Diane Hennebert : « Le patrimoine fait partie de notre identité. Je veux que les gens en perçoivent la valeur »

De l’Atomium à la Villa Empain, partout où Diane Hennebert passe, elle redonne souffle et éclat à la gloire d’antan.Son dernier projet ? Le Pavillon chinois, qui, grâce à 8 millions d’euros de dons, devrait redevenir un palais sans égal.

Quand on entre dans Bruxelles par Laeken, un étrange édifice attire le regard le long de l’avenue qui mène au palais royal. Son toit, qui émerge du feuillage du parc, semble tout droit sorti d’un autre monde. Les passants regardent, circonspects : serait-ce un mirage ou une sorte de parc d’attractions ? Les grilles qui entourent ce bâtiment exotique laissent croire que le lieu est oublié. « Fermé définitivement », peut-on même lire en ligne. Mais c’était compter sans Diane Hennebert. La baronne belge, qui se présente elle-même comme la femme de ménage de notre patrimoine national, s’est penchée sur cette ruine. Le Palais chinois (plus connu sous le nom de Pavillon chinois) est le dernier d’une longue série de monuments en déshérence qu’elle s’efforce de ressusciter, avec l’aide de généreux mécènes venus de Belgique et d’ailleurs. Pas par intérêt personnel, mais par amour du pays. « Je ne suis pas payée pour ça, hein. Je le fais pour mon pays, pour les gens, pour notre histoire. Et surtout pas par charité — c’est tellement condescendant. Je le fais pour le bâtiment lui-même. »

Rêve de Chine

Nous sommes en 1900. Léopold II, roi des Belges, visite l’Exposition universelle de Paris. Là, il s’émerveille devant Le Tour du Monde, un ensemble de pavillons asiatiques conçus par l’architecte français Alexandre Marcel. Conquis, le tristement célèbre souverain le convoque à Bruxelles à son retour et lui commande un pavillon chinois et une tour japonaise dans son jardin, tout près du château de Laeken. Il ne verra jamais son rêve entièrement réalisé : le roi meurt en 1909, un an avant l’achèvement de ce projet mégalomane. « Son idée était d’y installer un restaurant, un club réservé aux relations commerciales », explique Diane Hennebert, en nous guidant à travers ce qu’il reste, 125 ans plus tard, de ce rêve fiévreux d’Extrême-Orient. « L’intérieur est d’un éclectisme fascinant, un mélange de styles et de cultures. En bas, par exemple, on trouve un salon chinois décoré… en faïence de Delft. C’est toute la vision européenne de l’Asie à l’époque. »

Selon Diane Hennebert, peu de choses ont réellement disparu. Même la maquette du bâtiment a été retrouvée, il ne manquait que quelques éléments. Réalisée à la demande d’Alexandre Marcel par des artisans de Shanghai, elle impressionne par sa taille (trois mètres de long, un mètre quatre-vingts de haut) et la finesse de sa sculpture sur bois. Presque aussi spectaculaire que l’original. « Avant de restaurer le bâtiment, nous avons d’abord restauré la maquette, précise Diane Hennebert. Elle est désormais exposée au Musée Art & Histoire du parc du Cinquantenaire. »L’inauguration du nouveau Pavillon chinois est prévue pour le printemps 2028. « Ce que j’ai fait pour l’Atomium et pour la Villa Empain, je veux le refaire ici. Le patrimoine fait partie de notre identité. Je veux que les gens en comprennent la valeur. »

Rebel with a cause

Diane Hennebert n’a pas commencé sa vie en baronne, mais en rebelle. Fille d’une famille aisée, elle eut la chance d’étudier sur la côte Est des États-Unis. C’est là, au Philadelphia Museum of Art, qu’elle découvre l’œuvre de Marcel Duchamp. « Je venais d’une famille de médecins et d’ingénieurs, et j’étais censée suivre la même voie. Mais à mon retour des États-Unis, j’ai dit à mon père que je voulais étudier la philosophie. Il m’a demandé pourquoi. J’ai répondu : “— Pour comprendre quelque chose.— Comprendre quoi ?— Marcel Duchamp.” »

