La Belgique oublie que, dans les révolutions industrielles, la prudence n’est pas une vertu, mais un piège.
En 2025, nous entrons dans la plus grande rupture cognitive depuis l’invention de l’écriture. Or, nous avançons comme si l’IA était un gadget administratif, un logiciel un peu malin qui fluidifiera les guichets et allégera les rapports administratifs. Pendant que la Commission, à Bruxelles, pond des rapports insipides, la Silicon Valley construit des empires. Et l’Europe, Belgique comprise, se place docilement dans le rôle qu’elle connaît trop bien : fournisseur de ressources à une puissance qui maîtrise la technologie.
Appelons les choses par leur nom : nous sommes en train de devenir le Congo belge de la Silicon Valley. Pas par violence, mais par consentement. Par lenteur. Par incapacité à comprendre que la souveraineté du 21e siècle est cognitive et computationnelle. Celui qui possède les data centers, l’énergie bon marché, les fabricants de puces et les équipes capables d’entraîner des modèles colossaux, possède le monde. Et nous n’avons ni les data centers, ni l’énergie, ni les puces, ni la masse critique.
L’Europe discute éthique, tandis que la Californie industrialise l’intelligence comme la Wallonie industrialisait l’acier en 1850. Nous produisons de la régulation pendant qu’ils produisent de la capacité de calcul. Le résultat est mécanique : notre rôle devient celui d’un territoire extractible. On prendra nos ingénieurs telle une ressource qu’on aspire comme on prenait jadis le caoutchouc africain. On installera chez nous quelques sites secondaires, comme on installait des comptoirs, pour extraire notre foncier et notre fiscalité si elle reste accommodante. Le cœur stratégique des cerveaux et des usines cognitives restera ailleurs.
Dans le monde qui vient, il y a ceux qui entraînent l’IA et ceux qui vivent dans l’IA des autres.
La Belgique, avec son énergie chère, ses querelles communautaires et son administration fractale, n’a pas conscience de la brutalité du choc à venir. On se rassure en se racontant qu’on a de bonnes universités, des clusters biotech et quelques réussites numériques. Mais le monde de l’IA n’est pas un marché artisanal. C’est une économie d’échelle absolue : winner takes all. Celui qui entraîne les modèles impose ses normes, ses standards et ses protocoles. Nous deviendrons alors ce que furent nos colonies : dépendants des architectures intellectuelles conçues ailleurs.
Une dépossession intime
Le plus tragique est mental. En confiant notre avenir cognitif à la Silicon Valley, nous renonçons à définir notre propre rapport à l’intelligence. Nous sous-traitons notre souveraineté intellectuelle. Nous acceptons que nos enfants apprennent, travaillent et pensent à travers des systèmes conçus par d’autres civilisations technologiques. C’est une dépossession intime.
Mais il reste une fenêtre étroite. Si la Belgique veut éviter de devenir le Congo digital d’une Amérique conquérante, elle doit faire exactement l’inverse de ce qu’elle fait depuis 20 ans : investir massivement, concentrer ses forces, cesser de fragmenter, casser les lenteurs, arrêter ses délires énergétiques et attirer les talents. Et comprendre que la souveraineté du futur n’est pas un drapeau, c’est un cluster algorithmique.
Dans le monde qui vient, il y a ceux qui entraînent l’IA et ceux qui vivent dans l’IA des autres. Pour l’instant, la Belgique n’est pas dans la première catégorie. À ce rythme, nous n’aurons même pas voix au chapitre. Nous serons seulement un numéro d’inventaire sur la liste des territoires exploitables. Le choix est simple : rester un pays… ou devenir une plantation cognitive.
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