Lorsque nous laissons disparaître des milliers d’entreprises uniquement parce que personne ne les reprend, nous perdons non seulement de l’activité économique, mais aussi du savoir-faire, des emplois locaux et l’ancrage social.
Au premier semestre 2025, plus de 6 000 entreprises ont officiellement fait faillite. Ce chiffre a légitimement fait la une des journaux : une faillite est visible, tangible et souvent dramatique. Elle laisse des victimes derrière elle et crée de l’incertitude pour les employés, les fournisseurs et les clients.
Mais alors que toute l’attention se concentre sur ce phénomène, un drame tout aussi grave, mais beaucoup plus discret, se déroule en silence. Chaque année, des milliers d’entreprises en bonne santé disparaissent sans faire faillite. Le propriétaire ferme les portes, règle proprement ses comptes et disparaît du paysage entrepreneurial. Pas de créanciers ni de curateur, simplement une cessation « volontaire ».
Il s’agit rarement d’entreprises en difficulté. Souvent, ce sont des PME stables et rentables : une entreprise artisanale avec un savoir-faire de niche, un commerce spécialisé avec du personnel expérimenté, ou un fournisseur du secteur horeca avec une clientèle fidèle. Leur problème n’est pas le manque de marché ou de profit, mais le manque de succession. Selon les chiffres du Service public fédéral Économie, chaque année, des milliers d’entreprises disparaissent, dont une part importante cesse simplement d’exister parce que personne ne veut ou ne peut reprendre le flambeau.
Innovation, technologie et scalabilité sont les mots magiques de notre climat entrepreneurial. Mais la reprise d’une entreprise viable est rarement mise en avant comme une option attrayante.
On encense surtout les créateurs de start-ups
Nous vivons dans un climat entrepreneurial où l’on encense surtout les créateurs de start-ups. Innovation, technologie et scalabilité sont les mots clés. Mais reprendre une entreprise existante n’est quasiment jamais proposé comme un parcours intéressant. Pire encore : nos politiques de subvention et de soutien se concentrent presque exclusivement sur les nouveaux créateurs, alors que la disparition silencieuse d’une entreprise existante provoque une perte économique tout aussi importante.
Les conséquences sont tangibles. Lorsqu’une entreprise locale ferme sans repreneur, un vide se crée dans le paysage des PME. Les clients se tournent vers la concurrence, souvent des acteurs étrangers qui n’ont aucun ancrage durable dans la région. Le résultat est structurel : moins d’emplois locaux, moins d’entrepreneuriat et moins de pouvoir décisionnel dans notre pays.
Le vieillissement de la population rend ce problème encore plus urgent. Des milliers d’entrepreneurs de la génération des baby-boomers partiront à la retraite dans les années à venir. Certains transmettent fièrement leur entreprise à leurs enfants ou à leurs employés, mais pour beaucoup, il n’y a tout simplement pas de successeur. Ce n’est pas un drame personnel, mais un échec collectif : nos politiques n’ont jamais sérieusement réfléchi à la manière de maintenir en vie des entreprises saines lorsque leur fondateur cesse son activité.
Apprendre à relancer une entreprise existante
Il est grand temps d’un changement de mentalité et de politique. Il ne suffit pas d’apprendre aux jeunes entrepreneurs à créer une entreprise à partir de zéro, il faut aussi leur montrer comment analyser, reprendre, financer et relancer une entreprise existante. Cela exige plus que de bonnes intentions : il faut des incitations qui rendent la reprise d’entreprise fiscalement aussi attractive que la création d’un nouveau projet. Il reste une grande marge pour des fonds de succession supplémentaires qui soutiennent financièrement les jeunes repreneurs. Et des formations sont nécessaires pour définir l’entrepreneuriat non seulement comme création, mais aussi comme renforcement de ce qui existe.
Chaque cessation sans repreneur est plus qu’un choix personnel de l’entrepreneur : c’est une faillite déguisée. Pas de l’entreprise elle-même, mais de notre capacité à donner un avenir aux PME existantes. Lorsque nous laissons disparaître des milliers d’entreprises saines faute de repreneur, nous perdons non seulement de l’activité économique, mais aussi du savoir-faire, des emplois locaux et un ancrage social.
Il est grand temps de dire aux créateurs que leur chemin ne passe pas uniquement par la création du nouveau. Des milliers d’entreprises attendent quelqu’un qui possède ambition, vision et audace. Dans ce cas, on ne part pas de zéro, on met son ambition au service d’un projet existant et sain.
Yannick Dillen, professeur d’entrepreneuriat à la Vlerick Business School