepteurs ne peuvent bien sûr pas complètement trahir la marque. Une Mercedes devra toujours un peu ressembler à une Mercedes, c’est un point de repère dont les designers doivent tenir compte. Mais ils reçoivent néanmoins toujours suffisamment de marge de manoeuvre pour expérimenter des nouveautés.
Gorden Wagener a ainsi introduit une ligne sur le côté de tous nos modèles il y a huit ans. Celle-ci commençait à la hauteur du rétroviseur latéral et était tirée jusqu’à la roue arrière. Mais l’innovation se situe aussi souvent dans les détails, et nous avons maintenant décidé de retirer cette ligne et de revenir à l’essentiel. Créer, c’est donc tenir compte des traditions, mais également oser briser d’anciennes coutumes pour les remplacer par quelque chose de mieux.
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