Paul Vacca

Sous la rentrée littéraire, le tsunami “new romance”

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

Sous le hashtag #booktok, qui comptabilise aujourd’hui près de 200 milliards de vues, TikTok est devenu la rampe de lancement des nouvelles voix de la littérature “young adult”.

Alors que la rentrée littéraire de septembre occupe le microcosme éditorial parisien, les médias traditionnels et les devantures des librairies, sur TikTok c’est la rentrée littéraire permanente. Le réseau social préféré des 12-18 ans, plus connu pour ses chorégraphies ou ses tutos de cuisine, s’est métamorphosé ces dernières années en usine à best-sellers. Sous le hashtag #booktok, qui comptabilise aujourd’hui près de 200 milliards de vues, le réseau chinois est devenu la rampe de lancement des nouvelles voix de la littérature young adult, ce segment dont le lectorat oscille entre 12 et 30 ans.

Ainsi, cette semaine, Morgane Moncomble, jeune romancière française de 27 ans (et déjà neuf romans au compteur), a été propulsée, au nez et à la barbe des prétendants aux grands prix littéraires de la rentrée, numéro un des ventes avec son nouveau roman Un automne pour tout pardonner (Editions Hugo & Cie). Depuis quelques années, c’est aussi une toute nouvelle vague d’autrices (un tsunami, devrait-on dire), qui est consacrée par TikTok venant souvent de l’autopublication numérique via la plateforme Wattpad: Colleen Hoover (plus de 20 millions d’exemplaires dont le méga-best-seller Jamais plus), Sarah J. Maas, Emma Green, Taylor Jenkins Reid, Emily Henry, Ali Hazelwood, etc.

Le roman à l’eau de rose est… noir

Toutes ont à peu près l’âge de leur lectorat et sont les nouvelles stars de ce courant appelé la new romance. Même si celui-ci s’inspire des mêmes codes que la comédie romantique au cinéma ou la romance classique (Harlequin, pour le dire vite), la new romance s’en affranchit. Là où la romance classique se montrait plutôt chaste et allusive, la new romance est ouvertement et explicitement érotique. On parle alors de romans #spicy (épicés) comportant des scènes de #smutt (les scènes érotiques). La new romance se libère aussi des modèles normés de couples souvent hétérosexuels de la romance classique pour explorer toutes les sensibilités sexuelles LGBT et en s’ouvrant à des profils de personnages plus divers confrontés au handicap, aux TOC, au racisme ou à la grossophobie…

Et enfin, loin d’adopter le rose uniforme des romances classiques, la new romance visite les faces les plus sombres de l’être humain. Notamment à travers le courant de plus en plus prégnant de la dark romance qui s’attaque ouvertement et sans tabou à des thématiques comme le harcèlement, l’addiction, les relations toxiques, la maltraitance, les violences conjugales, la mutilation, le deuil… La série Captive de Sarah Rivens en est un exemple éloquent.

Les “booktokeuses”

Tout ce courant littéraire bénéficie de la présence d’ambassadrices de choc sur TikTok: les booktokeuses. Des jeunes femmes dans la vingtaine qui officient en prêtresses devant leur bibliothèque où leurs livres, classés par couleurs, prennent des allures d’arc-en-ciel. Grâce à leurs courtes vidéos rythmées et souvent très drôles, elles permettent à la technologie de renouer avec un vecteur vieux comme le monde et le plus efficace pour vendre des livres: le bouche à oreille.

Leur parole directe ne s’embarrasse pas de longs discours, parvenant à restituer l’effet que leur a provoqué la lecture d’un livre dans son émotion brute. Comme lors d’une discussion entre amis, elles évacuent naturellement toute trace de surplomb intellectuel ou moral pour se concentrer sur le voyage émotionnel que la lecture leur a procuré.

Et parfois, les meilleurs arguments ne sont même pas verbaux. Une larme, une mimique un rien surjouée, un sourire complice, une grimace ou même l’aveu d’impuissance à dire son émotion avec un J’ai pas les mots” accompagné d’un regard extatique. Comme une forme de critique au-delà des mots.

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