En endossant un article de son porte-plume, Theo Francken montre sa préférence pour l’arsenal militaire américain. Mais cela laisse peu de place désormais à un partenariat belge sur le SCAF, l’avion furtif européen.
Quand un ministre de la Défense, le N-VA Theo Francken, décide de retweeter l’opinion personnelle de son porte-plume, Joren Vermeersch, il ne fait pas qu’approuver une chronique dans De Standaard. Il envoie un signal. En endossant une ode à l’arsenal militaire américain, le ministre de la Défense paraît ne pas faire grand cas de la volonté européenne de vouloir assumer un peu plus sa souveraineté militaire.
Se mettre hors-jeu
Dans sa colonne, Joren Vermeersch estime que « ceux qui refusent la technologie militaire américaine se mettent eux-mêmes hors-jeu ». Et il jette une belle pierre dans le jardin français.
« Un seul pays européen refuse de s’engager dans des partenariats avec l’industrie américaine de la défense, poursuit le communicant de Theo Francken. Tel un village gaulois encerclé par des Romains en colère, la France tente de préserver son autonomie nationale dans le domaine de l’industrie de la défense. Le résultat de cet isolationnisme technologique ? Des systèmes d’armement plus coûteux et de qualité inférieure, moins faciles à intégrer à ceux de ses alliés européens ».
Après cela, si nous demandons encore à faire partie du projet de l’avion du futur européen, le SCAF, c’est que nous sommes schizophrènes. Que le projet SCAF batte de l’aile, en raison du tirage qui existe entre les partenaires français et allemand, n’est pas un secret. Et que le patron de Dassault Aviation, furieux de voir la Belgique choisir le F-35, rejette toute présence belge dans la deuxième étape du programme est de notoriété publique. Mais l’argument peut s’appliquer aussi au projet concurrent, le Tempest, qui réunit Royaume-Uni, Italie et Japon. Il n’y a pas que la France, en effet, à réfléchir à sa souveraineté.
Cependant, pour Joren Vermeersch, « les États-Unis sont et restent l’arsenal de la démocratie ». Il paraît ne pas trop s’inquiéter de la route politique que prend l’administration américaine, avec la garde nationale dans les rues, une police anti-immigration d’une brutalité inouïe et un président affirmant : « Dans quatre ans, vous n’aurez plus besoin de voter. »
Une question de souveraineté
Qu’on nous comprenne bien. Aujourd’hui, Joren Vermeersch et Theo Franken ont raison de dire que le F-35 est un des meilleurs avions de chasse au monde (ce qui est vrai, surtout en ce qui concerne sa furtivité qui est de loin supérieure à celle du Rafale français qui se fait accrocher par les radars bien avant l’avion américain). Même s’il est fragile : un des quatre F35 qui devaient atterrir à Florennes n’a pas pu, il a dû faire une escale inopinée dans les Açores en raison de problèmes techniques.
Joren Vermeersch rappelle aussi à raison l’erreur du gouvernement Verhofstadt – André Flahaut (PS) était alors ministre de la Défense, qui n’a pas jugé bon d’entrer en 1999 dans le programme commun lancé par Lockheed Martin. Avec pour conséquence qu’une partie des retombées du programme sont allées ailleurs que chez nous.
Mais le problème est de savoir si l’on veut simplement du matériel ou si, en termes de défense, il n‘y a pas non plus, à terme, un enjeu de souveraineté, nationale et européenne. La Belgique peut faire voler ses F-35 sans les États-Unis – les pilotes peuvent décoller et effectuer des missions autonomes – mais la maintenance, les mises à jour logicielles et l’approvisionnement en pièces de rechange sont étroitement liés au système américain. Israël est le seul pays tiers qui dispose d’un F-35 intégralement souverain et autonome. Le fait de dire que certaines pièces de l’avion sont fabriquées ailleurs qu’aux États-Unis, ce qui rendrait la dépendance réciproque, est un peu léger : il n’y a aucun doute que la puissance industrielle américaine puisse rapidement suppléer au retrait d’un partenaire étranger. L’inverse n’est pas vrai.
Que l’Europe, en raison de son absence de vision, ait laissé filer l’avance technologique américaine, dans le numérique et dans la défense, c’est indéniable. Que nous soyons donc dépendants d’elle encore un moment, c’est une certitude. Mais ne pas s’inquiéter de sa dépendance, c’est oublier les leçons de l’histoire.