Philippe Ledent

Mazout: pour réduire les tonnes de CO2, comptez en euro!

Philippe Ledent Senior economist chez ING Belgique, chargé de cours à l'UCLouvain.

Une étude récente nous apprend que postposer d’une année l’interdiction des chaudières au mazout en Wallonie se traduit par l’émission supplémentaire de 52.000 tonnes de CO2 par an, soit un million de tonnes de CO2 sur la durée de vie des appareils (20 ans).

Ces émissions sont calculées sur la base du remplacement de 22.000 chaudières en fin de vie par une alternative. Cela représente donc 2,4 tonnes de CO2 économisées par appareil et par an, ou encore 48 tonnes sur sa durée de vie.

Concrètement, l’étude calcule l’écart d’émissions de CO2 entre les chaudières au mazout potentiellement installées et différents scénarios alternatifs utilisant le gaz, l’électricité ou même le bois. L’approche suivie est celle d’un ingénieur. On parle donc de Kwh consommés, de tonnes de CO2 émises, de rendements énergétiques. Pour le reste, le monde est parfait : il n’y a pas de contrainte de financement, quelle que soit la technologie choisie, et il n’y a jamais de contrainte d’offre, la production d’électricité étant potentiellement suffisante, tout comme l’accès au gaz, au bois et aux appareils nécessaires. L’augmentation de la demande ne provoque pas d’augmentation de prix.

Mettre un prix sur le carbone émis pousse à diriger les moyens financiers dont on dispose vers ce qui réduit le plus les émissions au regard des montants engagés.

Il serait quand même utile de savoir quel est le coût des différents scénarios, en considérant les contraintes d’offre : si tout le monde passe à l’électrique, il faudra développer plus d’infrastructures produisant l’électricité nécessaire, et le prix des pompes à chaleur ne restera pas insensible à la forte hausse de la demande. S’agissant du gaz, il faudra commencer par étendre le réseau de distribution. Or, ces éléments sont cruciaux, car il s’agit aussi de calculer quel est le coût des 2,4 tonnes de CO2 économisées par an et par appareil pour savoir si, considérant un budget similaire, il n’est pas possible de faire une économie plus importante d’émissions. Tout dépend en fait du surcoût éventuel de l’alternative par rapport à la chaudière au mazout. Si le coût de l’installation et de son utilisation est équivalent, il est évident qu’il faut passer à l’alternative, puisque la réduction des émissions ne coûte rien. Mais si le surcoût est important, il est légitime de se demander si consacrer ce budget à d’autres fins (isolation du bâtiment, mobilité électrique, etc.) ne permet pas de réduire davantage les émissions ?

Trouver les tonnes de CO2 les moins chères

Autrement dit, pour réduire les émissions de CO2 sous contrainte des moyens financiers disponibles, il s’agit de trouver les tonnes de CO2 les moins chères à économiser, ou à l’inverse, pour un montant donné, les investissements permettant de réduire le plus les émissions.

On reproche souvent aux économistes de mettre une valeur monétaire sur tout. Mais cela reste le meilleur moyen d’utiliser le plus efficacement des moyens financiers qui, il ne faudrait pas l’oublier, sont limités. C’est tout l’intérêt de mettre un prix sur le carbone émis car cela pousse automatiquement à diriger les moyens financiers dont on dispose vers ce qui réduit le plus les émissions au regard des montants engagés.

C’est d’ailleurs la voie suivie par l’Europe au travers de l’utilisation du marché européen des droits d’émissions, qui va être progressivement étendu à de nouveaux secteurs, dont le transport, mais aussi la production d’énergie. Avec cette évolution, les solutions optimales s’imposeront d’elles-mêmes. Dès lors, informer les consommateurs sur les coûts futurs liés aux droits d’émissions pourrait, par anticipation, leur permettre de faire un choix optimal, écartant bien souvent le mazout, sans pour autant passer par une interdiction trop souvent vue comme discrétionnaire voire dogmatique.

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