Bruno Colmant

Un jour, les jeunes et les actifs pourraient arrêter de payer pour les aînés

Bruno Colmant Economiste. Professeur à la Vlerick School, l’ULB et l'UCL.

Et si le vrai combat politique opposait les jeunes aux aînés ?

Je suis conscient que ce titre peut choquer. En effet, nos systèmes sociaux reposent sur la solidarité intergénérationnelle : les citoyens actifs cotisent, non pas pour eux-mêmes, mais pour les inactifs, qu’ils soient en situation de maladie, de handicap, de perte d’emploi ou, évidemment, de pension. C’est d’ailleurs logique : ce sont les aînés qui ont fait fonctionner l’économie et la société pour les plus jeunes. Il suffit de penser à l’enseignement, aux services médicaux ou simplement à tout ce qui a été construit au cours d’une génération.

Pourtant, les choses sont loin d’être aussi simples. Ce contrat social reposait sur une promesse implicite : que les enfants vivraient mieux que leurs parents ! Or, cette promesse est rompue. Non seulement l’ascenseur social est en panne, mais les jeunes ont le sentiment de payer pour maintenir le train de vie d’une génération dorée qui a connu le plein emploi et l’immobilier bon marché, tout en leur laissant une ardoise écologique et financière catastrophique.

Une forme de gérontocratie de fait

Au début, ce système était pérenne. Il ne l’est plus pour plusieurs raisons : la natalité baisse dangereusement, le vieillissement de la population s’est amplifié par le baby-boom d’après-guerre, mais surtout par l’augmentation de l’espérance de vie. Mais ce n’est pas tout : la valeur du travail des actifs, ou plutôt leur rémunération va baisser, en termes relatifs, en raison de l’intelligence artificielle. Et on voit d’ailleurs qu’aux États-Unis, et de manière contre-intuitive, ce sont les jeunes diplômés qui peinent à trouver un emploi, car les travailleurs plus expérimentés remplacent leurs tâches de débutant par l’intelligence artificielle dans les métiers de service.

Ce contexte s’inscrit dans une réalité économique brutale : une partie de la population active est au bord de la flottaison financière, tandis que le logement devient prohibitif et que l’accès à la propriété est inatteignable sans l’aide financière des familles. De plus, ce déséquilibre est verrouillé politiquement : la démographie étant ce qu’elle est, les aînés constituent une majorité électorale, une forme de gérontocratie de fait qui empêche toute réforme structurelle défavorable à leurs acquis, laissant la jeunesse sans voix politique audible.

Je suis très frappé de voir, sur les réseaux sociaux, de plus en plus de personnes qui s’insurgent contre le montant des retraites de certains, supérieures à la rémunération de nombreux travailleurs actifs qui peinent à boucler leurs fins de mois. D’ailleurs, le chiffre de la natalité est, en partie, le plus grand échec sociétal et patriotique, car il reflète le refus de se « reproduire » dans un contexte que de nombreux jeunes réfutent. C’est une sentence de mort pour l’avenir, une trahison silencieuse du contrat social.

Sédition fiscale et sociale

Donc, je me dis qu’un jour, il pourrait y avoir un point de rupture. Sous quelles formes ? Je ne sais pas : un rééquilibrage des transferts sociaux vers les jeunes, une diminution de la couverture financière et médicale des aînés, un refus de payer pour les chômeurs et les malades de longue durée, ou pire — et je n’exclus pas cette hypothèse — une sédition fiscale et sociale, c’est-à-dire le refus pur et simple, par les jeunes, de payer des cotisations sociales et impôts.

Est-ce impensable ? Pas du tout. Il suffirait qu’une dizaine de milliers de personnes s’engagent sur cette voie pour faire imploser les administrations et les tribunaux.

J’espère, bien sûr, que cela n’arrivera jamais, mais c’est une réalité à surveiller comme le lait sur le feu. De manière persistante, je me dis que la traditionnelle lutte des classes, ou l’opposition gauche-droite, sera peut-être transformée en un conflit d’abord silencieux, puis engagé, de générations. Et ce conflit ne sera pas court, car les jeunes rétorqueront aux aînés d’avoir profité d’un monde désormais perclus de dettes financières, environnementales et sociales. Ils refuseront la « double peine » : devoir solder les comptes du passé tout en essayant de survivre dans un futur incertain.

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