Art, force et mythologie : le sculpteur Florian Tomballe redonne vie aux dieux grecs et aux figures grotesques

Veste, gilet et jeans (Louis Vuitton, prix sur demande) Bottes en cuir (Fendi, prix sur demande)
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Il crée des figures imposantes, presque grotesques, en polystyrène, considère la salle de sport comme son deuxième bureau et associe le métier d’artiste à une bonne dose d’esprit d’entreprise : le sculpteur Florian Tomballe (36 ans) parle de son armée grecque antique, de la beauté et de la définition de la réussite.

J’ai grandi dans une famille d’artistes et j’ai été fortement influencé par mon père : il a sculpté pendant quelque temps, mais faisait surtout de la peinture. Le mercredi après-midi, il venait me chercher à l’école et je le rejoignais pour bricoler et dessiner dans son atelier. C’est là qu’est né mon sens de l’esthétisme tel qu’il est aujourd’hui : il peignait de manière très figurative, et ce qui m’impressionnait le plus, c’était son travail classique. D’immenses toiles inspirées de la mythologie grecque, avec des personnages à la musculature très développée. Un tableau de Vénus et Mars, par exemple, qui apparaissaient tels des bodybuilders sur une plage (rires). Il y avait toujours çà et là des magazines de culturisme dans son atelier, dont il s’inspirait pour exagérer la musculature de ses personnages.

Veste en cuir (Philippe Model 1 900 €). T-shirt (GCDS via Zalando, prix sur demande). Pantalon (Hugo, 119,95 €). Chaussettes (Falke). Mocassins en cuir (Filling Pieces via Zalando, 320 €)
Veste en jacquard (Fendi, prix sur demande) Gants, appartenant à Florian

« Enfant, j’aimais dessiner, j’étais d’ailleurs plutôt doué, et j’ai toujours eu l’impression que je suivrais ses traces et que je deviendrais peintre. C’est donc la voie que j’ai suivie à l’école des beaux-arts, jusqu’à un travail de modelage en dernière année : nous devions faire un autoportrait. En réalisant cet autoportrait, j’ai très vite compris que c’était ce que je voulais faire. J’ai senti que c’était mon moyen d’expression, qu’il correspondait à mon caractère, à mon tempérament. Au risque de paraître cliché, tout le monde a une certaine énergie, à laquelle correspond une certaine forme d’art. Il y a des gens qui sont très patients et d’autres qui ne le sont pas (rires) ; je me range dans la seconde catégorie. La peinture, un travail bidimensionnel, est beaucoup plus littérale. En avant, en arrière. Beaucoup moins éprouvante physiquement et moins émouvante que la sculpture. Ma décision était prise. »

Naturellement musclé

« La recherche d’une esthétique n’est pas un processus conscient. Vous pouvez faire des milliards de choses, les possibilités sont réellement infinies. J’ai toujours travaillé de manière très figurative et, en quittant l’académie, j’ai commencé à étudier l’anatomie humaine en autodidacte. J’ai acheté des bouquins, regardé des vidéos ; un sculpteur doit comprendre le corps humain. J’ai sculpté de manière assez classique pendant un temps, mais j’ai de plus en plus ressenti le besoin de plus de liberté. Le travail classique s’accompagne de toute une série de règles, et cela ne convenait pas à ma personnalité (rires). Je voulais travailler de façon intuitive, spontanée, personnelle. Peu à peu, mon esthétique a évolué : j’ai d’abord réalisé des sculptures géométriques, très anonymes ; des personnages sans visages, des mains sans doigts, par exemple. Après une visite au musée d’histoire de l’art à Oxford, où j’ai vu des moulages de statues grecques antiques, je suis immédiatement tombé sous le charme de ces kouros. C’est là que tout a commencé : j’en ai fait un, puis un autre. Pour moi, ce sont des personnages intemporels, universels aussi. J’ai parfois l’impression d’être face à des créatures d’un autre univers, je vois même un lien avec la science-fiction. Ce sont des êtres venus d’une autre planète, et ils ont atterri ici pour nous apprendre quelque chose (rires).

Combinaison, chaussettes et mules (Dior, prix sur demande)
‘J’ai senti que la sculpture était mon medium’florian tomballe

Combinaison, chaussettes et mules (Dior, prix sur demande)

« Je ne sais jamais à l’avance ce que je vais faire, l’inspiration vient sur le moment. J’ai toujours plusieurs blocs de polystyrène à disposition. Naturellement, leurs proportions me donnent déjà une certaine direction. Si je travaille un bloc long et étroit, j’en fais automatiquement un personnage à la verticale, par exemple.

