Amid Faljaoui

L’info sans clics, un danger pour les médias et la démocratie ?

Il se passe en ce moment, dans le monde numérique, quelque chose d’aussi silencieux qu’une mise à jour… mais d’aussi puissant qu’un tremblement de terre.

Vous l’avez peut-être vu sans y prêter attention : Google propose désormais, dans certains pays dont la Belgique, des résumés tout prêts de vos recherches, grâce à son outil d’intelligence artificielle appelé “AI Overviews”. En clair : vous posez une question, et au lieu d’avoir une liste de liens vers des articles, Google vous résume directement la réponse. Pas besoin de cliquer. Pas besoin de lire l’article original.

Ça a l’air pratique, non ? Et ça l’est. Mais si vous dirigez un journal, une radio ou un site d’info, c’est un cauchemar qui commence.

Pourquoi ? Parce que dans ce système, le contenu que vous avez mis des heures à produire devient un simple ingrédient dans une soupe algorithmique. C’est toujours “votre” info, mais ce n’est plus “votre” lecteur. Google fait la synthèse. Et l’utilisateur, lui, ne clique plus. Il lit ce que Google lui sert, et repart. Autrement dit : on vous pique l’intelligence, mais pas la reconnaissance.

Ce phénomène a déjà un nom : on parle de “zéro clic”. Ce sont ces recherches où l’internaute n’a plus besoin d’aller sur un site, puisqu’il a sa réponse directement sur la page Google. Or, vous imaginez bien ce que ça veut dire pour un média qui vit des clics, de la publicité, ou des abonnements. C’est comme si un restaurant préparait des plats… que Google distribuerait gratuitement à la porte, en vous disant : “Ne vous dérangez pas pour entrer.”

Plusieurs éditeurs de presse tirent déjà la sonnette d’alarme. Aux États-Unis, des journaux comme USA Today ou le New York Times parlent de “cannibalisation”. En Europe, Google a ralenti le déploiement en France, probablement pour éviter une nouvelle bagarre juridique. Mais dans d’autres pays, comme l’Espagne, l’Italie, la Belgique ou l’Allemagne, AI Overviews est déjà actif.

Et les conséquences commencent à se faire sentir : moins de trafic, moins d’abonnés, moins de pub. Moins de tout.

Alors, est-ce la fin de la presse ? Non. Mais c’est peut-être la fin d’un modèle. Car depuis 20 ans, les médias ont appris à vivre avec Google. Le moteur leur envoyait du trafic, en échange d’articles bien référencés. C’était un deal tacite. Mais aujourd’hui, Google n’est plus un simple GPS de l’information. Il devient lui-même une sorte de journaliste automatique, qui prend un peu partout, assemble, résume… et garde le lecteur chez lui.

C’est un peu comme si le kiosque se mettait à réécrire les journaux qu’il vend. Face à ça, les éditeurs doivent se réveiller. Et vite. Certains lancent leurs propres assistants IA, comme le Washington Post avec “Ask the Post”, un chatbot qui répond en citant uniquement les archives du journal. D’autres misent sur les newsletters exclusives, les podcasts, ou les événements en direct. Tout ce que l’IA ne peut pas encore résumer.

Car le vrai défi, ce n’est plus de publier. C’est de créer une relation forte avec le lecteur. Une relation directe. Sans passerelle. Sans algorithme entre les deux. À l’époque où tout se résume, ce qui comptera, ce ne sera pas l’info brute, mais la voix. La tonalité. Le regard. La communauté.

Alors oui, l’IA bouleverse la donne. Mais comme souvent : elle ne tue pas ce qui est fort. Elle efface ce qui est interchangeable.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content