Si je t’oublie Erevan…

"Nous donnons à Ilham Aliyev carte blanche pour ses envies de vengeance sur l’Arménie." © belga
Eddy Caekelberghs
Eddy Caekelberghs Journaliste à La Première (RTBF)

Dans l’indifférence quasi générale, l’Azerbaïdjan vient en quelque sorte d’annexer le Haut-Karabakh.

Erevan, capitale de l’Arménie. Les tensions politiques d’une part, la rue incandescente de l’autre. Pourquoi? Parce que dans l’indifférence quasi générale, l’Azerbaïdjan vient d’annexer en quelque sorte le Haut-Karabakh peuplé de quelques 120.000 Arméniens, lancés immédiatement sur les routes de l’exil.

Ilham Aliyev, l’omnipotent président azerbaïdjanais, se croit tout permis et impose une première session de pourparlers sur l’avenir de la région, majoritairement peuplée d’Arméniens, sans résultat. Les discussions entre les représentants des deux parties portaient notamment sur la question de la sécurité et de l’approvisionnement de la population. Parce que depuis des semaines, l’Azerbaïdjan affame littéralement les Arméniens du Karabakh en fermant les points d’accès. Avez-vous entendu hurler dans nos chancelleries? Avons-nous entendu nos autorités? La Commission européenne ou une autre institution?

L’Azerbaïdjan nous fournit et nous nous taisons ; l’Azerbaïdjan aide Moscou et la Russie abandonne l’Arménie. C’est simple comme une équation du premier degré.

Non, évidemment! Puisqu’en mentant éhontément aux Européens que nous sommes, nos plus hautes autorités, tout en prétendant nous avoir affranchis à 100% du gaz russe, sont allées s’approvisionner en Azerbaïdjan. Tout en nous félicitant d’avoir pu réussir cela après avoir accepté les hausses de prix en conséquence de l’abandon du financement de la guerre de Poutine par la réduction à zéro de nos fournitures de gaz russe. Et vous l’avez cru? Et bien vous allez être déçus, voire plus!

Parce qu’en fait, l’Azerbaïdjan ne peut, seul, remplir nos réservoirs. Pour ce faire, il s’approvisionne donc à son tour. Et où, croyez-vous? En Russie, pardi! Nous voilà donc officiellement occupés à contourner les sanctions que nous avons nous-mêmes ordonnées. Sans vergogne. Et sciemment.

En conséquence, nous finançons encore Poutine. Mais de surcroît, nous donnons à Ilham Aliyev carte blanche pour ses envies de vengeance sur l’Arménie. Parce que depuis les premières guerres du Karabakh remportées par l’Arménie, aidée par Moscou, l’Azerbaïdjan rumine son envie de rebattre les cartes. Donc, en conséquence: l’Azerbaïdjan nous fournit et nous nous taisons ; l’Azerbaïdjan aide Moscou et la Russie abandonne l’Arménie. C’est simple comme une équation du premier degré.

“La question de l’influence russe est ouvertement posée dans ce nouveau rapport de force imposé par l’armée azerbaïdjanaise. Ces 24 heures de combats ont changé la donne dans le Caucase”, disait mon excellent confrère Pierre Haski sur l’antenne de France Inter. La Russie ne peut mener plusieurs guerres de front, ce qui entraîne une instabilité politique et militaire le long des frontières russes, dans le Caucase et au-delà, en Asie.

Et la Turquie dans tout ça? La rédaction suisse de Tages-Anzeiger conclut très justement: “Recep Tayyip Erdogan avait déjà participé aux négociations de cessez-le-feu il y a trois ans. A l’époque, il était également question d’un corridor traversant l’Arménie jusqu’à l’enclave azerbaïdjanaise du Nakhitchevan. Mais l’Arménie empêche les deux alliés d’être des voisins directs. Le corridor permettrait aux deux pays d’être reliés et la Turquie bénéficierait d’un accès à la mer Caspienne. L’Iran ne veut pas que les Turcs y accèdent, car jusqu’à présent, la Turquie ne pouvait avoir accès à l’Asie centrale qu’en passant par l’Iran”.

La géostratégie de la région est complexe et revisitée. D’autres conflits sont à venir. Les cartes du pouvoir sont redistribuées. Sauf pour l’Arménie, pays extrêmement pauvre qui reste dépendant de la Russie sur le plan militaire et économique. Si je t’oublie Erevan…

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