Combinaison, chaussettes et mules (Dior, prix sur demande)
Combinaison, chaussettes et mules (Dior, prix sur demande)

« Je commence par dessiner, en utilisant une face du bloc comme s’il s’agissait d’une feuille de papier ; j’y dessine une composition ou les contours d’un personnage. Ce sont mes lignes de démarcation, à partir desquelles j’approfondis. Peu à peu, le personnage évolue et devient quelqu’un, dont je ne connais jamais l’identité à l’avance. Une image qui prend vie, c’est un peu comme la naissance d’un enfant : tout à coup, cet être humain est là, et c’est un sentiment de bonheur. Plus encore : j’ai constaté que cette ruée vers une nouvelle représentation est une sorte d’addiction. »

Joie de vivre

« Je sculpte surtout des hommes, mais depuis peu, je sculpte également des femmes. À mes débuts, je ne m’y aventurais pas. En tant qu’homme, je base mon travail sur ma propre image mentale. De plus, j’aime les corps musclés, et peut-être que les muscles sont malgré tout plus masculins ? En tout cas, à la salle de sport, je vois principalement cette musculature surdéveloppée chez les hommes (rires). Mais surtout, j’avais peur de représenter des femmes, car je ne voulais pas les enlaidir. J’aime les belles femmes ; je ne me voyais pas en faire des personnages grotesques. Mais depuis, j’ai franchi le cap. Il y a quelques statues de femmes ici, et on ne peut pas dire que ce sont des Miss Belgique, n’est-ce pas ?

florian tomballe
Polo en coton (Polo Ralph Lauren via Zalando, 180 €). Jean cargo « Julianne » (Guess, 150 €). Chaussettes (Falke). Mocassins en cuir (Filling Pieces via Zalando, 320 €)
‘J’ai récemment franchi le cap de sculpter aussi des femmes’florian tomballe

florian tomballe
Pull en laine (AZ Factory via Zalando, 575 €). Pantalon en laine, (AZ Factory via Zalando, 585 €). Montre « Spirit Flyback » en or rose 18 carats et acier (Longines, 6 850 €)

« Mais quelles que soient les distorsions, les déformations et même la laideur, je crois qu’il y a toujours une certaine légèreté dans mon travail, une joie de vivre que je trouve très importante dans la vraie vie également. Pablo Picasso, l’un de mes grands modèles, avait un véritable amour de la vie, et cela se ressent même dans une œuvre tragique comme Guernica. Ce contraste entre le lourd et le léger, qui est aussi présent littéralement dans mes sculptures, est intéressant à travailler. »

Sculptures et business

« Pendant de nombreuses années, j’ai travaillé comme barman dans un bar. Je sculptais pendant mon temps libre. Déjà à l’époque, je disais que j’étais sculpteur. Je ne pouvais pas me résoudre à parler de ma sculpture comme d’un hobby ; elle occupait déjà une place bien trop importante dans ma vie. Mais je travaillais dans un bar et je ne me souciais pas du tout de la visibilité de mon travail, et encore moins de l’aspect commercial. Pas que je n’avais pas confiance en ce que je faisais, mais ce n’était pas à l’ordre du jour. On le sait, la plupart des artistes ne vendent rien et restent pauvres (rires). D’ailleurs, dans le fond, la vente m’importe peu : si on m’abandonnait sur une île déserte demain, je continuerais à sculpter. C’est une nécessité, presque un besoin compulsif : si je ne sculpte pas, je ne me sens pas bien.

florian tomballe
Manteau en laine (Hermès, 4 900 €). Cardigan en cachemire et alpaga (Hermès, 2 950 €). Pantalon, cuir de veau (Hermès, 8.500 €). Bottes en cuir (Hermès, 1 900 €)

« Un jour, mon père a organisé chez lui une exposition collective avec mes deux frères. J’ai aidé à la mise en place et à l’organisation, et à la toute fin, j’ai exposé mes réalisations. Elles semblaient susciter un certain intérêt, et les gens ont même demandé une liste de prix (rires) – je n’en avais pas, mais j’ai senti qu’il y avait quelque chose à faire.

‘Je me sentais artiste accompli avant même de vendre une sculpture: j’étais libre et que je faisais ce que je voulais’florian tomballe

« J’ai convenu avec le patron du bar de prendre quelques mois de congé pour me consacrer à la sculpture et tout ce qui entoure le travail de sculpteur. Je contactais des galeries, je cherchais des expositions. Ces quelques mois se sont transformés en six mois et, finalement, je ne suis jamais retourné travailler au bar. Aujourd’hui, je vis entièrement de mon art. Outre la sculpture, je suis bien sûr très occupé par des tâches annexes. Entretenir mes contacts, organiser des rendez-vous, assurer la logistique après-vente, surveiller mes finances, répondre aux e-mails : je dois désormais gérer tout cet aspect pratique, ce qui fait que je passe moins de temps dans mon atelier.