Son père refusant de financer ses études, elle quitte la maison. Avec quelques amis, elle trouve refuge dans un bâtiment occupé, propriété… de la Commission européenne. Quand celle-ci décide de le démolir, Diane et toute la communauté se mobilisent. « Ce fut le premier bâtiment que j’ai contribué à sauver », raconte-t-elle avec un sourire. Le titre de baronne ne viendra que bien plus tard, en 2018, en reconnaissance de son travail philanthropique et pédagogique. Car en plus d’être la gardienne de notre patrimoine, Diane Hennebert est aussi directrice d’Out of the Box, un programme éducatif qui aide les jeunes sortis du système scolaire à obtenir leur diplôme. « Ces jeunes sont un cadeau. Le plus beau, c’est de les voir grandir et réussir. Certains étudient aujourd’hui à l’université ou en haute école. On ne les reconnaîtrait presque plus. » La dernière promotion d’élèves a même participé à la remise en état du Pavillon chinois : « Pendant deux jours, ils ont aidé à nettoyer le site. Ce genre de lieu les fait rêver de civilisations perdues et d’époques révolues. »

Diane Hennebert voit grand. Elle imagine des expositions, des concerts, un salon de thé installé dans une serre sur le balcon et même des tuktuks électriques pour relier le Pavillon à l’Atomium, son tout premier chantier. « Pour restaurer l’Atomium, il a fallu 30 millions d’euros, pour la Villa Empain, 19 millions, ici “seulement” 8. On va y arriver. » Le Pavillon chinois, propriété de la Donation royale et géré par la Régie des bâtiments, bénéficiera d’un cofinancement public. Mais la majeure partie des fonds provient du privé. « Nous avons contacté 250 entreprises belges actives en Chine et dans le reste de l’Asie.

L’ambassadeur de Chine est déjà venu plusieurs fois ; il est très enthousiaste, tout comme le ministre Jan Jambon, en charge de la Loterie nationale. Nous avons leur soutien. »

Le vœu royal

Malgré les problèmes de stabilité et les dégâts des eaux qui fragilisent l’édifice, l’intérieur demeure une merveille. Comme une ruine précieuse, le Pavillon révèle peu à peu ses secrets : un salon tendu de soie rouge, une salle ornée de broderies japonaises et chinoises, des toilettes Art nouveau, un escalier en marbre belge. « Le même marbre qu’à Versailles et au Vatican. Aux XVIIIe et XIXe siècles, c’était le matériau le plus précieux. Ce n’est pas un pavillon, c’est un palais ! À l’époque de Léopold II, la Belgique était riche, hein. Il y a beaucoup de débats sur son rôle et je les comprends. C’était un personnage controversé, mais on ne peut nier qu’il avait de l’ambition et une vision. Il faut continuer à en parler, pour ne pas oublier les leçons du passé. » La famille royale actuelle suit d’ailleurs le projet de près : la reine Mathilde en est la présidente d’honneur. « Nous collaborons avec la Régie des bâtiments, qui a tant bien que mal entretenu le lieu depuis sa fermeture en 2013. Deux de ses membres siègent au conseil d’administration de notre ASBL Le Palais chinois et des pays des routes de la soie. Le terme “Pavillon” est dépassé : la Chine construit aujourd’hui une nouvelle Route de la soie. Tout cela est politiquement chargé. Vous pouvez désormais l’appeler le “Palais” chinois. »

À 68 ans, Diane Hennebert se dit prête à passer le flambeau. Qui prendra la relève de la baronne, une fois le site réouvert au public ? Elle l’ignore encore, même si elle a une suggestion : « Peut-être que l’État pourrait faire quelque chose, pour que ce ne soit pas toujours à “la baronne” de s’en charger. Je ne peux pas éternellement demander des dons à mes contacts. Bientôt, les gens s’enfuiront en me voyant arriver (rires) ! »

par Catherine Kosters Photos Alexander D’Hiet

Diane Hennebert

. Naît au Congo belge. À 6 ans, s’installe avec sa famille à Anvers. Vit aujourd’hui à Bruxelles.
. Étudie la philosophie à la Vrije Universiteit Brussel.
. Est à la direction de, successivement, le Botanique à Bruxelles, le Centre Wallonie-Bruxelles à Paris et la Fondation pour l’Architecture à Bruxelles.
. De 2004 à 2006, supervise la restauration de l’Atomium.
. En 2007, prend la tête de la Fondation Boghossian et conduit la restauration de la Villa Empain.
. Depuis 2015, est directrice d’Out of the Box, atelier pédagogique bruxellois destiné aux jeunes en décrochage scolaire.
. En 2018, est anoblie et reçoit le titre de baronne.
. Est aujourd’hui la force motrice derrière la restauration du Palais chinois, plus connu sous le nom de Pavillon chinois.

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