Petit à petit, la guerre russo-ukrainienne fait tache d’huile

Eddy Caekelberghs
Eddy Caekelberghs Journaliste à La Première (RTBF)

Alors que le temps passe, nous considérons de plus en plus cette guerre russo-ukrainienne comme un feuilleton banal. Chaque jour, nous en suivons les péripéties et nous tournons la page de nos quotidiens pour nous préoccuper des prix de l’énergie, des taux hypothécaires, des négociations gouvernementales, de la course à la présidence américaine ou d’autres théâtres d’opérations comme le Moyen-Orient ou l’Iran. Et ne me faites pas dire ce que je n’ai pas écrit : tous ces sujets sont importants, bien sûr.

Mais nous sommes loin de la surprise de la guerre à 2.000 km d’ici ; des crimes atroces de Boutcha, du siège de Marioupol… Nous n’avons pas oublié mais nous avons remis de la distance. Loin le groupe Wagner, sa rébellion ; loin Prigojine, éloigné d’abord en Biélorussie chez Alexandre Loukachenko. Loin le crash de son avion, les purges dans les états-majors russes, ministre de la défense en tête.

Pourtant, regardons ce qui se joue sous nos yeux en cet instant. L’incursion inouïe des troupes ukrainiennes en Russie avec l’accord tacite des alliés de l’Otan (et l’armement occidental fourni) est un camouflet immense pour Vladimir Poutine qui doit affronter la guerre sur son territoire. En même temps, il limoge les cadres de l’armée et charge les services secrets du FSB (dont il est issu) de mener le jeu. Et, cyniquement, comme un Joseph Staline des temps nouveaux (Staline, son héros), il sacrifiera là aussi, s’il le faut, sa population de Koursk et des environs pour nettoyer la zone. Parce que, comme l’écrivait déjà Arthur Koestler dans son Zéro et l’Infini, pour ces tyrans (post)soviétiques l’individu n’existe pas. Il n’est qu’une fraction de la multitude, un objet sans importance. Tout sauf un individu…

Pourtant, il nous faudrait prendre conscience de ce qu’il se passe ces dernières heures avec la pression de l’armée biélorusse (encore elle !), massée par Loukachenko aux frontières ukrainiennes. Parce que – dit l’ami de Poutine – les forces ukrainiennes massées en hommes et en chars près de la frontière russo-biélorusso-ukrainienne forment une menace et une “pression” agressive qui justifie que Minsk s’en “émeuve”.

La guerre russo-ukrainienne est devenue petit à petit un feuilleton banal à nos yeux alors qu’il faudrait prendre conscience de ce qu’il s’y passe ces derniers jours.

Et il faudrait se souvenir que, déjà aux premières heures du conflit, c’est aussi par la Biélorussie complaisante et obéissante que les troupes du Kremlin ont lancé l’assaut vers Kiev. Et que face au camouflet de Koursk, l’assaut renouvelé vers Kiev est au programme. Tout comme la progression russe depuis l’est de l’Ukraine se poursuit inexorablement vers la capitale. Et l’incursion en Russie ne l’a pas freinée. De l’armement iranien arrive en masse à Moscou. Et, il y a quelques semaines, je parlais ici des manœuvres conjointes entre la Chine et la Biélorussie sur la frontière bélarusso-polonaise.

Bref, tout est en place pour que le conflit devienne transrégional. Or les ministres baltes, suédois, finlandais, polonais et allemand de la Défense tirent depuis des semaines la sonnette d’alarme : nous ne sommes pas prêts et Vladimir Poutine le sait !

Il reste deux options. Soit l’affrontement élargi mais qui le souhaite ? Soit la négociation avec cession de territoires (ce que l’épopée à Koursk pourrait préfigurer). L’abandon définitif et acté de la Crimée et des républiques du Donbass, une “neutralité ukrainienne” avec recul de l’Otan et plus peut-être. Comme en Géorgie, en 2008, c’est la tache d’huile.

Sans doute, nous crierons un peu au scandale mais retournerons, vite, à nos pages domestiques. Jusqu’à la prochaine confrontation. Parce que l’équilibre mondial bascule vers un axe Moscou-Pékin-BRICS et nous ne voulons pas en prendre la mesure à temps.

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