« Mais je n’ai pas peur de penser en termes commerciaux, et le cliché de l’artiste assis sur son petit nuage, c’est vraiment un cliché (rires). Je n’ai pas besoin d’un rituel pour me mettre au travail. Je peux facilement m’interrompre, me consacrer à autre chose et puis reprendre là où j’en étais. Je n’ai pas non plus d’illuminations, ni un besoin irrépressible de travailler à un instant T parce que je viens d’avoir une idée. Je ne garde pas un carnet de croquis sur ma table de nuit au cas où j’aurais une inspiration nocturne.

florian tomballe
Montre « GMT-Master II » avec bracelet Jubilee et acier Oystersteel (Rolex, 11.350 €). Pull en laine et soie (Fendi, prix sur demande). Pantalon cargo en coton (Han Kjøbenhavn via Zalando, 310 €)

« L’aspect commercial de la sculpture réside également dans le luxe de pouvoir travailler en éditions. C’est-à-dire que les œuvres originales, réalisées à la sueur du front de l’artiste, peuvent rester avec moi. Je ne vends que des éditions, en édition limitée d’ailleurs. En France, c’est inscrit dans la loi : on ne peut vendre qu’un maximum de 12 éditions d’un original. Ici, c’est un peu plus libre, mais il est évident qu’un client ne veut pas d’une sculpture dont il existe une infinité d’exemplaires ; il faut trouver l’équilibre entre le commercial et le trop commercial. »

Bloc de construction

« Lorsque l’on vit de l’art, on se voit soudainement contraint de produire, mais je n’ai pas peur de manquer d’inspiration. Une idée finit toujours par émerger, d’autant plus que l’antiquité grecque dont je m’inspire est une source d’inspiration inépuisable. C’est là, pour moi, que la sculpture occidentale est née, et il y a encore tant à découvrir. Je reviens d’un voyage en Grèce, juste pour m’imprégner de l’atmosphère, observer l’environnement, m’immerger dans cette culture. Je ne m’en lasse pas, notamment parce que je ressens un lien entre ces personnages grecs et le monde d’aujourd’hui. La salle de sport est mon deuxième bureau, et ce que j’y vois, c’est un fil conducteur : la préparation du corps. Être en forme, avoir un corps taillé, prêt à aller au combat. En y réfléchissant, peut-être que je façonne une sorte d’armée grecque grotesque (rires), mais c’était comme ça à l’époque : un corps de brindille ne servait pas à grand-chose dans l’arène, hein. » »

Liberté

« Je me considérais comme un artiste accompli avant même d’avoir vendu une seule sculpture. Tout simplement parce que j’étais libre et que je faisais ce que je voulais. Quelle que soit la reconnaissance qu’obtient un artiste, pour moi, cette liberté est le Saint Graal. D’ailleurs, au départ, tout artiste est libre. Puis arrive le succès insidieux : vous exposez dans les bonnes galeries et vous vendez bien, mais vous devez produire, et de préférence selon les dictats du marché. La liberté devient alors somme toute relative, puisque vous dépendez en partie de vos clients. Vient alors l’étape suivante : vous êtes tellement célèbre que tout ce que vous touchez devient commercialisable. Il faut parcourir tout ce chemin pour retrouver la même liberté qu’au début. S’amuser, expérimenter, faire ce que l’on a envie de faire : pour moi, c’est ça, la réussite.

florian tomballe
Lunettes (Tom Ford, 365 €). Cardigan en alpaga « Roberto » (Octobre Editions, 165 €). Pantalon en velours côtelé (K-WAY , 250 €). Chaussettes (Falke). Chaussures à enfiler (Moon Boot via Zalando, 165 €)
florian tomballe
Pull en laine, pantalon, chaussettes et chaussures en cuir (Prada, prix sur demande)

« L’argent n’est pas un moteur, et certainement pas la définition de la réussite. Honnêtement ? Je rêve d’avoir assez d’argent pour acheter une villa dans une montagne en Grèce, avec un grand atelier attenant. Mais si je n’ai pas les moyens, tant pis. Je retournerai travailler au bar. L’objectif ultime n’est pas d’être riche ou célèbre dans le monde entier. Mon ambition est d’être un meilleur artiste demain qu’aujourd’hui. »

floriantomballe.com

Florian Tomballe

Florian Tomballe (né en 1988) vit et travaille à Anvers. Il partage sa vie avec sa compagne et leur fils, Romeo.

Il est titulaire d’un master en sculpture de l’Académie royale d’Anvers et explore le corps humain au travers de son travail.

Son style associe le cubisme à des éléments de la Grèce antique, en particulier le kouros grec.

Il s’inspire des œuvres de Bracke, Picasso, Permeke et de l’expressionnisme et du modernisme flamands. Informations sur les expositions et les œuvres : floriantomballe.com

PAr Els Keymeulen IMAGES Vincent Van den Dries Stylisme et production : Jan A.R. Bries

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