Typhanie Afschrift

L’emprunt d’Etat: un succès pour qui?

Typhanie Afschrift Professeure ordinaire à l'Université libre de Bruxelles

De très gros capitaux se sont dirigés vers l’emprunt d’Etat à 2,81% net. Le ministre des Finances doit jubiler devant ce qu’il présentera toujours comme un succès, après le gros échec de l’objectif essentiel de son mandat: la réforme fiscale. Il fera donc mine d’être au moins un bon emprunteur puisque la population a montré une certaine confiance en l’Etat belge en lui prêtant de l’argent.

Cette impression doit cependant être relativisée. D’abord, il s’agit d’une confiance à court terme, tout comme l’emprunt lui-même qui, circonstance assez exceptionnelle, n’est émis que pour une durée d’un an. Un peu après les prochaines élections, il faudra donc déjà rembourser et cela ne pourra, comme toujours, se faire qu’en empruntant de nouveau.

Tout fonctionne à l’envers: on sanctionne sur le plan fiscal ceux qui prennent des risques et on accorde un privilège aux simples rentiers.

De plus, les conditions d’émission de cet emprunt impliquent un bel aveu de la part du ministre. Si de tels capitaux ont pu être levés, c’est en dérogeant au taux normal du précompte mobilier qui est de 30% pour les emprunteurs normaux et seulement de 15% pour cet emprunt-ci. Voilà une belle manière de reconnaître que le taux de 30% est prohibitif et décourage les épargnants. Pour les forcer à investir, il a fallu les séduire en diminuant le taux d’impôt de moitié.

Ce faisant, le ministre agit de manière discriminatoire puisque les autres placements, ceux des autres emprunteurs, donnent lieu à un précompte de 30%. Il s’agit même d’une discrimination envers les autres prêteurs qui ont investi dans des émissions de l’Etat et qui, même pour des titres non échus à ce jour, continueront à payer 30%. C’est enfin et surtout une très grande injustice à l’égard de ceux qui investissent à risque et qui, malgré cela, continuent à payer 30% sur des dividendes alors que, contrairement aux intérêts dus par l’Etat belge, ceux-ci ne sont pas garantis et le remboursement de l’investissement non plus. Tout fonctionne donc à l’envers: on sanctionne sur le plan fiscal ceux qui prennent des risques pour lancer ou développer des entreprises, et on accorde un privilège aux simples rentiers.

L’inflation avant toute chose

Alors, peut-on dire que cet emprunt est une aubaine pour les épargnants? C’est loin d’être évident. En effet, le Bureau du Plan évalue l’inflation de l’année 2023 à 3,9%. En clair, ceux qui percevront 2,81% d’intérêts sur ce “providentiel” emprunt d’Etat perdront un peu plus de 1% de leur avoir après un an. Lorsqu’ils seront remboursés, dans un an, les 1.000 euros qu’ils auront investis leur permettront de recevoir 1.028,10 euros, mais ceux-ci ne correspondront qu’au pouvoir d’achat de 990 euros d’aujourd’hui. Comme placement, il y a mieux…

On retiendra quand même un élément positif. Cet emprunt a obligé l’une ou l’autre banque à formuler des propositions un peu plus intéressantes aux épargnants que les taux de misère habituels des livrets de dépôt. L’une d’entre elles, Argenta, a ainsi proposé un compte à terme à 4,01% brut, ce qui donne exactement 2,81% net. Remarquons qu’Argenta, elle, propose un intérêt brut qui dépasse l’inflation attendue. Mais comme elle doit, elle, payer un précompte de 30%, l’épargnant se retrouve là aussi avec… 2,81%. Et donc, après impôts, il perd toujours de l’argent.

Tout ceci confirme que le problème des épargnants n’est pas toujours (et en tout cas pas uniquement) les banques ou le marché. Le problème, c’est l’inflation (qui dépend de la Banque centrale européenne) et l’impôt, c’est-à-dire l’Etat.

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