Alexandra Camby, Operational Director Rolls-Royce: «Je veux être plus humaine vis-à-vis de moi-même»

© Eva Verbeeck

Se rend-elle au Delhaize en Rolls-Royce? «Chez Aldi», corrige Alexandra Camby, Operational Director Rolls-Royce Motor Cars Brussels. «Vous préférez que je prenne un taxi pour aller au supermarché?»

Bien entendu, sa voiture et elle suscitent des regards étonnés. «Mais les Belges ne sont pas si jaloux. La mentalité est encore celle du ‘belle voiture, well done’.»

Si je peux me permettre, la Rolls-Royce n’est-elle pas le symbole d’un luxe un peu désuet?

ALEXANDRA CAMBY. «Regardez-moi. Il y a vingt ans, aucune femme ne vendait des voitures, et c’était encore moins probable qu’une femme soit à la tête d’une marque prestigieuse. Cela fait longtemps que Rolls-Royce n’est plus une voiture de vieux riches. C’est notre message: vous n’êtes pas obligé d’être habillé en tenue de ville pour entrer ici. Vous pouvez également venir en jeans et en baskets. Nos portes sont ouvertes, tout le monde est bienvenu. Nous accueillons également de plus en plus de jeunes gens, plus de femmes aussi, d’ailleurs. Ce n’est pas une question d’apparence. Conduire une Rolls-Royce est une passion, à condition, admettons-le, d’avoir les moyens d’en acheter une. Quand je suis chez moi, moi aussi je suis habillée en jeans, sans brushing et sans maquillage.»

JE NE SUIS SUPÉRIEURE OU INFÉRIEURE À PERSONNE. JE REGARDE TOUT LE MONDE DANS LES YEUX

Pourtant, vous fréquentez souvent ce que l’on appelle les hautes sphères. Comment cela se passe?

CAMBY. «Les gens en ont peur parce qu’ils doutent d’eux-mêmes. Quand j’avais 5 ans, mon père m’a dit quelque chose de très important. Nous vivions encore en Colombie et nous avions des employés de maison. J’ai dû dire quelque chose d’irrespectueux. Mon père m’a giflée, la première et la seule gifle qu’il m’ait donnée. Puis il s’est accroupi devant moi et m’a dit, mon père était britannique: «I don’t ever want to see you looking down or up to people. You look them in the eyes. Because you’re not more and you’re not less.» C’est bien d’être soi-même. Cela suscite l’intérêt des gens.»

QUAND JE CONDUIS EN ROLLS-ROYCE, JE CONDUIS PLUS LENTEMENT. JE N’AI PAS ENVIE D’ARRIVER À DESTINATION

En quoi la conduite d’une Rolls-Royce est-elle si exceptionnelle?

CAMBY. «Je vais vous parler de ma propre expérience. On retrouve le calme dans une Rolls-Royce. C’est du temps pour soi. Tout fonctionne parfaitement. Dans une Rolls-Royce, je me rends toujours compte que je roule plus lentement, j’ai tendance à rester sur la bande de droite pour prolonger le plaisir, je n’ai pas vraiment envie d’arriver à destination.»

Les gens achètent-ils une Rolls-Royce pour ce plaisir de conduire? Ou est-ce avant tout un symbole de statut social?

CAMBY. «C’est de moins en moins un symbole de statut social. Souvent, ce sont des gens qui estiment qu’ils travaillent dur depuis si longtemps qu’ils peuvent bien s’offrir ce plaisir. Ce n’est pas uniquement une voiture que l’on achète. C’est aussi le concept du service parfait. Nous établissons un lien avec nos clients. Je ne parle pas d’amitié, ce ne serait pas professionnel. Mais il y a de la sympathie et de l’empathie. Nous envoyons une carte ou des fleurs lors de l’anniversaire de nos clients ou lorsqu’ils sont hospitalisés. Autre exemple: nous répondons au téléphone même le dimanche. Nos clients sont souvent des gens qui travaillent beaucoup. Je connais cela. Moi-même, je règle les questions d’ordre privé en dehors des heures de travail, pendant la semaine, je n’ai pas le temps.»

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Je voulais justement vous poser une question à propos de votre équilibre travail-vie privée.

CAMBY. «Ne viser rien de moins que la perfection demande beaucoup de temps et d’énergie. L’année dernière, une situation m’a choquée. L’année dernière, une situation m’a choquée. À l’occasion d’un voyage d’affaires à l’étranger, je n’ai découvert qu’au bout de deux jours qu’il y avait un sauna dans mon hôtel. Je me suis dit que comme le lendemain était mon dernier jour, je pourrais m’accorder une petite demi-heure de sauna. Et devinez quoi? Je n’y suis jamais arrivée. Entre ma dernière réunion et le dîner, j’avais trois heures. Je suis arrivée dans ma chambre d’hôtel. J’ai appelé le bureau pour voir s’il y avait des questions. J’ai rappelé quelques personnes. J’ai lu et répondu à mes e-mails. Trois heures étaient passées sans que je m’en aperçoive. Cela m’a fait réfléchir.

