C’est toujours le printemps dans l’œuvre de Nel Maertens

En ces jours sombres, l’univers de Nel Maertens — en ce moment à Gand — est peut-être ce qu’il nous faut : une œuvre joyeuse, assumée, esthétiquement forte, mais surtout porteuse d’un regard conscient sur le monde d’aujourd’hui.

Un tapis de fleurs en pigments. Un bourdon en bois. Des dessins pastel de paysages idylliques. À première vue, on pourrait croire que l’artiste Nel Maertens (29 ans) a besoin de verdure pour créer. Et pourtant, son atelier — notre lieu de rendez-vous — ne se trouve pas à la campagne, mais dans l’ancien hôpital Stuivenberg, au nord d’Anvers. Un bâtiment qu’elle partage avec une vingtaine d’autres artistes. « Mais j’ai supplié pour avoir le seul atelier avec vue sur un arbre », dit-elle en riant.

Le parcours de Nel Maertens n’a rien de linéaire. Formée en design de mode à la prestigieuse Académie royale des Beaux-Arts d’Anvers, elle sort diplômée en 2019 avec une collection réalisée en collaboration avec le duo de peintres belges Flexboj & LA — une œuvre déjà très visuelle, où transparaissait son attrait pour les arts plastiques. Après ses études, elle effectue un stage chez Courrèges, l’emblématique maison française. Mais la pandémie met fin à l’expérience. Elle quitte Paris et retourne dans la maison familiale à Zele, en Flandre-Orientale. Là, elle recommence à dessiner, comme avant. Dans le grand jardin, bien sûr. « Ce fut une bouffée d’air, confie-t-elle. Avec le recul, je peux l’admettre : j’y ai pris plus de plaisir que je ne le pensais. »

Aujourd’hui, elle décrit sa pratique artistique comme une forme de « jardinage », un travail vivant qui demande soin et attention.Comment « jardiner » une œuvre au cœur de la ville ? « En sortant régulièrement, explique-t-elle. J’ai pris l’habitude de travailler en plein air plusieurs fois par an, souvent avec des amis artistes. Je m’assieds sur un petit tabouret ou dans l’herbe et je dessine ce que j’ai sous les yeux, de manière assez expressionniste. Ensuite, je poursuis le travail à l’atelier. »

Une artiste, pas une ermite

Sa carrière prend son envol en 2021, quand le CC Strombeek lui consacre sa première exposition solo. Depuis, elle multiplie les projets : une performance de dessin en direct au KMSKA, un « jardin de rêve » créé avec 150 enfants sur le toit du MoMu, des costumes pour des spectacles de danse et une collaboration avec le label anversois de bijoux Woche, pour une série de broches et boucles d’oreilles. « Ces collaborations sont essentielles pour moi, dit-elle. Dès qu’on me propose un projet commun, mon imagination s’emballe. Le cliché de l’artiste solitaire ne me correspond pas. J’ai besoin d’échanges, de regards extérieurs. Cela m’aide aussi à lâcher prise, ce qui n’est pas toujours facile. »Elle sourit : « Mais les moments seule dans mon atelier me font aussi du bien. Sur ces 30 m2, il n’y a pas de place pour le compromis. C’est exigeant, mais apaisant à la fois. »

Des débuts dessinés

« C’est un cliché, mais dès que j’ai su tenir un crayon, je n’ai plus arrêté de dessiner, raconte Nel Maertens lorsqu’on lui demande comment tout a commencé. Avec ma sœur, enfants, nous faisions de grands collages à partir de nos dessins ou nous découpions des personnages pour créer des familles imaginaires. Nous avions beaucoup d’imagination et nous y trouvions un vrai plaisir. »

Les magazines de mode attiraient déjà son attention : « Je regardais — et je le fais encore — les pubs beauté dans les magazines. La manière dont on y représente les femmes m’a toujours fascinée, de manière très intuitive : leur regard, mais aussi leurs vêtements. Zele n’est certainement pas une capitale de la mode, et ce n’était pas un lieu très inspirant à cet égard. Aujourd’hui, je m’habille de façon plus discrète, mais avant, je portais des tenues assez marquantes, ce qui faisait parfois parler dans le village. Ce qui ne me dérangeait pas du tout. »

Avec un grand-père architecte, une grand-mère peintre et une mère violoniste, la créativité coule dans ses veines. Son père, lui, travaille dans la gestion des paysages. C’est aussi lui qui a nourri sa passion pour la nature. « Il tient un journal du printemps, dans lequel il note tous les signes annonciateurs de la saison. Même quand on ne la ressent pas encore. Le premier bourdon, par exemple, c’est une indication. »
Militance subtile

Le sol de son atelier est jonché d’œuvres prêtes à être exposées dans sa prochaine exposition solo, « In Bloom », à la Rufus Gallery de Gand. Nous passons devant une marguerite peinte, un papillon de feu sur un panneau de bois, puis contournons avec précaution deux tableaux représentant des chaussures sur lesquelles sont cousues des fleurs en textile. Un clin d’œil évident à son ancienne vie de créatrice de mode. « Bien sûr, c’est toujours là, en moi : cette inspiration venue du textile », confie-t-elle.

L’exposition présentera également une nouvelle version de son installation éphémère Semer et récolter (Zaaien en Oogsten), réalisée in situ à l’aide d’un petit entonnoir rempli de farine de blé et de pigments colorés pour composer d’immenses tapis de fleurs. Une manière poétique de réfléchir à la durabilité et à la fragilité de la faune et de la flore dans les environnements urbains.

