Eddy Caekelberghs
L’empire russe broie ses fils
Quel pays peut ainsi sacrifier sa jeunesse, sa force productive, sa force d’avenir alors qu’il souffre déjà d’un problème démographique avéré?
La Russie mobilise. Malgré les appels du patron du groupe Wagner à cesser les hostilités, Moscou se prépare à la contre-offensive ukrainienne de printemps que tout le monde annonce. Une mobilisation qui souligne le volume des pertes russes et l’inexorable appétit de sa machine sanglante, dont ses enfants (souvent les plus démunis) paient le prix fort.
La Douma (le parlement fédéral russe) a modifié la loi instituant un registre numérique central dédié au service militaire. Dorénavant, les convocations peuvent être remises par voie électronique. De la caserne à la guerre!
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C’est “Polityka”, le magazine polonais, qui l’affirme cette semaine: “sept jours après la création du dossier numérique, le statut de la convocation passe automatiquement à ‘remis’, que l’intéressé ait reçu ou non le courrier… Le Kremlin élimine ainsi les méthodes les plus courantes employées jusqu’à présent pour échapper au service militaire et qui consistaient tout bonnement à ne pas relever son courrier, à s’enfermer chez soi, à ne pas ouvrir la porte aux inconnus ou à se mettre à son compte. Quitter sa ville ne sera plus d’aucun secours et quitter le pays va devenir impossible. Car dès l’instant qu’un homme sera appelé à se présenter au bureau de recrutement, il lui sera interdit de quitter le pays”. La nasse!
Cela rappelle les sinistres images d’un Reich allemand sacrifiant ses derniers enfants pubères.
Une méthode sournoise qui pourrait permettre de mobiliser bien plus de soldats qu’avoué officiellement. Et les voix protestataires russes ne s’y trompent pas. Comme celle de l’opposant Lev Schlosberg: “Une des premières conséquences a été la disparition des services en ligne de beaucoup de jeunes hommes. Les gens vont tâcher de devenir invisibles”.
Maxim Troudolioubov, journaliste, se demande comment la société russe parera le coup: “Le gros de la fuite se fait dans le pays car s’expatrier est cher et compliqué, et parce qu’on n’a pas envie de tout quitter. La fuite prend de nombreuses formes: on met une propriété au nom d’un parent, on ne paie pas ses impôts, on vit dans l’économie informelle ou ‘économie de fonds de garages’ (travail au noir et système D, Ndlr), on déménage, on évite de se trouver à son domicile officiel, etc. Cette loi est une incitation de plus à fuir l’Etat”.
Cela évoque aussi la connivence technologique russo-chinoise, testée pendant la pandémie.
Après avoir vidé les prisons pour garnir le front et sa boucherie (80% de ces recrues sont mortes sur le front! ), c’est la jeunesse des villes et des campagnes qui est à nouveau la cible et dans un système de plus en plus continu. Quel pays peut ainsi sacrifier sa jeunesse, sa force productive, sa force d’avenir alors qu’il souffre déjà d’un problème démographique avéré?
Cela rappelle les sinistres images d’un Reich allemand sacrifiant ses derniers enfants pubères. Cela évoque aussi la connivence technologique russo-chinoise, testée pendant la pandémie. Y compris dans les aspects et le registre de la terreur psycho-technologique comme l’analyse à Vilnius la radio publique LRT: “Des systèmes de reconnaissance faciale ont été installés dans les régions. Ils ont été utilisés pour débusquer les contrevenants à la quarantaine, permettant aux agents de se familiariser avec différentes technologies numériques. La Russie est prête à valider l’expertise de la Chine et à en durcir la mise en application. Le Kremlin se prépare à l’adoption d’un véritable totalitarisme numérique”.
Véritable Moloch des temps modernes, le Kremlin illustre cette prédiction d’Arthur Koestler dans Le Zéro et l’infini: le zéro représente la conception de l’homme dans un régime totalitaire. L’individu n’est que le quotient d’un million divisé par un million. Rien. Négligeable. Horrible…
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