CES REVERS M’ONT FAÇONNÉE, MAIS J’AURAIS PRÉFÉRÉ EN ÉVITER CERTAINS

Prendre plus de temps pour moi est l’une de mes résolutions pour 2023. Je veux être plus humaine vis-à-vis de moi-même. Ce que je fais pour mes clients et pour mes enfants suscite en moi une joie indicible. Mais si je veux continuer, je dois avoir plus de bon sens. Du temps pour soi, cela s’organise, on ne travaille pas moins bien pour autant. Un peu différemment, c’est tout. Je planifie mes voyages d’affaires autrement. Je pars parfois la veille. Ce n’est pas toujours évident quand on est la maman de deux enfants. Ils préfèrent que maman reste à la maison. Maman aussi, d’ailleurs. Je leur explique alors que maman a besoin de penser à elle de temps en temps. Quand elle se lève plus tard, c’est pour pouvoir mieux faire son travail et être une meilleure maman.»

Quelle est la réponse de vos enfants?

CAMBY. «Ils ne vivent pas sur un nuage. Ce n’est pas ainsi que je les élève. Ils comprennent déjà très bien les rouages de la vie. Je leur explique: rien n’est gratuit dans la vie, il faut travailler. Mon travail les met au contact du luxe. Je leur fais un cadeau de temps en temps. Mais je leur explique que c’est notre travail, ce n’est pas notre vie et, surtout, ce n’est pas LA vie. Nous faisons aussi des choses très ordinaires. Enfiler des bottes et faire une promenade. Ou aller à la plaine de jeux.»

Vous avez probablement toute une batterie d’employée de maison chez vous.

CAMBY. «Devinez qui fait le ménage chez nous! Moi! Au moins, c’est fait comme je veux. Et ça me détend, c’est une activité totalement différente. C’est aussi un bon exemple pour mes enfants. Maman ne fait pas que rouler en Rolls-Royce, elle fait aussi du travail manuel.»

Si vous en avez, que faites-vous de votre temps libre?

CAMBY. «Nettoyer, haha. Passez chez des amies pour prendre l’apéro et papoter. Je n’ai pas spécialement besoin d’aller au resto. J’y vais déjà assez souvent pour le travail. Je préfère rester confortablement chez moi. Avec des gens de tous horizons qui passent, et où chacun a le droit d’être soi-même. C’est mon côté colombien. Le sport aussi est une bonne façon de s’occuper de soi. Il fait disparaître le stress, il m’aide à réfléchir. Avant, je faisais beaucoup de boxe, je vais reprendre bientôt. Et en octobre, j’ai participé au marathon d’Amsterdam, tout à fait par hasard.»

Comment peut-on participer par hasard à un marathon?

CAMBY. «Mon patron m’en a parlé lors d’un dîner. Pourquoi pas? ai-je dit sans réfléchir, pensant que c’était une blague. Deux semaines plus tard, j’ai appris que j’étais inscrite au marathon d’Amsterdam le 16 octobre. J’ai dit à mon patron: «Il faut se préparer longtemps pour ce genre de choses, je n’ai pas le temps.» «C’est justement ce que je veux dire», a-t-il répondu. «Travaille un peu moins. Si tu veux courir l’après-midi, va courir. À 9 heures du soir, tu seras derrière ton ordi, quoi qu’il arrive.» Chez moi aussi, ils se sont demandé comment j’allais concilier cela avec mon planning de travail. Je m’y suis mise. Avant, je courais beaucoup. C’est déjà une base, le corps en a le souvenir. Sur les dix derniers kilomètres, je titubais plus qu’autre chose, mais j’ai terminé le marathon. Mon fils était fier. C’était aussi un peu pour lui, je voulais lui faire passer un message. Il avait peur de faire un exposé à l’école. Après Amsterdam, j’ai pu lui dire: ‘Tu vois? Quand on veut, on peut.’»

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D’où vient cette éthique du travail?

CAMBY. «J’ai eu une vie très singulière. J’ai vécu beaucoup de choses, des expériences très positives, mais aussi beaucoup d’expériences négatives dans le passé. J’ai été à l’orphelinat, et ce n’est là que l’un de mes petits traumatismes. Ce n’est pas un hasard si j’occupe cette fonction. J’ai travaillé d’arrache-pied pour y arriver. Avec ma tête et avec mes mains. Mais je suis aussi ici parce que des gens m’ont donné cette chance. J’ai été embauchée ici alors que j’étais enceinte de huit mois. Qui donne une telle chance à une femme si proche de l’accouchement? Combien de gens vendent des Rolls-Royce en Belgique? J’ai toujours eu l’habitude de me donner à cent pour cent. S’ajoute à cela le fait que je ne veux pas décevoir ceux qui me donnent de telles opportunités.»

Considérez-vous votre réussite d’aujourd’hui comme une revanche sur les traumatismes du passé?

CAMBY. «Ces revers m’ont façonnée, mais j’aurais préféré en éviter certains. J’essaie de trouver du positif dans tout ce que je vis et d’en tirer des leçons: sinon, on n’avance pas. J’ai également été façonnée par mes voyages: à 17 ans, j’ai entamé un tour du monde de deux ans. New York, en particulier, a été un terrain d’apprentissage. J’y suis arrivée avec 100 dollars et pas de billet de retour. Mais je n’oublie jamais d’où je viens. Je veux garder les pieds sur terre. Je ne me laisse pas imprégner de la douleur du passé, sinon on vit avec un cœur aigri et on le transmet aux autres. J’aurais envie de dire à certaines personnes: «Regardez ce que je fais et qui je suis devenue. Vous n’avez pas réussi à me briser.» Mais par-dessus tout, je ressens de la gratitude et de la fierté. Bien sûr, il y a une part de coïncidence. Je peux vous emmener dans des endroits en Colombie, où les gens n’ont aucune perspective d’avoir une vie meilleure. Mais pour autant, je ne minimise pas mon propre rôle. Je les ai saisies, ces chances.»

Quels rêves vous reste-t-il à réaliser?

CAMBY. «Enfant, quand je contemplais le monde extérieur par la fenêtre, j’avais cinq rêves. Un gentil mari — j’en ai un. Des enfants — aussi. Une maison individuelle — j’en habite actuellement une. Une montre coûteuse: acheter une Rolex était quelque chose de très personnel, cela me rappelait mon ancienne vie.»

«Mon cinquième rêve est encore à réaliser: une Porsche de mon année de naissance. 1982. Je suis fan de Porsche. C’est à mon père que je dois cet amour de l’automobile. Il aurait préféré avoir un fils, mais malheureusement, il a eu une fille. Je pense que je l’ai senti et que je me suis donc intéressée aux choses qui l’intéressaient. Je l’aurai un jour, cette Porsche de 1982. Chaque chose en son temps.»

Après cela, vous n’aurez plus de rêves.

CAMBY. «Ce qu’il y a de plus beau, c’est donner. Hier soir, j’ai eu une conversation avec l’une des deux jeunes filles ukrainiennes qui vivent avec nous. C’était un moment plein d’émotion. «Comment pourrai-je un jour te remercier pour tout ce que tu as fait pour moi?», a-t-elle demandé. «Aide les autres», ai-je répondu. Rendre la pareille à autrui, c’est une façon de me remercier. Si vous voyez quelqu’un pleurer dans la rue, donnez-lui un mouchoir ou une pièce, mais surtout, donnez-lui de l’attention. Aidez quelqu’un que vous n’êtes pas censé aider.»

«Aider les gens, c’est une chose que j’aimerais faire dans mon temps libre. Et plus tard, retourner en Colombie et y mettre en place des projets humanitaires. Construire des maisons, donner aux gens un endroit où être en sécurité. Des gens dont personne ne s’occupe. Je ne pourrai probablement pas donner une vie meilleure à cent personnes. Mais, qui sait, peut-être à dix ou vingt. C’est mon rêve pour plus tard. Et je vais le réaliser.»

Qui est Alexandra Camby (40 ans)

– Née en Colombie

– Elle arrive en Belgique à l’âge de 6 ans.

– Quand sa mère retourne en Colombie, elle est placée dans un orphelinat à Overboelare.

– Elle obtient son diplôme d’études secondaires en passant le jury central.

– Elle étudie la philologie romane.

– Au Salon de l’auto, elle travaille comme hôtesse pour Bentley qui lui propose un emploi.

– En guise de récompense pour ses résultats de vente, elle est la seule femme autorisée à participer à une course sur circuit pour Audi en Irlande. Elle gagne la course et y rencontre son mari, un excellent vendeur, comme elle.

– Elle se voit proposer un contrat de vendeuse par l’importateur de Rolls-Royce en Belgique.

– Après 3 mois chez Rolls-Royce, elle devient brand manager et après 6 mois directrice.

– Elle vit à Gand avec son mari et leurs deux enfants (un fils de 9 ans et une fille de 5 ans).

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