« Je recrée cette installation à chaque fois dans un nouvel espace, en essayant toujours d’établir un lien avec la nature locale. Il y a tant d’endroits remplis de vie que les gens ignorent. Les talus, les bas-côtés de la route, par exemple. C’est ma façon d’y prêter attention. Je suis concernée par le monde et je pense qu’un artiste doit être dans le monde. Mais si j’agis de manière militante, ce sera toujours avec subtilité. »

Nel Maertens est une artiste multidisciplinaire, impossible à enfermer dans une seule pratique. Elle dessine et elle peint, de manière abstraite comme figurative, avec des matériaux durables ou éphémères, parfois en mots, parfois en images, parfois sous forme de collage. Malgré cette diversité, son œuvre reste cohérente, portée par des motifs récurrents : la couleur, les fleurs, la lumière.

Ces dernières occupent une place si essentielle qu’on ne peut s’empêcher de penser à Georgia O’Keeffe, qui peignait sans cesse des fleurs.Nel Maertens connaît bien son travail : « Il y a énormément de sensualité dans ses tableaux. Cela me pousse à me challenger : jusqu’où puis-je aller dans la représentation des fleurs ? À quel moment deviennent-elles purement décoratives ? Une de mes inquiétudes, c’est que les gens réduisent mon travail à son apparence joyeuse et colorée. Je marche sur une corde raide, mais je trouve cette tension intéressante. Peindre des fleurs encore et encore, c’est une forme d’activisme discret. L’art qui rend heureux est souvent jugé superficiel, à tort. Cela peut sembler cliché, mais une belle fleur au bord de la route, c’est du plaisir pur. Comme la symbolique du printemps : l’éveil du positif après un long hiver gris. Ou ce premier repas dehors : c’est un moment clé de l’année. »

Marilyn, Samantha, ma sœur et moi

Et puis il y a les figures humaines qu’elle représente : le plus souvent des personnes qu’elle connaît.Dans ses carnets de croquis reliés à la main — dont certains fragments seront exposés à Gand — apparaissent ses amis proches. « J’aime être une observatrice de leur vie, autant en mots qu’en images », explique-t-elle.Est-ce qu’ils apprécient toujours d’être dessinés ? « Parfois… », répond-elle en riant.

Les toiles encore accrochées aux murs de son atelier représentent presque toutes des femmes. « Je ne dessine que très rarement un homme, tout simplement parce que ça ne m’intéresse pas (elle éclate de rire). J’ai toujours peint des femmes, en partant de mon propre visage, de mes émotions. » Mais ces figures évoluent au fil du processus. Elle montre un portrait d’une femme en blazer, blonde, lèvres rouges : « À la base, c’était un autoportrait. Puis c’est devenu Marilyn Monroe, avant de se transformer en Samantha de Sex and the City. Mais un autoportrait peut aussi devenir ma sœur, ou une figure historique. Cela tient à des détails : un regard, une coiffure, un geste. »

La représentation de la femme prend une place grandissante dans son œuvre. « Ces derniers temps, je lis beaucoup sur le féminisme, j’écoute des podcasts sur le sujet. Évidemment, cela influence mon travail. Ce qui me parle particulièrement, c’est le concept de wobbly feminism — féminisme “chancelant” — inventé par la réalisatrice indienne Payal Kapadia, qui dit vouloir montrer des femmes imparfaites, hésitantes, confuses. Cela me touche : comment représenter les femmes sans les figer dans une idée de perfection ? »

Elle poursuit : « On m’a offert une boîte remplie de magazines féminins des années 1950. Ils parlent tous de comment plaire à un homme, comment être belle pour lui. Cela m’aide à mieux comprendre la façon dont mes grands-mères voyaient le monde. Les artistes du pop art comme Tom Wesselmann ou Allen Jones m’intéressent aussi pour cela : je réinterprète leur male gaze et je me questionne dessus. »

Et ainsi, chez Nel Maertens, les fleurs, les abeilles et la nature humaine forment un terrain fertile pour le travail d’une artiste en pleine éclosion.

par Cara Brems Photos Charlotte Van Noten

Les photos ont été prises lors de l’exposition de Nel Maertens à la Rufus Gallery.

« In Bloom », Rufus Gallery, Gand : Exposition de Nel Maertens jusqu’au 23 novembre. Dans le cadre du Virginia Woolf & Bloomsbury Festival (les 5, 6 et 7 décembre à De Studio, à Anvers), Nel Maertens a créé, avec d’autres artistes, une collection en édition limitée de vaisselle, linge de table et foulards, également proposés à la vente.

Plus d’informations sur rufus.gallery et destudio.com

Nel Maertens

. Naît à Zele en 1996.
. Vit et travaille à Anvers.
. Diplômée en 2019 d’un master en mode à l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers.
. Artiste visuelle, elle réalise dessins, peintures et installations éphémères.
. Est également créatrice de costumes et de textiles.
. A mené des projets artistiques au KMSKA, au MoMu et à la Maison Rubens.
. En 2024, a lancé, avec le label de bijoux Woche, la collection When Woche meets Nel, une série de broches et boucles d’oreille.

En savoir plus

À la recherche de la japow : notre journaliste est allé skier au Japon
The bold type : Temerario est la nouvelle super-hybride de Lamborghini
Bernard Dubois est plus qu’un architecte spécialisé dans le commerce de détail : « Quand on est en ville, une boutique doit offrir un moment de silence, pas l’inverse »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire